La 27e Conférence des Parties (COP) se tient depuis lundi 7 novembre à Charm el-Cheikh (Égypte). Cette 5e COP « africaine » se déroule dans un contexte international peu propice pour progresser sur le chemin de la lutte contre le réchauffement climatique, qui fait sentir ses effets de plus en plus fréquemment partout dans le monde. Tous les soirs, « Un jour à la COP » livre un condensé de ce qui s’est dit et noué durant la journée de négociations, et part à la rencontre de quelques-uns de ses acteurs. Ce mercredi 9 novembre était consacré à la finance.
À LA COP AUJOURD’HUI
♦ Les résultats des élections de mi-mandat aux États-Unis ont été très scrutés en Égypte où se déroule la COP27. Les États-Unis restent le deuxième émetteur mondial de gaz à effet de serre après la Chine. Après son élection, Joe Biden avait affiché sa volonté de faire de la lutte contre le changement climatique une priorité. En août dernier, le Sénat américain à majorité démocrate adoptait un plan de 370 milliards de dollars pour le climat, le plus grand investissement jamais vu aux États-Unis dans la lutte contre le changement climatique. Mais même si les républicains remportent ces élections de mi-mandat, sur le plan intérieur, cela n’inquiète pas Frances Colon, ancienne conseillère scientifique et environnementale sous l’administration Obama et actuellement membre d’un think tank démocrate. En tout cas en ce qui concerne la politique intérieure des Etats-Unis. « Parmi les nouveaux élus, il y a de grands défenseurs du climat, et même si les républicains gagnent au final, ils ne pourront pas revenir sur la loi climat. Ils pourront simplement ralentir et contrarier l’administration Biden sur certains points. »
Sur le plan international par contre, une victoire des républicains serait plus problématique selon elle. Joe Biden avait promis plus de onze milliards de dollars d’aide aux pays en développement pour lutter contre le changement climatique, mais pour l’instant seulement un milliard a été validé par le Congrès. « C’est très important que les démocrates s’activent ces prochaines semaines. Ils ont jusqu’à décembre, avant l’entrée en fonction du nouveau Congrès pour mettre l’argent promis sur la table. » À la COP, les défenseurs du climat espèrent donc des annonces lors de la venue de Joe Biden, prévue ce vendredi. (Par Jeanne Richard)
♦ « La crise climatique ne menace pas seulement nos infrastructures, nos économies ou notre sécurité – elle menace chaque aspect de notre vie au quotidien », a mis en garde l’émissaire américain pour le climat John Kerry. « Le président Biden est plus déterminé que jamais à continuer ce que nous faisons », quel que soit le résultat du vote, et reconnaît la « responsabilité particulière » de son pays envers les nations en développement, a-t-il assuré.
♦ Les plus grandes banques de Wall Street poursuivent le financement des énergies extractives. Rainforest Action Network, organisation de défense contre l’environnement, a publié ce mercredi quelques chiffres : les 60 plus grandes banques du monde ont investi 1,3 milliard de dollars dans des entreprises liées aux industries fossiles ; depuis les accords de Paris, les six plus grandes banques américaines ont financé à hauteur de 445 milliards de dollars des entreprises qui ont développé des activités pétrolières, gazière ou de charbon dans le monde. JPMorgan Chase, Bank of America, Citi, Wells Fargo, Morgan Stanley et Goldman Sachs, six banques qui ont pourtant adhéré à la Net Zero Banking Alliance. Parmi leurs grands clients, Rainforest Action Network pointe Exxonmobil, BP ou encore Shell qui ont ces dernières années développées de nouveaux projets d’énergies fossiles. « Des milliards doivent être investis dans une transition juste, pas dans l’expansion sans fin des combustibles fossiles par les pollueurs et leurs profits à court terme », a affirmé April Merleaux, responsable de la recherche pour Rainforest Action Network. (Par Charlotte Cosset).
