L’utilisation de l’intelligence artificielle en santé est potentiellement révolutionnaire. Mais le domaine a aussi son lot de défis à relever. Une thématique abordée lors de la conférence « Numérique, intelligence artificielle, médecins et patients » de la conférence Santé Globale à Strasbourg.
Le numérique à l’hôpital avance à grands pas. Certains algorithmes y sont déjà capables de mieux diagnostiquer un cancer du poumon ou analyser une mammographie qu’un médecin. Cette technologie promet d’immenses avancées dans le futur, à condition de relever certains défis. Plusieurs acteurs et analystes du domaine, réunis lors de la table ronde « Numérique, intelligence artificielle, médecins et patients » de la conférence Santé Globale à Strasbourg, analysent les futurs challenges que le monde de la tech et le monde de la santé devront relever main dans la main.
Des données, oui, mais de qualité
« Pour avoir une bonne intelligence artificielle, il faut qu’elle fonctionne avec un bon algorithme. Et un bon algorithme se construit avec de bonnes données », explique Bernard Nordlinger, membre de l’Académie nationale de médecine et spécialiste de l’intelligence artificielle en santé. Les données de santé, récoltées par les hôpitaux et les structures de santé, doivent être calibrées, pertinentes et « nettoyées » de tout détail parasite qui perturberait leur interprétation. « On se souvient de l’intelligence artificielle Watson, créée par IBM, qui avait beaucoup déçu, notamment parce que les données de santé utilisées n’étaient pas idéales. »
Les scientifiques ayant travaillé avec ce programme avaient expliqué avoir eu beaucoup de mal à comprendre les dossiers médicaux des patients : acronymes à détailler, erreurs à corriger, phrases abrégées. Chaque information doit d’abord être mise en forme pour être correctement analysée par le système. « Le problème a été le même lors de la crise du Covid-19. L’intelligence artificielle n’a pas su trouver sa place car les données générées à ce moment-là n’étaient pas d’une grande qualité », regrette le spécialiste. A contrario, lorsque les données sont précises et bien formulées, elles peuvent même avoir leur place dans un essai clinique. Il existe aujourd’hui des groupes de contrôle, c’est-à-dire le bras d’une étude clinique qui ne prend pas de traitement, uniquement composés de données synthétique réalisées avec une intelligence artificielle. Une piste prometteuse.
Coopérer à l’international
Après leur développement et avant leur utilisation dans les structures de santé, les algorithmes sont soumis à de rigoureuses évaluation dans le cadre d’essais cliniques, comme lors de la mise au point d’un médicament. « Pour valider ces algorithmes, il faut une coopération internationale », estime Irene Buvat, directrice du Laboratoire d’imagerie translationnelle en oncologie au CNRS et directrice de recherche à l’Institut Curie. « Nous menons beaucoup de projets avec des partenaires européens pour construire des bases de données sur lesquels les algorithmes vont être développés. Mais l’étape de la validation avec d’autres pays est elle aussi cruciale. » La spécialiste explique que les différents protocoles et critères en vigueur dans chaque pays représentent une opportunité de parfaire une intelligence artificielle, afin qu’elle puisse être déployée dans les hôpitaux au niveau international.
Certains algorithmes sont construits grâce aux données de santé récoltées dans les hôpitaux, au chevet du patient. « Il faut donc être capable de collecter des données à l’hôpital mais aussi parfois obtenues par des objets connectés à distance », explique Jean Sibilia, PU-PH en rhumatologie aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg et à la Faculté de médecine de Strasbourg. « Les médecins doivent également être à niveau pour garantir l’éthique aux patients et les rassurer. Et enfin, ils doivent être capable d’analyser ces données. » Des objectifs qui peuvent être inclus lors de la formation initiale comme plus tard, dans le cadre de la formation continue. « Déontologie et protection des données sont des thématiques à aborder aussi bien avec les médecins séniors qu’avec la jeune génération qui a grandi dans le monde du numérique », reprend Jean Sibilia.
La cybersécurité doit être au rendez-vous
L’intelligence artificielle suppose de générer, à l’intérieur des centres de soin, des données de santé. Or celles-ci sont désormais menacées. Ces dernières années, les rançongiciels visant les hôpitaux se sont multipliés. Ces attaques informatiques paralysent les structures de soin et menacent la vie privée des patients, dont les « data » peuvent être revendues sur le dark net.
« On ne se demande pas si ça va arriver, mais quand, » confie Antoine Geissbühler, médecin chef du service de cybersanté et télémédecine des Hôpitaux universitaires de Genève. « Face à des systèmes vulnérables, nous devons réduire la surface d’attaque disponible pour les cybercriminels. Nous avons des hackers éthiques à nos côtés ainsi que des systèmes de surveillance intelligents, capables de détecter les comportements suspects avant une attaque massive. Un peu comme les banques capables de voir par recoupement lorsque l’utilisation d’une carte de crédit est anormale. » Les mises à jour informatiques pour rester à niveau et le travail en réseau entre hôpitaux font aussi partie des outils indispensables pour savoir limiter le risque d’attaque informatique.
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