Et si la communauté internationale prouvait enfin, par des actions concrètes, son engagement à tenir les promesses d’accompagnement technique et financier faites à l’Afrique dès la COP21, à Paris en 2015 ?
Entre 2015 et 2022, les attentes du continent en matière d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques ont nettement augmenté alors que les promesses initiales, elles, n’ont pas encore été tenues. Au Sahel, par exemple, en sus de la pandémie de Covid-19, la crise sécuritaire est venue se superposer aux défis climatiques. Toute chose qui exacerbe la vulnérabilité des populations et des États compromet tous les efforts de développement et favorise les risques de basculement dans une instabilité politique et sociale profonde.
Chocs climatiques inédits
Le Rapport national sur le climat et le développement (CCDR) du Groupe de la Banque mondiale, rendu public en septembre dernier, précise que si des mesures adéquates ne sont pas prises rapidement, environ 13,5 millions de personnes supplémentaires devraient, d’ici à 2050, basculer dans la pauvreté dans les cinq pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad). Cette tendance est confirmée par une récente publication du Comité inter-État de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS, 2022), selon laquelle le nombre de personnes en situation de crise ou pire (CH Phase 3 ou supérieure) en Afrique de l’Ouest et au Sahel est passé de moins de 10 millions en 2016 à près de 38,2 millions en 2022 dans 17 pays CILSS/Cedeao couverts par l’étude.
Dans les pays du bassin du Congo, l’engagement de l’arrêt de la déforestation est fortement compromis par la faiblesse, voire l’absence, des mesures de compensation financière dues aux États et aux communautés riveraines. Les chocs climatiques d’une ampleur inédite (sécheresses successives, tempêtes tropicales) qui ont frappé l’Afrique, la Corne de l’Afrique et l’Afrique australe viennent mettre en évidence l’urgence d’agir pour soutenir la résilience africaine aux défis de l’adaptation et de l’atténuation des effets du changement climatique. Tel qu’il est ressorti du Sommet sur l’adaptation tenu le 5 septembre 2022 à Rotterdam, la COP27 doit redoubler d’efforts en matière d’adaptation en démontrant l’augmentation croissante des flux financiers internationaux en faveur de l’adaptation, en particulier à travers les programmes menés par les pays d’Afrique.
Le coût de l’inaction
Aux défis déjà existants s’ajoutent désormais les pesanteurs du contexte international, marqué par la guerre en Ukraine. Celle-ci a ainsi accru les risques d’insécurité alimentaire dans plusieurs régions du continent. Selon les chiffres des Nations unies, environ 41 millions de personnes se trouvent aujourd’hui en situation de vulnérabilité alimentaire en Afrique. Les chaleurs extrêmes enregistrées devraient avoir une incidence négative sur la production agricole mondiale : l’Afrique ne sera pas épargnée par ce phénomène. De plus, la situation actuelle a également mis en évidence une trop grande dépendance alimentaire du continent.
Les chiffres de la Banque africaine de développement évaluent les importations totales des produits alimentaires du continent à quelque 64 milliards de dollars (63,8 milliards d’euros) chaque année. De même, 30 États africains dépendent de 50 à 100 % des exportations du blé et du maïs des belligérants du conflit ukrainien, lequel induit naturellement une hausse des prix de certaines denrées alimentaires de l’ordre de 30 % depuis le 24 février 2022, date du début de cette guerre.
Ajoutés à la crise mondiale de l’énergie, qui n’épargne pas l’Afrique, ces aléas ont créé une inflation dont l’onde de choc fait courir des risques pour la stabilité de certains États africains. Il y a de toute évidence urgence à venir en aide massivement et qualitativement à l’Afrique. Alors qu’elle ne contribue que pour 4 % au émissions de gaz à effet de serre, l’Afrique est la région la plus vulnérable aux effets du changement climatique. Sur les dix États les plus vulnérables aux changements climatiques dans le monde, sept se trouvent en Afrique.
L’adaptation est le principal défi du continent africain pour atteindre son plein potentiel de développement
L’ensemble des pays du continent réunis ne capte chaque année que 4 % du financement privé et public disponible. Pour rappel, il était ressorti du pacte climatique de Glasgow de la COP26 la volonté de doubler le financement mondial de l’adaptation d’ici à 2025. Il est décisif de travailler dans ce sens particulièrement pour le continent africain, dont l’adaptation est aujourd’hui le principal défi pour atteindre son plein potentiel de développement. Le coût de l’inaction est, à terme, plus élevé que celui de l’action, en particulier d’une action concertée, organisée et ciblée.
