Le Giec nous l’avait rappelé il y a quelques mois et l’OMM, l’Organisation météorologique mondiale, plus récemment. Le méthane (CH4) est le deuxième plus important contributeur au réchauffement climatique que nous connaissons actuellement. Flavia Sollazzo, directrice Senior, Transition énergétique UE, pour l’ONG Environmental Defense Fund Europe, nous raconte comment nos dirigeants se sont saisis de la problématique. La volonté est là. Il ne manque plus que les actions concrètes.
Le dernier Greenhouse Gas Bulletin publié par l’OMM, l’Organisation météorologique mondiale, début novembre 2022 le souligne. Jamais depuis le début des mesures il y a près de 40 ans, les concentrations en méthane (CH4) dans notre atmosphère n’ont été aussi élevées. Plus inquiétant encore, l’accélération marquée du rythme de l’augmentation de ces concentrations. Avec des hausses en 2020 et 2021 plus importantes qu’aucune autre année depuis 1983.
Le bilan net pour les émissions de gaz à effet de serre associé dépend aussi des fuites et des émissions associées à l'extraction, à la production, au transport. https://t.co/2s9MNiLL3r pic.twitter.com/yvOdmu96Ku
— Dr Valérie Masson-Delmotte (@valmasdel) February 22, 2022
Parce que rappelons que le méthane est un gaz à effet de serre (GES) au pouvoir réchauffant plus de 80 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone (CO2) si l’on considère une durée de vie de 20 ans. Les experts estiment ainsi que 30 % du changement climatique en cours est attribuable au CH4. Ce qui en fait ni plus ni moins que le deuxième gaz à effet de serre responsable du réchauffement climatique, après le CO2.
Outre son pouvoir réchauffant, le méthane (CH4) est aussi un gaz précurseur de l’ozone (O3) troposphérique, un gaz polluant et néfaste pour la santé. Ainsi, réduire nos émissions de méthane pourrait aussi aider à préserver la santé des habitants de notre planète. Près de 1 500 décès prématurés pourraient être évités en éliminant seulement une tonne de CH4 dans l’air.
Les experts de l’OMM le reconnaissent. Il reste difficile d’identifier les causes de l’augmentation observée des émissions de CH4 depuis deux ans notamment. Celle-ci pourrait être essentiellement d’origine biogénique. Provenir, par exemple, d’une décomposition accrue de matière organique dans les zones humides qui, sous l’effet du changement climatique, deviennent plus chaudes et plus humides.
Le terme « low-hanging fruit » désignant un objectif facile à atteindre puisque nous disposons des technologies permettant de réduire les émissions de méthane. C’est l’image du fruit qui pend le plus bas et qui est donc le plus simple à cueillir. Parce que réduire les émissions de CH4 aura un effet à la fois rapide et proportionnellement important sur le réchauffement climatique. Du fait du pouvoir réchauffant important de ce GES sur le court terme.
ICI, LA RÉPARTITION DES ÉMISSIONS DE MÉTHANE (CH4) ANTHROPIQUES.
Réduire les émissions du secteur de l’énergie
« Les accords se multiplient et les solutions techniques sont disponibles. Il ne manque plus que des actions concrètes. Nous en avons besoin. Parce que réduire nos émissions de méthane, ça demande du temps. Et que du temps, nous n’en avons plus. 2030, c’est déjà demain. » Les accords se multiplient ? Oui. D’abord, « quelques pays supplémentaires ont signé le Global Methane Pledge depuis un an. Parmi eux, quelques gros émetteurs comme l’Australie, nous précise Flavia Sollazzo. Les États-Unis ont présenté leur propre programme de réduction des émissions de CH4 l’été dernier. Lors de la COP, la réunion ministérielle du Global Methane Pledge a montré que partout dans le monde, les dangers liés aux émissions de méthane font leur chemin, lentement mais surement. À titre d’exemple, le Canada, quatrième producteur mondial de pétrole et de gaz, a annoncé de nouveaux engagements et même la Chine a fait une intervention sur les plans nationaux ».
