Médicaments : les pénuries, symptôme d’un modèle économique qui s’essouffle

Entre les traitements innovants vendus des dizaines de milliers d’euros et les pénuries de molécules essentielles comme les antibiotiques, le modèle économique du médicament pose de plus en plus la question de sa viabilité à long terme.

Les problèmes récurrents alimentent les remises en cause de la part d’ONG, et même d’industriels. En premier lieu, les pénuries, qui ne cessent de croître depuis une décennie dans le monde.

En 2021, l’Agence française de la sécurité du médicament (ANSM) a ainsi reçu 2.160 signalements de ruptures de stock et de risque de ruptures. Avec des problèmes notamment sur des insulines, essentielles dans le traitement du diabète, et sur les antibiotiques.

Vendredi, l’ANSM a évoqué de « fortes tensions » d’approvisionnement sur la forme buvable de l’amoxicilline, un antibiotique largement prescrit chez les enfants. Il y a quelques semaines, son homologue aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) avait fait de même.

Les molécules actuellement sous tension dans les pays riches manquent depuis longtemps dans les pays en développement, rappelle Gaëlle Krikorian, sociologue de la santé, qui vient de publier un essai sur la question: « Ce qui a changé, c’est que désormais les problèmes d’accès aux molécules se posent aussi dans les pays du Nord ».

« Ce qu’on qualifie souvent de +défaillance du marché+ se multiplie partout et il devient évident qu’il ne s’agit pas de défaillances ponctuelles du système », ajoute-t-elle.

– Dépendants des start-ups –

Les explications, multiples, sont connues: avec la mondialisation, la production des principes actifs –qui donnent leur efficacité aux médicaments– est désormais concentrée dans quelques pays en Asie. Un problème sur la chaîne de fabrication, et le système à flux tendu s’enraye.

Autre cause: faute de modèle économique pour certains médicaments, comme les antibiotiques, souvent déjà vendus sous forme générique, les gros laboratoires ont tendance à délaisser des maladies. Ou à négliger des marchés en développement, moins aptes à payer les molécules au prix fort.

D’un côté, des médicaments qui n’intéressent plus les laboratoires; de l’autre des traitements innovants ultra onéreux, qui eux, ne rencontrent pas de rupture d’approvisionnement mais pèsent sur le budget des systèmes de santé.

Face à cela, nombre d’ONG militent notamment pour la remise en cause des brevets. Médecins du Monde (MdM) attend ainsi mercredi une décision de l’Office européen des brevets, auprès duquel l’ONG a déposé un recours concernant un traitement contre l’hépatite C, initialement mis sur le marché à 41.000 euros par le laboratoire Gilead.

« Les industriels du médicament se sont désengagés de la recherche depuis les années 1980, et sont devenus dépendants de starts-up pour les brevets », qu’ils doivent racheter très cher, explique à l’AFP Olivier Maguet, responsable de la mission prix des médicaments à MdM.

– De vieux produits indispensables –

Résultat, dit-il, « des médicaments de tous les jours deviennent de plus en plus difficiles à trouver car ils sont moins rentables que les innovations et n’intéressent pas les industriels ».

La sociologue Gaëlle Krikorian propose dès lors de faire évoluer la législation, en réfléchissant « à la mise au point de droits collectifs (sur les brevets, ndlr), car la recherche médicale est, après tout, un effort collectif » (via le financement public de la recherche notamment).

Les ONG militent aussi pour davantage de transparence sur les prix, négociés entre chaque pays et chaque laboratoire en toute confidentialité.

Sans oublier la nécessité de conserver ou recréer une production régionale pour certaines molécules essentielles. C’est ce que veut faire le laboratoire français Delbert, qui commercialise une quinzaine de vieux médicaments, dont de l’amoxicilline sous forme injectable… Qu’il ne commercialise pas en France, où le prix fixé par les autorités est trop bas, à environ un euro la boîte, indique Thierry Hoffmann, directeur général de Delbert.

« A vouloir récompenser uniquement l’innovation, on oublie que le système de soin existe à travers de vieux produits, absolument indispensables dans l’arsenal thérapeutique », relève-t-il.

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