♦ Accélérer la mise en œuvre de projets verts en Afrique, c’est l’objectif de l’Alliance pour les infrastructures vertes en Afrique, AGIA. Lancée ce mercredi par l’Union africaine, les banques africaine et européennes de développement, elle sélectionnera les projets pour les rendre finançables. La méthode, c’est une sélection drastique des projets en amont pour qu’ils soient réellement financés et qu’ils embarquent le secteur privé, explique Alain Ebobissé, directeur général d’Africa 50, la plateforme d’investissement partenaire. « Aujourd’hui en Afrique, il y a beaucoup d’institutions qui ont de l’argent pour investir dans des projets, mais il n’y a pas suffisamment de projets bien préparés pour recevoir ces financements. Avec Agia, nous allons lever pas mal d’argent pour la préparation et le développement de projets, mais surtout on va se focaliser sur leur sélection, que l’on va délivrer rapidement. L’un des objectifs, c’est d’être différent par la vitesse d’exécution des projets parce que nous avons besoin de montrer des résultats. »
Une partie des 500 millions de dollars mobilisés par cette alliance sera donc consacrée à l’étude de projets : mobilité électrique, fourniture d’eau potable et irrigation, et surtout énergie : réseaux électriques décentralisés, transport d’électricité, projets solaires, éoliens, géothermiques… mais aussi centrales à gaz, l’Alliance pour les infrastructures vertes en Afrique revendiquant l’usage de cette énergie fossile comme énergie de transition. (Par Claire Fages)
♦ Un nouvel outil de suivi des émissions, le Climate Trace, a été présenté ce mercredi. Il évalue, notamment grâce à des données satellitaires, les émissions de plus de 72 000 sites à travers le monde, dans différents secteurs, industrie lourde, production énergétique, agriculture, transports, déchets ou encore industrie minière.
Piloté par une « coalition » regroupant laboratoires de recherche, entreprises, ONG, et financé au départ par un don de Google, Climate Trace utilise des procédés d’intelligence artificielle pour recueillir et analyser de grands nombres de données. Elles proviennent notamment de 300 satellites, de plus 11 000 capteurs physiques et de diverses bases de données, ont expliqué deux de ses fondateurs, dont l’ex-vice président américain et prix Nobel de la paix Al Gore.
« Les 14 sites les plus polluants sont tous des champs de pétrole ou de gaz, le bassin du Permian (bassin de pétrole de schiste au Texas, Etats-Unis) étant le premier au monde », a expliqué ce dernier.
Toutes les données sont accessibles gratuitement, notamment via une carte interactive (climatetrace.org/map), dans l’objectif « d’une transparence, d’une coopération et d’une responsabilité accrues en faveur de l’action climatique », a déclaré Al Gore. « Avec les nouvelles données (recueillies par Climate Trace) sur le méthane et le torchage nous estimons que les émissions réelles sont trois fois plus élevées que déclaré » par ces sites d’extraction d’énergies fossiles. « Les 500 sites les plus pollueurs émettent plus par an que les États-Unis (deuxième pollueur mondial) et 51% de ces émissions viennent de centrales électriques », a encore détaillé Al Gore. (AFP)
LES COULISSES EN IMAGE. Les salles de réunion : « Il y a l’informel et l’informel informel »
Dans l’enceinte d’une COP, il y a plusieurs zones. La plus « importante », c’est la bleue, l’espace officiel administré par la Convention-Cadre de l’ONU sur le changement climatique (CCNUCC). C’est là que se déroulent les négociations entre délégations de pays. S’y croisent des chefs de délégations, des conseillers d’État, des scientifiques, des experts du climat et de tous les domaines afférents (énergie, industrie, biodiversité, océans, etc.). Beaucoup vont se retrouver dans de grandes salles de réunions où sont discutées des thématiques. Les représentants d’ONG tout comme des entreprises ont également voix au chapître, car ils font partie des neuf acteurs reconnus par la Convention-Cadre. Parmi eux, les lobbies des énergies fossiles, qui formaient la délégation la plus nombreuse à la dernière COP avec 503 personnes, comme l’avait révélé Global Witness.