L’Europe n’est pas en reste. Elle a fait ses propositions dans la foulée du Global Methane Pledge. « En tant que gros importateur de gaz, ce que nous faisons en la matière a vraiment de l’importance », souligne Flavia Sollazzo. Avant d’appeler à afficher pour l’Europe, les mêmes ambitions que celles de l’Oil and Gas Methane Partnership 2.0 signé en 2020 sous l’égide du Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP). « Si les principales sociétés pétrolières et gazières du monde s’accordent sur ces standards, c’est bien qu’elles sentent qu’elles peuvent y arriver. »
Nouvelle étape diplomatique importante franchie à l’occasion de cette COP27, une déclaration conjointe des importateurs et exportateurs d’énergie sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre provenant des combustibles fossiles. « Il est encourageant de voir ces différents pays unir leurs forces et confirmer leur engagement. Si nous travaillons ensemble, les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat sont encore à portée de main, nous assure Flavia Sollazzo. Nous attendons maintenant avec impatience que cela se traduise concrètement par des obligations strictes en matière de mesure, de notification et de vérification (MRV), de détection et de réparation des fuites (LDAR) et de limitation des pratiques de ventilation et de torchage. L’année à venir sera cruciale. »
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Alors justement, revenons à l’aspect plus technique de la question. Les experts de l’ONG EDFE avancent que les technologies déjà disponibles sur le marché pourraient permettre de réduire assez facilement les émissions de méthane du secteur de l’énergie de 45 % d’ici 2030. Comment ? En agissant finalement seulement sur deux ou trois leviers essentiels.
La détection et la réparation des fuites, tout d’abord. Oui, vous lisez bien. Il y a des fuites de méthane dans les pipelines. Des fuites, qui plus est, sont faciles à réparer. Et selon l’ONG EDFE, passer à une surveillance mensuelle des pipelines qui ne sont pour l’heure visités que trimestriellement pourrait suffire à réduire de 10 % les émissions de CH4. Si tous les composants qui présentent une fuite sont réparés. Y compris ceux responsables de « petites » fuites et qui ne sont, jusqu’à présent, pas visés par la législation proposée.
« Réparer les fuites, ça a un coût, me direz-vous. Et en période de crise énergétique, difficile de se permettre d’investir dans l’entretien des pipelines ? Pourtant, les bénéfices pourraient être doubles. Non seulement pour le climat, mais aussi pour les portefeuilles. Parce qu’il y a deux ans déjà, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estimait que la réparation des fuites pourrait se faire à un coût neutre. Moins de méthane qui part dans l’atmosphère, c’est en effet autant de méthane en plus à vendre au consommateur. L’une des suggestions de l’Europe dans son plan REPowerEU est d’ailleurs de garantir à ceux qui investissent pour limiter les fuites, d’acheter le CH4 ainsi préservé. »
Dans le même état d’esprit, deux pratiques du secteur semblent à bannir : l’évacuation et le torchage du méthane. « Les compagnies pratiquent historiquement l’évacuation et le torchage du gaz pour une question de pression à maintenir dans les pipelines. Mais, dans les faits, il s’avère que ce n’est pas si indispensable que ça. Les compagnies y ont aussi recours lorsque le méthane n’est pour elles qu’un co-produit dont elles n’ont que faire », nous explique Flavia Sollazzo. Dans le contexte actuel, cela ne semble plus vraiment opportun. Ni d’un point de vue climatique, ni même d’un point de vue économique. Ainsi évacuation et torchage ne devraient, à l’avenir, être autorisés que dans des situations d’urgence exceptionnelles. « Sécurité énergétique et transition écologique ne sont pas antinomiques. Elles se rejoignent même. Et elles peuvent aller ensemble. Ceux qui ne le comprennent pas font erreur », conclut Flavia Sollazzo.
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