Espace : un petit pas pour les fermes solaires spatiales, un grand pas pour le climat ?

Le budget record de plus de 17 milliards d’euros que l’Union européenne a accordé, mercredi, à l’Agence spatiale européenne doit notamment permettre d’explorer la possibilité d’installer des fermes de centrales solaires dans l’espace. Une idée de plus en plus en vogue car elle permettrait de mieux lutter contre le réchauffement climatique, d’après ses promoteurs.

C’est un budget en forte hausse que l’Agence spatiale européenne (ESA) a obtenu de Bruxelles. Les États membres de l’UE ont validé, mercredi 23 novembre, une enveloppe de 17 milliards d’euros sur trois ans – soit 17 % de plus qu’en 2019 – pour que le bras spatial de l’Europe puisse « rester dans la course » face aux Américains, aux Chinois ou encore aux Russes, a affirmé Josef Aschbacher, le directeur général de l’ESA.

Pour obtenir ces fonds, l’Agence avait fait miroiter des nouvelles missions vers la Lune, vers Mars, et une constellation européenne de satellites plus touffue. Dans ses cartons, elle a également d’autres projets plus confidentiels, dont l’un pourrait, selon ses promoteurs, aider à la fois à lutter contre le réchauffement climatique et contribuer à l’indépendance énergétique à l’égard de pays hostiles comme la Russie. Rien que ça.

La plus grande structure jamais construite dans l’espace
Le programme en question, Solaris, vise à générer de l’énergie en grande quantité depuis d’énormes fermes, ou centrales solaires, dans l’espace qui s’étendraient sur près de 2 km de long. « Il s’agirait de la plus grande structure jamais construite dans l’espace, à peu près 1 000 fois la taille de ce qu’on y a déjà bâti », précise Sanjay Vijendran, le physicien responsable du programme Solaris au sein de l’ESA.

Les fermes solaires spatiales sont un rêve d’astrophysiciens depuis que le concept a été pour la première fois formulé dans les années 1970. Il s’agit de construire des milliers de panneaux solaires pour les envoyer en orbite à plus de 30 000 km de la Terre, de capter les rayons du soleil – comme une ferme solaire traditionnelle –, puis de les transformer en « micro-ondes qui seraient transmises jusqu’à des antennes relais au sol capables de les retransformer en électricité afin d’approvisionner le réseau », résume Andrew Wilson, chercheur au laboratoire de concepts spatiaux de l’université de Strathclyde à Glasgow et cofondateur de Metasat UK, une start-up qui s’intéresse notamment aux questions d’énergies spatiales.

Un projet qui peut donner l’impression de relever de la science-fiction. En un sens, c’est le cas. L’ESA ne demande d’ailleurs pas encore de financer la création de ces fermes spatiales. « Nous voulons pour l’instant seulement pouvoir mener une étude de faisabilité pendant trois ans », précise Sanjay Vijendran. Un premier cap dont on ne connaît que le coût approximatif : quelques dizaines de millions d’euros.

Sanjay Vijendran espère vraiment que cette étape soit validée afin de pouvoir rester compétitif. En effet, il assure que « technologiquement on maîtrise la plupart des étapes », et que de plus en plus de pays commencent à entrer dans le vif du sujet. Aux États-Unis, l’université Caltech veut déployer un premier prototype de capteurs solaires pour l’espace en décembre, tandis que la Chine compte en envoyer un dans l’espace en 2028. Le Royaume-Uni a, quant à lui, décidé en juillet 2022, d’injecter trois millions de livres (3,47 millions d’euros) pour aider la recherche et les start-up à se rapprocher un peu plus du soleil et de son énergie.

Capter l’énergie du soleil 24h/24, 7j/7
Une course à la ferme solaire spatiale qui tient, en partie, à « l’urgence climatique », estime Andrew Wilson. « La COP27 a démontré que les investissements actuels dans les énergies renouvelables risquaient de ne pas suffire pour tenir nos engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre », pointe-t-il.

Les fermes solaires spatiales pourraient permettre de redresser la barre, veulent croire les défenseurs de cette technologie. C’est une solution 100 % renouvelable et, « contrairement à l’énergie solaire et éolienne sur Terre, elle n’est pas intermittente », explique Sanjay Vijendran. Autrement dit, ces fermes qui flottent au-dessus des nuages peuvent « capter l’énergie en continu, sauf pendant les rares périodes d’éclipse solaire », note Andrew Wilson.

