COP27: sur les pertes et dommages, «l’agenda est conditionné», regrette le négociateur Alpha Kaloga

Fin connaisseur des arcanes de la finance climatique, le Guinéen Alpha Oumar Kaloga est conseiller régional du Fonds Vert pour l’Afrique et négociateur pour le Groupe Afrique, dont il est le porte-parole pour les « pertes et dommages ». Avec lui, on reprend les bases : qu’est-ce que le Fonds Vert et à quoi sert-il ? À quoi ressemble une journée de négociateur ?

Qu’est-ce que le Fonds Vert ?

C’est un mécanisme financier de la Convention-Cadre des Nations unies sur le changement climatique [qui a créé les COP en 1995], créé en 2010 à [la COP de] Cancun (Mexique). C’est la réponse d’une longue demande es pays en développement pour répondre aux questions de réduction d’émissions des gaz à effets de serres et d’adaptation. Il vise à mettre à l’accent sur l’accès directs à des financements pour les pays, une fois qu’ils sont accrédités.

Comment est-il financé ? Est-ce par les 100 milliards de dollars par an promis en 2009 pour 2020 et qui ne sont pas encore réunis ?

Le Fonds Vert n’est pas le seul bénéficiaire des 100 milliards. L’Accord de Paris dit qu’une quantité significative de ressources financières doit passer par le fonds vert, surtout pour l’adaptation. Les 100 milliards ont été promis dans un contexte de transparence et d’action en termes d’atténuation. Cette promesse était basée sur deux sources financières : les deux et la mobilisation du secteur privé. Donc les 100 milliards concernent non seulement le Fonds vert mais aussi les autres canaux bilatéraux, les banques multilatérales de développement et tous les autres canaux pour financer les actions climatiques dans les pays en développement. Et les pays développés aiment les canaux bilatéraux car ça leur donne un peu de manœuvre pour avancer leur propre agenda.

À l’heure actuelle, le Fonds n’a reçu que ses deux premières capitalisations de dix milliards chacune. Sachant que pour la première, les Etats-Unis qui avaient promis trois milliards n’ont pu débourser qu’un milliard avec l’arrivée de Donald Trump qui a stoppé l’alimentation du Fonds vert.

Le Fonds vert est abondé par des promesses des pays, qui ne sont pas des dons. Par exemple, la France a utilisé des instruments financiers très sophistiqués qui conditionnent sa contribution. C’est ce qui rend les ressources du Fonds Vert un peu difficile d’accès pour les pays en développement.

Pourquoi ce Fonds ne décolle-t-il pas ?

C’est une belle expérience mais qui n’a pas assez de ressources. La majeure partie des pays d’Afrique de l’ouest ont reçu quelques financements pour des projets d’adaptation, qui ne sont donc pas des options de développement mais qui sont devenus des impératifs en raison des impacts du changement climatique. Il faudra concilier le développement avec ces impératifs, et le Fonds Vert est censé payé ce coût additionnel. Il investit dans l’agriculture, les forêts, les énergies renouvelables, dans des constructions de digues contre l’intrusion saline qui est en train d’affecter une grande partie des côtes africaines.

Une part très faible, moins de 10% du montant total approuvé par le Fonds Vert, a été réellement décaissé ces cinq dernières années. Pourquoi ?

Les bailleurs de fonds ont toujours des leviers, qui consistent en un arsenal de conditions pour garantir bien que ces fonds arrivent aux destinataires.

Par exemple, quelles sont ces conditions ?

L’accréditation. Pour l’avoir, il faut avoir des standards fiduciaires élevés, des mécanismes de garde-fous environnementaux, sociaux. Et la majeure partie institutions qui sont disponibles ne sont pas à l’origine faites pour le climat…

Ce sont des garanties pour les pays développés que l’argent aille bien vers des investissements durables…

Exactement, mais je pense que tous les fonds déboursés par le Fonds Vert sont tellement sophistiqués qu’il n’y a pas de possibilité qu’on déroute le financement. L’argent qu’on promet n’est pas donné tout d’un coup, mais par petites tranches. Et à chaque tranche, il faut évaluer l’impact de l’argent reçu. On a besoin de beaucoup plus de confiance, d’ambition et de sérieux des pays développés pour qu’ils se disent « on a créé ce fonds pour les pays en développement, aidons-les à travers ce fonds, au lieu de rendre les choses difficiles. »

Pour qu’un projet soit approuvé, il faut une lettre de non objection en amont qui dit que ce projet s’aligne avec les objectifs de développement et changement climatique des pays, mais aussi que ces projets ont été l’objet de consultation avec les communautés et qu’il n’y a pas d’impacts négatifs. Mais un projet, cela prend cinq ans [de préparation et validation, NDLR], la majeure partie est en train d’être finalisée et donc il faut attendre encore pour pouvoir mesurer l’impact de ces projets sur le terrain.

Vous êtes également le porte-parole du groupe Afrique pour les « pertes et dommages », qui ont été inscrites à l’agenda pour la première fois. Comment l’avez-vous vécu ?

C’est le samedi vers 4h du matin qu’on est parvenu à l’adoption de l’agenda, j’étais encore là. Cela fait trente ans que la question est posée. C’est une grande étape, mais une petite étape par rapport à l’objectif final.