Mesures ciblées et adaptées
Inverser cette tendance suppose que la solidarité avec l’Afrique se manifeste concrètement et efficacement à travers des mesures adaptées, ciblées et adéquates à mettre en œuvre à trois niveaux. Il sera essentiel de mettre en place toutes les mesures visant à renforcer la résilience de l’Afrique au changement climatique. Il faudra définir la ou des initiatives nationales, régionales ou continentales qui correspondent le plus au contexte.
D’abord, au plan national, l’appropriation et l’intégration des CDN (contributions déterminées au niveau national) dans les actions, activités ou projets et programmes de l’aide internationale. En effet, toute initiative qui s’alignerait avec ce qui aura été identifié par les pays eux-mêmes comme priorité pour faire face aux défis du changement climatique sera déjà un pas en avant. De manière générale, en soutenant, notamment, les réformes dans le secteur agricole pour stimuler la production agricole, les initiatives en faveur de la préservation et de la restauration des terres, les initiatives visant à soutenir le monde rural et favoriser son accès à l’énergie et à l’eau tout en développant la e-agriculture, moins polluante et moins dépensière en eau, les réformes foncières visant à favoriser l’accès des femmes aux terres, etc.
Ensuite, au plan régional, il faudrait cibler le soutien technique et financier à des organisations inter-États et aux communautés économiques régionales. Il ne fait guère doute que le renforcement de l’assistance technique et budgétaire à des organisations telles que le Comité inter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS), la commission pour la gestion durable et concertée des forêts du bassin du Congo (Comifac, Commission des forêts d’Afrique centrale) ou l’autorité intergouvernementale pour le développement (Igad) de l’Afrique de l’Est apportera une valeur ajoutée aux efforts d’adaptation et d’atténuation de l’Afrique aux effets du changement climatique, en favorisant une action collective.
Les rapports nationaux et régionaux sur le climat et le développement (CCDR) du Groupe de la Banque mondiale (GBM) offrent en outre des opportunités d’approche pour intégrer le climat et le développement, ainsi que la nécessité de se concentrer sur l’adaptation et la résilience, compte tenu des vulnérabilités climatiques importantes dans les secteurs de l’agriculture, de la foresterie et des infrastructures. Nos États et institutions régionales devraient se les approprier.
Le levier de la Zlecaf
Des mesures et des décisions seront nécessaires au plan continental. À cet égard, la Zone de libre-échange continentale (Zlecaf) offre une véritable opportunité de bâtir des économies africaines plus résilientes et mieux adaptées aux défis du changement climatique. Le reste du monde doit accompagner les efforts de l’Afrique dans cette direction. Le continent devrait, pour sa part, développer très largement ses mécanismes d’alerte précoce et anticiper les chocs climatiques, qui handicapent aujourd’hui sévèrement son développement.
La contribution du secteur privé, au moyen de méthodes innovantes, sera décisive pour l’avenir du continent
Ainsi, il serait fort utile que des structures qui y travaillent, comme le Centre régional Agrhymet en zone sahélienne, soient largement soutenues. Plus spécifiquement, la sécurité et la souveraineté alimentaire du continent nécessitent que les États africains mettent en œuvre la Déclaration de Malabo, par laquelle ils s’étaient engagés, en 2014, à consacrer 10 % de leur budget d’ici à 2025 à l’accélération et la transformation de l’agriculture africaine. À ce jour, seuls le Ghana, le Mali, le Maroc et le Rwanda sont en passe d’atteindre cet objectif.
Par ailleurs, à tous les niveaux, le renforcement de la capacité des acteurs impliqués dans la gestion des défis climatiques est capital. En effet, aligner les enseignements généraux, techniques et professionnels au besoin de la réalité climatique permettra de saisir plus d’opportunités pour atténuer ses effets néfastes sur la vie de nos populations.
Enfin, l’Afrique fera certainement sa part. Toutefois, l’accompagnement de la communauté internationale restera à la fois indispensable et décisif, plus particulièrement sur la question du financement de l’action climatique. Dans un contexte de limitation de ressources concessionnelles, la contribution du secteur privé, au moyen de méthodes innovantes, sera décisive pour l’avenir du continent. Quoique la COP de Charm el-Cheikh ne représente pas l’occasion de la dernière chance, elle y ressemble incontestablement.
jeuneafrique