Papy Kimoto, l’ancien international congolais, aujourd’hui entraîneur de l’US Maniema, a tenu à témoigner dans l’enquête sur la pédocriminalité publiée par Romain Molina, les 3 et 11 novembre sur le site sportnewsafrica.com, et qui semble être un véritable fléau en RD Congo. Il explique pourquoi il a souhaité contribuer à briser le silence.
L’article de Romain Molina fait-il beaucoup de bruit en RD Congo ?
Oui. C’est devenu un sujet de discussion. Et ce n’est pas terminé, puisque Romain Molina en a publié un second quelques jours plus tard. Il faut que les choses sortent. Des gens m’appellent pour me dire que j’ai eu raison de participer à cette enquête, qu’il fallait parler. D’autres, moins nombreux, me le reprochent, me disent que je n’aurais pas dû donner des noms d’entraîneurs coupables d’agressions sur des mineurs ou des joueurs plus âgés.
Avez-vous reçu des menaces ?
On peut le dire, mais ce n’est pas grave. J’assume sans problème. Et là où je suis, je suis tranquille. Ce qui me dérange vraiment, c’est que ma femme, qui vit à Kinshasa avec nos enfants, a reçu plusieurs coups de téléphone anonymes et menaçants. J’ai préféré les mettre à l’abri et leur faire quitter la capitale pour des raisons de sécurité. Tout cela montre à quel point cette enquête dérange. Molina a fait du très bon travail, il a apporté des preuves. On dispose de plusieurs enregistrements audio, de messages Facebook, qui montrent clairement que des actes de pédophilie ont été commis sur de jeunes joueurs, des mineurs. Il faut dire les choses : nous sommes face à un véritable réseau.
Quand avez-vous pris conscience de la gravité de la situation ?
J’ai fait quasiment toute ma carrière en Belgique, à Chypre et en Israël. Je suis revenu en RD Congo pour entraîner, en 2014, et progressivement, j’ai compris que des choses se passaient. Je me souviens d’un jour où un entraîneur avait abusé d’un gamin… C’était il y a un peu plus de deux ans, quand je coachais l’équipe de Renaissance. C’était un jeune joueur d’une académie de foot. Il y avait beaucoup d’agitation, la police était là, le gosse était effondré. Cela m’avait marqué. Puis, comme je fais partie de l’Amicale des entraîneurs, j’avais, lors d’une réunion avec des dirigeants de la fédération, parlé de ces abus. Mais ni le président (Donatien Tschimanga), ni le vice-président (Théo Binamung) n’ont réagi, alors que je leur demandais, avec d’autres, de faire quelque chose pour que ça cesse. Il fallait protéger ces enfants, ces joueurs ! Cela ne pouvait pas durer.
Vous arrive-t-il de vous dire que vous auriez peut-être pu alerter la presse plus tôt ?
En effet. Je me suis tu sans doute pendant trop longtemps. J’aurais dû parler avant. Mais en RD Congo, je n’ai pas l’impression que la presse s’intéresse vraiment au problème. C’est quand même fou que ce soit un journaliste français, qui vit à 8000 kilomètres de là, qui réussisse à recueillir des témoignages, des preuves, qui sorte une telle affaire…
Comme cela est écrit dans l’article, on a l’impression que le chantage sexuel, dans le football congolais – comme dans d’autres pays, puisque Romain Molina avait publié une enquête similaire sur le Gabon – fait presque partie des habitudes…
Oui, et c’est cela qui est terrible. Moi, je suis né en RDC, j’ai commencé à y jouer avant d’aller en Europe, et je n’ai jamais été confronté à cela. Mais aujourd’hui, comme vous le dites, c’est devenu quelque chose de répandu. Il y a des entraîneurs qui sont très clairs : si les joueurs n’acceptent pas un sacrifice, c’est-à-dire une relation sexuelle, ils ne peuvent pas espérer jouer ou signer un contrat. Vous avez entendu certains messages envoyés par un de ces entraîneurs à un joueur ?
Oui…
Et il y a des entraîneurs qui vont dire à des gamins que c’est normal, que si Lionel Messi ou Cristiano Ronaldo font une si belle carrière, c’est parce qu’ils ont accepté un sacrifice… Vous vous rendez compte ? En plus, ces entraîneurs ciblent surtout des joueurs qui viennent de milieux très défavorisés, pour qui le football représente un moyen de s’en sortir. Et souvent, ces gamins ne veulent pas parler, car ils ont peur. Ils sont dégoûtés du football, ils ne veulent plus y jouer.
Visiblement, certains entraîneurs cités dans l’article sont connus pour être de véritables prédateurs sexuels, ce qui ne les a jamais empêchés d’exercer… Il y a le cas de Guy-Roger Limolo, qui avait un jour été surpris en train d’abuser d’un joueur dans les toilettes du stade Tata Raphaël à Kinshasa…
Et cela ne l’a pas empêché de poursuivre sa carrière sans problème dans des clubs professionnels. C’est ça qui est incroyable. Ils se font attraper, sont chassés d’une province, vont dans une autre et ils recommencent ailleurs. Aujourd’hui, l’information circule vite. Les présidents des clubs ne peuvent pas ne pas être au courant. On a aussi le cas d’entraîneurs qui effectuent des peines de prison, pour agression sexuelle, et qui, une fois libérés, ouvrent une académie bidon dans un quartier et recommencent. Ce n’est plus possible, il faut éradiquer cela du football congolais.
Six entraîneurs cités dans le premier volet de cette enquête ont été suspendus à titre conservatoire par la fédération (Guy-Roger Limolo, Tifo Miezi, Alain Kandudi, Bertin Makuzueto, Cédric Dongo Epapa et Jonathan Buka). Celle-ci a décidé d’ouvrir une enquête, alors que l’État congolais, par la voie du ministre des Sports, a demandé que le ministère de la Justice saisisse le procureur…
J’espère que tout cela va contribuer à faire tomber ces réseaux. Que la commission qui va mener l’enquête pour la fédération sera totalement indépendante. Il faut que les coupables soient arrêtés et sévèrement punis. Qu’ils soient mis hors d’état de nuire et qu’ils ne puissent plus jamais entraîner. Moi, je suis prêt à collaborer avec ceux qui veulent mettre fin à cela…
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