Un avantage sur le solaire et l’éolien terrestres. « Quand il fait nuit ou que le vent ne souffle pas, il n’y a pas de création d’énergie solaire ou éolienne, ce qui signifie qu’il faut bâtir des unités de stockage afin d’assurer une fourniture continue d’électricité. Mais on ne sait absolument pas si on pourra en construire de taille suffisante pour que ces énergies renouvelables permettent de remplacer entièrement les sources fossiles », précise Sanjay Vijendran.

La guerre en Ukraine aurait aussi « permis de prendre conscience du risque des sources d’énergie liées à un territoire qui peuvent mener à des quasi-monopoles, comme dans le cas de la Russie en Europe », poursuit Andrew Wilson.

Les fermes spatiales pourraient être gérées par la communauté internationale et avec des antennes de réception installées partout dans le monde. Il pourrait alors être possible de répondre rapidement à des situations d’urgence. « Par exemple, s’il y avait une catastrophe naturelle privant entièrement un pays d’électricité, on pourrait rediriger tous les satellites qui transmettent l’énergie solaire vers cette zone », veut croire Andrew Wilson.

Enfin, les fusées ne sont plus aussi chères qu’avant. SpaceX et ses lanceurs réutilisables sont notamment passés par là. L’addition n’est donc plus aussi salée. « Dans le passé, les prix estimés allaient jusqu’à 10 000 dollars par kilogramme envoyé dans l’espace, alors que les lanceurs modernes permettent de ramener les coûts à environ 2 000 dollars par kilogramme », détaille Andrew Wilson.

Le coût et le défi technologique
Malgré ces économies importantes, le coût reste un obstacle majeur. L’une des estimations les plus récentes – réalisées en 2014 par le gouvernement américain – estimait qu’il fallait compter « plusieurs dizaines de milliards de dollars pour lancer tous les panneaux solaires dans l’espace ».

Mais ce n’est pas le seul problème, reconnaît Sanjay Vijendran. L’autre incertitude tient au gigantisme d’une telle entreprise. « On a pu prouver que toutes les technologies nécessaires fonctionnaient, mais il faut encore pouvoir tout maîtriser à une si grande échelle », résume-t-il.

Ainsi, l’assemblage des panneaux solaires devra être réalisé par des robots autonomes dans l’espace. « On sait que cela fonctionne, mais là il est question d’un gigantesque chantier, et c’est un sacré challenge d’ingénierie », souligne le responsable du programme Solaris de l’ESA.

Idem pour le transfert sans câble de l’énergie depuis l’espace vers la Terre. « Il y a un mois, la faisabilité a été démontrée, mais sur une distance bien moins importante », note Sanjay Vijendray. Un transfert sans fil d’énergie a été réalisé dans un laboratoire du géant aéronautique Airbus à Munich (Allemagne) entre deux points distants de 36 mètres. L’électricité ainsi générée a servi à illuminer un village en modèle réduit. Mais encore faut-il parvenir à faire de même sur une distance de plus de 30 000 km.

Pour certains, ces défis font que les centrales solaires dans l’espace relèvent encore et toujours de doux rêves de scientifiques. « C’est aussi fascinant que spéculatif. Entre les doutes technologiques et la question du coût, ne faudrait-il pas mieux accélérer et accroître les investissements dans les énergies vertes comme l’éolien et le solaire [terrestres] ? », s’interroge sur Twitter Doug Parr, le responsable scientifique de Greenpeace au Royaume-Uni.

Pour Sanjay Vijendray, c’est un mauvais procès qui est fait à ce programme : « On n’a jamais dit qu’il fallait remplacer les investissements existants dans les énergies renouvelables terrestres, mais [qu’il fallait] ajouter ces panneaux solaires spatiaux dans le mix énergétique grâce à des financements complémentaires. »

Andrew Wilson reconnaît que c’est une entreprise de très grande envergure, mais « autant s’y mettre rapidement si on veut mettre toutes les chances de notre côté pour réduire suffisamment les émissions d’ici 2050 ». « C’est un peu comme le barrage des Trois-Gorges [la plus grande centrale hydroélectrique au monde, située en Chine, NDLR] pour ce qui est de l’ambition… sauf que les fermes solaires spatiales bénéficieront à tout le monde », conclut-il. Il sera même possible de les utiliser pour fournir de l’électricité sur la Lune, précise l’ESA.

france24

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