Ces travaux pourraient conduire à l’émergence d’une nouvelle gamme de matériaux aux propriétés exceptionnelles.
Des chercheurs chinois affirment avoir développé une nouvelle céramique révolutionnaire, avec des propriétés assez uniques. Elle est aussi résistante que les autres matériaux de ce genre, mais il est aussi possible de la plier comme du métal — et cela pourrait bien changer la vie de nombreux ingénieurs.
Pour les amateurs d’arts manuels, le terme céramique désigne généralement des objets en terre cuite, ou par extension, la technique qui permet de les confectionner. Mais c’est aussi une branche à part entière de la science des matériaux; on parle alors de céramique technique. Elle s’intéresse à la structure et aux propriétés de matériaux bien particuliers, à base de minéraux qui n’appartiennent pas à la famille des métaux.
Les céramiques, des matériaux de rêve
Dans ce contexte, on ne parle plus de simple argile. Les chercheurs en science des matériaux travaillent avec des éléments moins communs; on peut citer l’alumine ou le dioxyde de zirconium, qui présentent des propriétés très intéressantes.
Il en existe des tas de variantes aux propriétés diverses et variées. Mais en règle générale, la plupart des céramiques ont tendance à être extrêmement dures et résistantes à l’usure ainsi qu’à l’oxydation. Ce sont aussi des isolants thermiques et électriques exceptionnellement efficaces.
La majorité des céramiques sont également non-magnétiques et chimiquement inertes. Cela permet de les utiliser à proximité d’autres équipements potentiellement problématiques sans le moindre risque. Elles ont aussi tendance à être un peu plus légères que les métaux purs. Et pour couronner le tout, il existe de très nombreuses céramiques biocompatibles ; elles n’interagissent pas avec les éléments présents dans le corps humain.
Cet ensemble de propriétés désirables a conduit de nombreuses industries à utiliser des céramiques. Vous mêmes, vous disposez peut-être d’une plaque de cuisson ou d’une couronne dentaire en céramique. Ces matériaux occupent aussi une place importante dans de nombreux domaines comme le médical, l’agroalimentaire, l’aérospatiale, les industries nucléaires et chimiques…
Mais il y a malheureusement une grosse contrainte qui freine encore certaines applications pratiques ; traditionnellement, les céramiques sont extrêmement rigides. Dans un métal, les atomes sont reliés par ce qu’on appelle une liaison métallique. Cette organisation permet aux atomes de glisser les uns par rapport aux autres, ce qui se traduit par une déformation.
Mais dans une céramique, on trouve ce qu’on appelle des liaisons covalentes. Très vulgairement, c’est une situation où les atomes sont plus ou moins menottés les uns aux autres par l’intermédiaire d’un électron partagé. Les particules sont donc forcées de rester en place selon une structure bien définie. Lorsque les contraintes mécaniques dépassent un certain seuil, les structures avec des liaisons covalentes ont donc tendance à rompre au lieu de se tordre. Et cela ne convient pas à tous les usages.
De nombreux chercheurs ont donc cherché (et réussi) à produire des céramiques relativement flexibles. Le concept n’est donc pas nouveau, loin de là. Mais les propositions de ce genre souffrent généralement de certains handicaps importants. Le plus souvent, il faut sacrifier une grande partie de la résistance mécanique pour atteindre un degré de flexibilité intéressant. Les spécialistes continuent donc d’explorer de nouvelles pistes. Ils espèrent ainsi découvrir une nouvelle super-céramique plastique (c’est-à-dire capable d’accepter une déformation, puis de revenir dans son état initial), mais toujours aussi solide.
Une “super-céramique” à la fois flexible et résistante
Et si l’on en croit les conclusions d’une équipe de chercheurs chinois de la National Natural Science Foundation, en Chine, ce matériau de rêve est en train de devenir une réalité. Dans le prestigieux magazine Science, ils affirment avoir conçu un nouveau matériau hybride aussi résistant qu’une céramique, mais avec la flexibilité du métal — une grande première dans ce domaine.