Mais ce que l’on ne dit pas, c’est que cet agenda est conditionné. Il y a une note de bas de page qui dit que les discussions sous cet agenda n’auront aucune répercussion sur d’autres agendas. Et les pays développés ont imposé que le rapport oral de la présidence qui prononce l’adoption de cet accord dise qu’il n’y a pas de poursuites judiciaires ni de compensations. Cela préjuge de la pertinence des discussions, cela limite l’ambition du financement, et cela amène les pays en développement à se poser la question : est-ce qu’on pourra sous la Convention avoir ce principe de pollueur-payeur mis en œuvre ?

Quelle est la prochaine étape ?

L’objectif est clair, ils le savent, c’est un mécanisme financier, en adéquation avec les besoins.

En France, il y a eu une sécheresse inédite et il y a eu beaucoup d’échos dans la presse. Mais ça, c’est la réalité quotidienne de nos pays. Un évènement climatique extrême peut amener parfois des incidences de 5 à 6% du PIB. Et quand vous regardez la croissance des pays, rares sont ceux qui ont une croissance annuelle de 6%. Donc c’est une marche arrière. On a des impacts irréversibles. Dans les pays insulaires ou côtiers africains, les gens sont obligés de quitter des terres ancestrales.

Les pays du Nord ne semblent pas du tout enclins à aller plus loin. Nous sommes dans des négociations, il y a toujours des compromis. Comment les pays africains peuvent amadouer les pays développés pour obtenir des concessions sur les « pertes et dommages » ?

Je pense que c’est la notion de co-bénéfice. Aujourd’hui, si l’on construit une route, par exemple en Guinée, qui n’est pas compatible face aux aléas du changement climatique, on risque d’avoir à la refaire à cause des inondations. En rendant la construction plus intelligente et plus compatible avec le changement climatique, c’est de l’argent qui est bien investi.

Il faut vous imaginer un monde à 2,5°C. Il y aura le désert en Espagne. Que sera l’Afrique sub-saharienne ? Les gens seront forcés de bouger. Donc ce serait un bon investissement à long terme pour les pays. C’est aussi une façon de rappeler qu’ils doivent prendre des actions ambitieuses en terme d’atténuation [réduction des émissions de gaz à effets de serre, NDLR].

Les sociétés civiles dans les pays développés sont alertées. L’Union européenne, les Etats-Unis, le Canada sont sous pression. Ils ne peuvent pas se permettre de sortir de ces salles sans proposer quelque chose.

Comment avez-vous reçu la proposition d’Emmanuel Macron de créer un « conseil des sages » ?

Toute initiative pour rappeler à l’ordre notre pacte mondial est bonne. Mais je crois qu’il faut montrer par l’exemple en prenant, dans ces quinze prochains jours, ses responsabilités et des décisions concrètes. Des discussions, il y en a eu beaucoup par le passé, par des personnes qu’on appelle champions du changement climatique, qui cultivent un débat responsable mais qui n’apportent rien de concret sur le terrain.

Dans les négociations, sur cette question notamment, sentez-vous une fracture entre Nord et Sud ?

Il y a un clivage qui est là et qui est parfois très pathétique. Je n’en veux pas à mes collègues négociateurs. Moi aussi je viens avec une feuille de route claire, venant de l’Union africaine et de la conférence des ministres de l’Environnement de l’Afrique.

J’ai l’impression que la stratégie est d’être ambitieux dans la rhétorique, de reconnaître [les besoins de compensations, NDLR] mais les pays développés ne sont pas prêts à le faire en réalité car ils ont peur des incidences des pertes et préjudices. C’est pour cela qu’ils ont dit « pas de compensations ni de poursuites ». De notre côté, il y a la frustration de ne jamais être entendus.

De tous les côtés, on fait des concessions. Ce résultat a minima a été arraché avec beaucoup de peine, mais le processus doit continuer car pour nous en Afrique, c’est ce qui nous permettra d’avoir une certaine justice et équité climatique.

Quinze jours de négociations marathon commencent. Racontez-nous comment ça se passe, très concrètement, avec la délégation ?

Aujourd’hui par exemple, à 8h, j’étais dans la salle pour écrire le rapport sur la journée d’hier. On a eu des réunions de l’agenda sur les pertes et préjudices qui nous ont pris au moins cinq heures. En plus de ça, on a eu des réunions avec le groupe des pays en développement, le G77 [qui comprend 135 pays émergents et en voie de développement et la Chine]. Car nous faisons d’abord des compromis entre nous pour arriver ensuite avec une voix. Et ensuite, nous faisons des compromis avec les pays développés. Il y aussi eu des réunions bilatérales avec les organismes de financement pour renforcer nos ressources. Ce sont donc des journées intensives. Hier, j’ai pu manger mon premier repas depuis le petit-déjeuner à 21h.

On a besoin de courage, d’optimisme et de bonne volonté des pays développés. Les pertes et préjudices sont une question générationnelle, d’équité, de justice, de solidarité. Le changement climatique n’est pas une question de développement, ce n’est pas quelque chose de volontaire.

RFI

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