Depuis le retrait de l’armée française, les groupes jihadistes n’hésitent pas à communiquer à outrance sur les exactions supposées du groupe paramilitaire russe contre les civils.
Poussée vers la sortie par les colonels au pouvoir depuis août 2020, la France a achevé le 15 août 2022 son retrait du Mali, plus de neuf ans après le lancement de son intervention contre les groupes jihadistes dans ce pays.
Parallèlement, les autorités maliennes se sont tournées vers la Russie, et plus particulièrement vers le groupe paramilitaire russe Wagner, dirigé par Evgueni Prigojine, un proche de Vladimir Poutine. Bamako dément, reconnaissant uniquement le soutien d’« instructeurs » militaires russes.
Mais c’est bien Wagner que le « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans » (JNIM), principale coalition affiliée à Al-Qaïda au Sahel, cite nommément ces derniers mois en tête d’affiche de ses communiqués.
« Wagner est vraiment un ennemi du JNIM »
« Les opérations de Wagner sont surtout localisées dans le centre du Mali et ciblent principalement la communauté peule, dont le JNIM se présente comme le protecteur. Donc dans cette dynamique, Wagner est vraiment un ennemi du JNIM », explique Héni Nsaibia, chercheur au sein du Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled), spécialisé dans la collecte des données relatives aux conflits.
« Il y a eu beaucoup d’affrontements du JNIM avec les forces armées maliennes et Wagner qui opèrent conjointement », précise-t-il. « D’une certaine manière, Wagner a remplacé la France comme force étrangère dans le théâtre du conflit, même si les jihadistes ne traitent pas Wagner de “Croisés” comme les troupes françaises, mais plutôt de mercenaires ou de “milice criminelle” », dit-il.
Le JNIM s’est targué fin octobre d’avoir, grâce à une embuscade dans la région de Bandiagara (centre) contre « l’armée malienne, les mercenaires de Wagner et des miliciens progouvernementaux en guerre ethnique contre les musulmans », restitué à leurs propriétaires le bétail que les autorités leur avaient enlevé, selon lui.
Exactions contre des civils
Depuis des années, « les groupes jihadistes se présentent comme les défenseurs des populations contre l’armée et ses supplétifs qui, selon eux, ne font que tuer les civils », observe Boubacar Haïdara, chercheur au Bonn International Centre For Conflict Studies (BICCS).
Le recours à cet « alibi pour justifier la violence qu’ils exercent », selon lui, leur est facilité par « l’arrivée d’éléments russes », coïncidant avec « des informations sur des exactions à l’encontre de civils qui se répètent et de plus en plus mortelles ».
Si la majorité des 860 civils tués au Mali au premier semestre 2022 ont été victimes des groupes jihadistes, 344, soit 40 %, ont péri lors d’opérations de l’armée, selon l’ONU.
« La population juge par rapport aux exactions commises sur les civils », prévient Binta Sidibé Gascon, vice-présidente de l’observatoire Kisal, qui défend les intérêts des populations pastorales. « Or, depuis l’arrivée de Wagner, notamment avec ce qu’il s’est passé à Moura nous assistons à une augmentation exponentielle des victimes civiles ».
Prise de conscience
Quelque 300 civils ont été massacrés en mars dans cette localité du centre par des soldats maliens associés à des combattants étrangers, peut-être russes, selon Human Rights Watch (HRW). L’armée malienne dément, affirmant avoir « neutralisé » plus de 200 jihadistes.
Le principal chef du JNIM dans la région, le prédicateur peul Amadou Koufa, a incriminé Wagner et l’armée malienne dans une rare vidéo en juin, assurant que parmi les tués de Moura ne figuraient « qu’une trentaine de combattants », les autres étant « des innocents ».
« Ce qui va accélérer la prise de conscience », estime la responsable de Kisal, « c’est que face à toutes ces exactions sur des civils, aucune reconquête du territoire n’est effective et malheureusement la situation empire : augmentation des déplacés, écoles fermées, crise humanitaire… »
Néanmoins, Boubacar Haïdara constate que « beaucoup parmi la population ne croient pas du tout que ce sont des civils qui sont tués », et se montrent réceptifs au discours officiel de l’armée rejetant « des calomnies françaises pour dénigrer les forces maliennes alors qu’elles “sont en train de faire plus que Barkhane n’a pu faire en neuf ans” ».
Guerre informationnelle
Faire appel à Wagner s’est révélé un « très mauvais choix » pour les autorités maliennes, avec « une augmentation d’environ 30% des actes terroristes » sur les six derniers mois, a affirmé fin octobre la sous-secrétaire d’État américaine Victoria Nuland.
En revanche, Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Sector Network (ASSN), considère que « si le gouvernement malien attendait un appui de Wagner en matière de guerre informationnelle, de ce point de vue il peut être satisfait des résultats. (…) Sur le territoire malien très largement, en tout cas au niveau de la capitale et des réseaux sociaux, poursuit-elle, ils ont gagné la bataille de l’opinion contre tous les partenaires occidentaux ».
Jeune Afrique