De nombreux copropriétaires veulent individualiser des frais de chauffage face la hausse des prix de l’électricité et du gaz. Mais ce n’est pas si simple à faire.
Dans les copropriétés, la hausse des prix de l’énergie fait craindre une explosion du prix du chauffage collectif.
ÉNERGIE – Depuis plusieurs semaines, le téléphone de Me Cyril Sabatié ne cesse de sonner. Au bout du fil, « des syndics, des copropriétaires, des locataires qui s’inquiètent de voir leurs factures augmenter à cause de la hausse des prix de l’énergie », explique au HuffPost l’avocat spécialiste de l’immobilier. Tous posent la même question : comment passer du chauffage collectif au chauffage individuel dans leur immeuble.
« Ce n’est pas nouveau, tous les ans nous avons des demandes. Mais cette année c’est vraiment prégnant, on a des demandes de toutes parts. C’est le sujet du moment », insiste l’avocat. La faute à un contexte très tendu entre la guerre en Ukraine, l’arrêt d’une partie du parc nucléaire français, et la reprise économique après deux années de pandémie qui ont fait exploser les prix du gaz et de l’électricité.
Une partie du parc immobilier de Gilles Frémont, syndic et président de l’Association nationale des gestionnaires de copropriété (ANGC), en a fait l’amère expérience. « Certains immeubles ont renouvelé leurs contrats en 2021, lorsque la demande des industriels était faible à cause du Covid-19. Le prix oscillait entre 20 et 30 euros le mégawatt heure. Les autres, dont les contrats se terminent en ce moment, sont frappés de plein fouet par l’inflation. Le coût a été multiplié par 10 », s’alarme-t-il.
L’individualisation du chauffage obligatoire… sauf exceptions
Pour échapper à cette envolée des prix et être moins dépendants de la consommation de voisins parfois très frileux, de nombreux copropriétaires réclament à quitter le système collectif. C’est aussi ce qu’a conseillé le gouvernement lors de la présentation de son plan de sobriété le 6 octobre dernier. L’individualisation des frais de chauffage permet un gain énergétique de 15 % par habitation, avance l’Ademe.
Ce système est en réalité déjà obligatoire afin de responsabiliser les habitants et répartir plus équitablement les frais. Depuis une loi de 2015, chaque foyer d’un immeuble chauffé collectivement doit s’équiper de compteurs de calories individuels, qui déterminent la consommation réelle d’un logement grâce à des relevés, ou de répartiteurs de chauffage, qui calculent la température des radiateurs pour en déduire la consommation d’énergie dans l’habitation.
Toutefois, ces instruments ne sont installés que « lorsque cela est techniquement possible et que les coûts sont maîtrisés », pointe le ministère de l’Écologie. Tous les immeubles dans lesquels la consommation d’énergie est inférieure à 80 kWh par mètre carré et par an sont aussi exemptés. Résultat, sept ans après l’entrée en vigueur de la loi, seuls 30 % à 35% des immeubles concernés sont équipés, selon le rapport d’une mission « flash » parlementaire.
Se désolidariser des frais de chauffage ?
Malgré la crise énergétique et les demandes des copropriétaires qui se multiplient, ce chiffre ne devrait pas augmenter rapidement. « Installer des compteurs, ça se prépare. Il y a un vote en assemblée générale, la majorité des voix des copropriétaires est requise. Il faut aussi anticiper des travaux qui coûtent cher et qui peuvent durer plusieurs années… Donc pour cet hiver, c’est mort » tranche Gilles Frémont. « Quand le prix du gaz va rebaisser, ceux qui demandent l’individualisation vont peut-être abandonner leur idée », anticipe-t-il également.
Autre solution drastique envisagée par les copropriétaires inquiets : la désolidarisation des frais de chauffage. Cela signifie qu’un foyer décide de quitter le système collectif de manière individuelle. « Une utopie », balaye Me Cyril Sabatié. « La désolidarisation ne permet pas de s’émanciper du paiement des charges collectives. Pour cela, il faut que ce soit décidé en assemblée générale à l’unanimité. Elle est quasi impossible à obtenir. » Le copropriétaire est alors obligé de continuer à payer le chauffage collectif en sus de sa nouvelle facture individuelle. Un mauvais calcul si le but est de faire des économies.
Halim Gazzi, co-gérant de l’agence immobilière l’Agence du Port à Nice, estime qu’au vu de la situation, la règle pourrait changer. « Je ne sais pas comment ça ne peut pas évoluer. La question va se poser au législateur, surtout dans les copro qui sont de vraies passoires énergétiques », affirme-t-il. Plus généralement, c’est « la question de la suppression du chauffage collectif qui va de plus en plus se poser dans les années à venir », croit-il.
« On craint une augmentation des impayés »
En attendant, les copropriétaires restent impuissants. Même le bouclier tarifaire, qui limite l’augmentation des prix du gaz et de l’électricité de 15 % dans les copro chauffées au gaz collectif, ne règle pas la solution. « C’est une bonne mesure, mais le système de comptabilité en copro impose l’avance des frais », regrette Anaïs Rodriguez, directrice des métiers de la copropriété chez Syneval. La compensation financière arrive seulement plusieurs mois plus tard.
Les syndics interrogés par le HuffPost ont trouvé de maigres parades pour éviter de payer le prix fort, notamment mettre le chauffage plus tard – une solution relativement facile à mettre en œuvre au vu des températures clémentes du mois d’octobre – ou fixer la température à 19 degrés. Même les habitants qui redoutent le froid « mettent de l’eau dans leur vin » et acceptent de faire des efforts, ajoute Halim Gazzi, de Nice.
Malgré cela, ils appréhendent les mois à venir. « On est inquiets sur le paiement et la solvabilité des copropriétaires, certains ne vont pas pouvoir payer, c’est évident », relève Gilles Frémont. « Certains tirent un peu la langue, on craint une augmentation des impayés », renchérit Anaïs Rodriguez. Tous rêvent d’un hiver doux pour le porte-monnaie.
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