Dans votre intervention, vous avez dit que nous sommes dans une époque où il est très difficile d’informer. Que faut-il comprendre ?
Le paradoxe que nous vivons est le suivant : jamais nous n’avons été pourvus d’autant de moyens pour diffuser de l’image, du son et des signaux. Et jamais, il n’a été aussi difficile d’informer. C’est la raison pour laquelle, dans mon propos, j’ai beaucoup insisté sur l’impérieuse nécessité pour les journalistes, de faire preuve de rectitude, de rigueur, de respect absolu des faits ; ce qui est une autre facette du respect des lecteurs, des téléspectateurs. Aujourd’hui, les jeunes journalistes évoluent sous un régime de suspicion et de défiance. On a vu émerger de nouveaux médias qui, sans être astreints aux mêmes règles déontologiques que les journalistes professionnels, se sont mis à diffuser des informations ou des affirmations qui ne sont jamais recoupées, qui sont rarement crédibles et qui n’obéissent à aucune des normes professionnelles.
Ils peuvent déjà avoir la tentation de se battre sur le même terrain, celui de l’immédiateté, de la rapidité, etc. Et le vrai courage aujourd’hui pour les journalistes et pour leur hiérarchie, c’est de prendre le temps nécessaire, différer la diffusion de 24h d’une information, si c’est le temps nécessaire pour vérifier sa véracité. Car, si on accepte cette course folle vers la vélocité, on risque à chaque coin de rue, de se faire piéger et d’être soi-même les instruments involontaires de ce qu’on appelle la vérité alternative, c’est-à-dire l’autre nom du mensonge, du complotisme, etc. Quand je compare l’atmosphère dans laquelle évoluait un journaliste il y a quarante ans et ce que cette atmosphère est devenue aujourd’hui, je me dis honnêtement qu’il est plus malaisé de pratiquer cette profession maintenant qu’il y a quelques décennies.
Pour un grand journaliste reconnu, quels sont vos défis aujourd’hui ?
C’est précisément dans un contexte de concurrence déloyale, d’essayer de convaincre par la persuasion, le décryptage, la pédagogie, le didactisme, de convaincre une audience qui est vulnérable aux infox, aux manipulations, que ça vaut la peine de réfléchir et de choisir ses canaux d’informations. De sélectionner ceux qui ont montré, pas par le discours, mais par l’action, qu’ils étaient fiables. Est-ce que ça veut dire qu’on est infaillible ? Non ! On peut parfaitement, comme journaliste, se tromper de bonne foi. Mais on ne sert pas un autre intérêt que celui de la diffusion de la vérité et du respect de nos auditeurs, de nos lecteurs. Il n’y a pas d’autres recettes. Et on peut espérer qu’avec le temps, le public verra qu’il a tout à gagner à revenir vers des médias dignes de ce nom. Je vous donne un exemple, je suis un homme de l’écrit, mais je collabore très souvent avec des radios et télévisions, et en ce moment au groupe Tfi-Lci.
Lci, qui est une chaîne française d’information continue, a doublé son audience depuis le déclenchement de l’agression russe en Ukraine parce que précisément, les spectateurs se sont dit, ce que nous cherchons, ce ne sont pas des clashs artificiels, de l’invective, de la polémique, mais c’est une tentative de décryptage et de compréhension. Et ça, dans un univers que je trouve assez inquiétant, c’est quelque chose de rassurant. D’autant plus que cette tendance n’est pas purement nouvelle, elle se confirme au fil des semaines.
Il y a quelques semaines, le Président Emmanuel Macron demandait aux médias publics d’aider la France à avoir une meilleure image en Afrique. Que faut-il penser de cela ?
Je considère que ce propos est au mieux, maladroit. Il fut un temps où on disait que les télévisions françaises, radio France, etc., étaient la voix française à l’étranger. Cette période est révolue. Très franchement, on n’a pas besoin des objurgations du chef de l’Etat pour savoir ce que doit être notre métier. Et c’est une déclaration maladroite parce qu’au fond, ça conforte les fantasmes de ceux qui pensent que les journalistes sont tous au service d’un intérêt étatique ou d’un calcul gouvernemental. Ce qui se passe, c’est qu’on a l’immense privilège de travailler dans un pays où la presse est libre, elle se donne les moyens de l’être et on n’a franchement pas besoin de ce type de rappel au règlement parce qu’il a pour effet de davantage brouiller les pistes que de clarifier le paysage.
lequotidien