Pour y parvenir, ils ont commencé par créer une sorte de petit échafaudage à base de nitrure de silicium. C’est un composé chimique que l’on trouve notamment sous forme d’inclusion dans des petites météorites. Cette petite construction sert d’armature dans une matrice cristalline qui peut alterner entre deux états distincts ; l’agencement des atomes change lorsque le matériau est soumis à une force extérieure, avant de reprendre sa forme initiale lorsque la contrainte cesse.
En pratique, on se retrouve donc avec un matériau déformable qui conserve toutes les propriétés intéressantes des céramiques standard. Et les chercheurs s’attendent à ce que cela change la donne dans plusieurs branches de l’industrie. C’est en tout cas l’avis du professeur Chen (non, rien à voir avec l’icône de la série Pokémon !), auteur principal de ces travaux cité par le South China Morning Post.
Un potentiel très important dans de nombreuses branches de l’industrie
Il liste plusieurs de ces domaines, à commencer par l’aérospatiale. Ce matériau pourrait servir à construire des moteurs-fusées très résistants, légers, et capables de résister à des températures bien plus élevées que les alliages à base de nickel, de cobalt et de fer qui sont utilisés aujourd’hui. Cela permettrait d’augmenter l’efficacité de la combustion tout en réduisant la taille du système de refroidissement.
Cela vaut aussi pour les moteurs à combustion plus communs, comme ceux qui équipent les voitures actuelles. Dans ce contexte, les auteurs affirment qu’un moteur en céramique pourrait fournir une puissance plus importante tout en émettant moins de polluants grâce à une température de combustion plus haute.
Ce matériau pourrait aussi permettre de produire des pièces à destination d’appareils soumis à des contraintes mécaniques permanentes. Ils citent notamment les roulements d’éoliennes ou les pales qu’on trouve dans les turbines des avions. Ces contraintes se traduisent par une usure qui augmente considérablement les besoins de maintenance. Avec un matériau ultrarésistant comme cette céramique, la durée de vie serait beaucoup plus importante. Cela permettrait d’augmenter la fiabilité du système et la rentabilité des opérations.
Cette céramique pourrait aussi servir à réparer l’une des machines les plus élaborées au monde : le corps humain. Le nitrure de silicium est léger, biocompatible et exceptionnellement résistant à l’usure; il pourrait donc convenir à un nouveau genre de prothèse susceptible de durer une vie entière. À titre de comparaison, d’après ce document produit par un chirurgien orthopédiste parisien, la durée de vie d’une prothèse de genou standard tourne généralement autour de 25 ans.
La cerise sur le gâteau, c’est que d’après les chercheurs, cette céramique en nitrure de silicium est aussi relativement peu chère et facile à produire par rapport à de nombreux autres matériaux avancés de ce genre.
Ce matériau dispose donc d’un vrai potentiel concret. Les auteurs espèrent désormais l’améliorer encore davantage. Mais ils comptent surtout poser les bases d’une toute nouvelle famille de super-céramiques. Et ces dernières pourraient transformer complètement les industries en question. « Quand vous ouvrez une porte, il y a tout un nouveau monde derrière », s’enthousiasme Chen.
Cette interprétation semble partagée par d’autres spécialistes de la discipline, comme Erkka Frankber, de l’Université de Tampere en Finlande. Dans un article de commentaire également paru dans Science, elle estime que cette céramique pourrait « conduire à des matériaux plus légers et résistants que les meilleurs alliages actuels ». De quoi apporter une » révolution technologique dans de nombreuses industries », selon Chen. Il sera donc très intéressant de suivre l’évolution de cette niche scientifique ; d’ici quelques décennies, ces super-céramiques pourraient occuper une place importante dans le quotidien de l’humanité.
Science