Plus le temps passe, plus les conséquences des gaz à effet de serre deviennent évidentes et préoccupantes.
Même s’il est aujourd’hui acquis que l’accumulation de gaz à effets de serre va immanquablement avoir des conséquences désastreuses, les chercheurs s’attendaient à ce que cette situation ait au moins un avantage. Vous savez probablement que les plantes vertes consomment du dioxyde de carbone en pratiquant la fameuse photosynthèse indispensable à notre existence ; puisque cette ressource sera de plus en plus abondante, les plantes pourraient s’adapter en développant des modes de photosynthèse encore plus efficaces, ce qui pourrait rendre les cultures encore plus productives.
Mais une nouvelle étude suggère désormais qu’en parallèle, ce gaz pourrait aussi avoir des effets plus discrets mais diamétralement opposés. C’est en tout cas la conclusion des travaux de l’équipe d’Alain Gojon, directeur de recherche à l’Institut des Sciences des Plantes à Montpellier.
La photosynthèse, un mécanisme vital
Très sommairement, le processus de photosynthèses permet aux plantes vertes de convertir un mélange d’eau et de CO2 atmosphérique en glucose grâce à la lumière du Soleil, grâce aux chlorophylles qui leur donnent leur couleur. Le sucre est ensuite métabolisé pour produire de l’énergie, mais aussi d’autres substances indispensables. On peut par exemple citer la cellulose, principal constituant des parois des cellules végétales.
Mais le problème, c’est que la photosynthèse ne se suffit pas à elle-même. Pour grandir, les plantes ont aussi besoin d’autres espèces chimiques qu’elles ne peuvent pas produire grâce à ce processus. On peut par exemple citer le fer, le phosphore, mais aussi et surtout l’azote ; ce dernier est extrêmement important, car c’est un composant crucial des acides aminés qui servent ensuite à produire des protéines.
Or, ces derniers sont indispensables pour produire les tissus de la plante. En cas de carence, les végétaux sont donc exposées à des tas de problèmes de croissance… et ils ne seraient pas les seuls à en souffrir. Car sans rentrer dans le détail du métabolisme, ce qu’il faut retenir, c’est que les qualités nutritionnelles des plantes chlorophylliennes dépendent en grande partie de cet approvisionnement en azote.
Un lien contre-intuitif entre le CO2 et la croissance des plantes
Or, il se trouve que de nombreuses études ont déjà mis en évidence un phénomène étrange; des chercheurs ont constaté que la concentration en nutriments des plantes avait significativement baissé au fil des années. Et cette dynamique concerne la planète entière.
Aujourd’hui, lorsqu’on observe ce genre de tendance à l’échelle globale, il s’agit d’une sorte de signal d’alarme ; cela conduit souvent les chercheurs à flairer un lien soit avec le réchauffement climatique en lui-même, soit avec l’accumulation de gaz à effet de serre qui en est à l’origine – à tort ou à raison.
Et d’autres études ultérieures ont fini par montrer une corrélation aussi contre-intuitive que préoccupante entre l’augmentation de la concentration atmosphérique en CO2 locale et la perte de minéraux chez les plantes. Une conclusion pour le moins étonnante, connaissant la façon dont les plantes utilisent et continueront d’utiliser ce gaz; mais d’après l’équipe de Gojon, le lien est assez évident. « Ce qui est clair, c’est que la teneur en nutriments des principales cultures utilisées partout sur Terre, comme le riz et le blé, est affectée négativement par l’augmentation du CO2 », explique l’auteur principal de ces travaux.
Reste encore à déterminer ce qui se trame en coulisses. Est-ce vraiment une conséquence discrète de l’augmentation du CO2 atmosphérique ? La question reste entière. Pour l’instant, il existe plusieurs théories qui cherchent à expliquer comment ce surplus pourrait interférer avec l’assimilation des nutriments, alors qu’en parallèle, ce gaz demeure absolument indispensable à la physiologie des plantes vertes. La plus populaire se base sur le fait que la concentration en CO2 n’a pas été aussi élevée depuis le Pliocène, une ère géologique qui a pris fin il y a… 3 millions d’années.
« Le CO2 est un changement environnemental auxquelles les plantes n’ont pas eu à répondre depuis au moins 3 millions d’années », expliquent les scientifiques dans leur papier. « Contrairement aux autres contraintes abiotiques (stress hydrique, température…), il n’y a eu aucune pression de sélection pour pousser les plantes à développer des réponses adaptatives ».
Pour l’instant, aucun consensus n’a encore émergé ; même si cette corrélation statistique est désormais bien documentée, ce scénario ne propose qu’une bribe de réponse. En l’état, personne ne peut affirmer dans quelle mesure l’augmentation du CO2 atmosphérique serait responsable d’une baisse de la concentration en minéraux des plantes.
Un mystère à résoudre de toute urgence
Ce qui est certain, en revanche, c’est que notre atmosphère ne va pas se débarrasser de ce surplus de dioxyde de carbone de sitôt. Et c’est hautement problématique ; car selon l’équipe de Gojon, cette tendance va donc très probablement avoir des conséquences regrettables. « Cela va avoir un impact fort sur la qualité de la nourriture et la sécurité alimentaire à l’échelle globale », affirme le chercheur.
Et comme souvent dans le cadre de la crise climatique, ce sont les régions les plus démunies qui en souffriraient le plus. « Dans les pays en développement, ça pourrait être un énorme problème parce que le régime de base dans ces régions n’est déjà pas riche en protéines, et les plantes qui poussent dans un milieu trop concentré en CO2 présentent 20 à 30 % de protéines en moins. »
Il reste une dernière conséquence délétère à mentionner, et pas des moindres ; il pourrait s’agir du point de départ d’un cercle vicieux comme on en trouve déjà des tas en climatologie appliquée. Cette perte de nutriments conduira à une croissance plus lente. À l’échelle globale, cela se traduira par une baisse globale du pompage de CO2 par les plantes. Cela signifie que la concentration atmosphérique en CO2 augmentera encore plus vite, ce qui diminuera encore la teneur en minéraux… et ainsi de suite.
Pour Gojon et son équipe, la conclusion est donc limpide : il est désormais très urgent de mener une enquête en profondeur pour déterminer l’origine de ce phénomène, ainsi que des pistes d’action concrète pour y remédier s’il s’agit bien d’une réponse au CO2.
Dans le cas contraire, il faudra trouver d’autres explications aux corrélations observées. Espérons que cet appel sera entendu, car quelle que soit son origine, cette dynamique pourrait avoir d’autres conséquences plus discrètes, mais tout aussi délétères.
EurekAlert