Ces aréopages qui préparent le monde à venir ne sont pas ouverts à tout le monde, encore moins souvent à la presse. Nous tentons une infiltration dans la salle. Chou blanc : une agente de sécurité de l’ONU grimace, désolée, un refus de passage.
C’est donc aux portes de la salle 12 que nous échangeons avec Hubert Martinie Garcia, un jeune négociateur assistant franco-dominicain, trilingue, de la délégation de la République dominicaine. « Ce sont les délégués qui décident qui rentre ou pas, explique-t-il. Cela dépend si la présence d’observateurs ou de la presse est bénéfique pour la discussion en cours. » Des yeux tirés par un long voyage agrémenté de la perte de ses bagages à l’arrivée, il soupire : « Celle-là est partie pour durer trois heures, c’est long. »
La réunion est dite « informelle », c’est-à-dire plus formelle que les réunions « informelles informelles », mais pas non plus hyper formelle. Dans la première, le secrétariat de la thématique de la réunion est présent, les discussions sont plus convenues et plus générales. Dans les secondes, l’atmosphère peut être plus « tendue » mais reste « respectueuse », a observé l’apprenti diplomate caribéen. « C’est plus technique, on va plus au fond des choses. » Les relations Nord-Sud, marquées par une défiance qui s’accroît de COP en COP, se tissent aussi dans ces lieux. « Les pays du Sud vont être sensibles à des sujets dont l’interprétation peut varier. Les droits de l’homme par exemple peuvent être un sujet délicat s’ils ne sont pas formulés tel que c’est formulé dans l’Accord de Paris, et donc accepté par tout le monde. Ceux du Nord sont très sensibles à la notion de responsabilité et à tout ce qui touche au versement d’argent direct », explique-t-il, prenant soin de bien choisir ses mots. De l’importance d’arriver à des accords diplomatiques pour poser des bases de dialogue et de compréhension mutuels.
Hubert Martinie Garcia vit sa première COP et trouve ça « génial ». « On découvre comment les représentants se parlent, poussent leurs intérêts et parviennent à un accord ». C’est alors « le meilleur moment de la journée. On se sent faire partie du changement, même s’il est petit. »
Tosi Mpanu Mpanu, longtemps négociateur pour la République démocratique du Congo,connaît bien les journées interminables en zone bleue : « Les négociations se déroulent dans plusieurs salles en même temps. Il faut avoir un bon relai avec les autres collègues négociateurs pour s’assurer que dans une salle, une évolution sur une thématique peut être reflétée dans la thématique de la salle où vous êtes également. Même chose en cas de blocage. »
Ainsi, plus un pays compte de membres et d’experts dans sa délégation, plus il sera en capacité de peser dans les négociations. « Les pays développés sont en général extrêmement bien coordonnés, par exemple les 27 pays de l’Union européenne, poursuit celui préside désormais un organe de conseil scientifique et technologique pour la COP. C’est pour ça que nous ne nous engageons pas en tant que RDC seule car nous serions très rapidement débordés. On essaye de faire avancer nos positions au sein des différents groupes de pays auxquels on appartient : le groupe africain, les groupes des pays moins avancés, le groupe des États détenteurs de forêts tropicales humides, le groupe des 77+la Chine. »
Fin connaisseur des arcanes de la finance climat, il est conseiller régional du Fonds Vert pour l’Afrique et négociateur pour le Groupe Afrique, dont il est le porte-parole pour les « pertes et dommages ». Avec lui, on reprend les bases : qu’est-ce que le Fonds Vert et à quoi sert-il ? À quoi ressemble une journée de négociateur ? Réponses ici.
RFI