La Commission d’enquête sur l’Afghanistan ou l’Allemagne et ses « erreurs de jugement »

Trois experts ont été auditionnés par la Commission d’enquête du Bundestag sur la mission de la Bundeswehr en Afghanistan… qui a connu de nombreux ratés, entre 2001 et 2021.

Afghanistan | Des soldats de la Bundeswehr à Mazar-e-Charif (archive de 2018)

Les experts audtionnés par la commission d’enquête mettent en garde contre la répétition, au Mali, des erreurs commises en Afghanistan

Une commission d’enquête du Bundestag a commencé à se pencher sur les conditions de la mission de l’armée allemande en Afghanistan, au sein de la force internationale de l’Otan, qui a été déclenchée suite aux attentats du 11 septembre 2001 à New York. Cette mission a duré dix ans, de 2001 à 2021… et elle s’est soldée par une déconfiture des Occidentaux.

Un ancien diplomate: Michael Steiner, un officier à la retraite : Carl-Hubertus von Butler et un chercheur sur la paix et les conflits : Conrad Schetter. Voici les trois experts auditionnés hier (21 novembre) par la commission d’enquête du Bundestag. Et leur avis pourrait se résumer ainsi : « Il n’y avait pas grand-chose de bien dans la mission en Afghanistan ».

Photo prise le 11 septembre 2001 à New York lors des attentats sur le World Trade Center (archive)

Selon l’ancien conseiller du gouvernement allemand Michael Steiner, la Bundeswehr aurait surtout été envoyée en Afghanistan par solidarité avec les Américains

Les attentats du 11 septembre 2001 à New York

A l’époque des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, revendiqués par Al-Qaïda, le chancelier allemand s’appelle Gerhard Schröder et Michael Steiner travaille comme conseiller en sécurité du gouvernement fédéral.

Lors de son audition devant le Parlement, l’ancien diplomate déclare : « Nous ne sommes pas partis là-bas il y a vingt ans pour l’Afghanistan mais pour les Etats-Unis. »

La résolution 1368 des Nations unies met en avant la menace pour la paix mondiale. L’Otan active son article cinq pour mobiliser les alliés. Le président américain d’alors, George W. Bush, le dit clairement : Soit vous êtes avec nous, soit vous êtres contre nous dans la « guerre mondiale contre le terrorisme ».

Pour Michael Steiner, avec le recul, ces déclarations allaient « trop loin ». Et quand il s’est rendu aux Etats-Unis, une dizaine de jours après les attentats de New York, il a constaté que la population américaine criait vengeance. Mais à son avis, les Allemands n’avaient pas le choix dans ce contexte.

L’illusion d’une guerre démocratique à peu de frais

Michael Steiner qualifie d’erreur fondamentale « l’illusion – et je dirais même l’hybris […] qui nous a fait croire qu’on pourrait, venant de de l’extérieur, poser en peu de temps les jalons d’une société démocratique en Afghanistan, qui soit conforme à nos conceptions occidentales, sans trop de dépenses mais grâce à des soldats suréquipés ».

L’officier à la retraite Carl-Hubertus von Butler narre quant à lui ses mauvaises expériences personnelle avec la mission, dès le début. Il a dirigé jusqu’en juin 2002 un commandement avancé à Kaboul pour la mission internationale ISAF (International Security Assistance Force). Et il affirme qu’une préparation adéquate de l’armée allemande en amont de la mission n’a pas été possible, faute de coopération entre les différents services.

L'officier allemand Carl Hubertus von Butler était commandant d'un poste avancé (ISAF) en Afghanistan

L’officier allemand Carl Hubertus von Butler déplore le manque de préparation des soldats de la Bundeswehr avant leur envoi sur le terrain

Mauvaise préparation, mauvaise coordination

Il se souvient de « brèves instructions » émanant du ministère des Affaires étrangères à Berlin puis du départ, le 6 janvier 2002 pour l’Afghanistan. Selon l’ex-officier, les politiciens faisaient pression pour accélérer le mouvement arguant du fait que les Français et les Britanniques étaient déjà sur place. Il raconte que les soldats allemands ont trouvé cette façon de faire « très peu professionnelle ».

Il témoigne d’un « calme fantomatique » dans Kaboul après le départ des taliban. Les soldats de la Bundeswehr ne savaient pas à quoi s’attendre : où se trouvaient les dangers ? A qui faire confiance ? Comment réagirait la population civile?

Une fois les premières incertitudes passées, l’officier raconte toutefois que la population a majoritairement accueilli les soldats étrangers avec « gratitude ». Mais il avait toujours l’impression d’une mauvaise coordination politique et économique de la part des autorités allemandes. Ce qui a conduit, d’après lui, à « rater l’occasion » présentée par la mission.

A la frontière entre Pakistan et Afghanistan, quatre enfants afghans attendent dehors avec une femme voilée

Les Occidentaux n’ont pas assez bien compris la culture des Afghans, selon le chercheur Conrad Schetter

Trop peu de connaissance de la culture locale

Durant son audition, Carl-Hubertus von Butler fait un parallèle avec la situation au Mali. Selon lui, le « même échec » risque de se reproduire au Sahel, si la préparation n’est pas meilleure qu’en Afghanistan

Le troisième expert enfin, Conrad Schetter, reproche à l’alliance internationale son « manque de contextualisation historique ». Le chercheur regrette les lacunes des Occidentaux en matière de connaissance – et donc de compréhension – de la religion, de la culture et de l’économie locales.

L’Allemagne a cru agir en toute neutralité mais, explique le chercheur, cela aussi a été « une grave erreur de jugement ».

dw

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