D’où viennent la matière et la lumière du rayonnement fossile ? Les physiciens ont des idées à ce sujet depuis le début des années 1960 et ces idées ne sont pas sans relation avec le rayonnement des trous noirs. Certaines pistes, issues de la théorie quantique des champs en espace-temps courbe, viennent d’être testées pour la cosmologie avec un condensat de Bose-Einstein en laboratoire sur Terre.
Pouvait-on se servir de ces processus dans le cadre de la cosmologie relativiste d’Einstein pour expliquer l’origine de la matière ?
Une création de matière produite par des espaces-temps dynamiques
La réponse est oui et paradoxalement, alors qu’il s’agit en fait de processus décrits par une théorie quantique des champs dans un espace-temps courbe qui lui n’est pas quantifié, on le sait depuis les années 1960 avant que Stephen Hawking ne se serve de cette théorie au début de la décennie suivante pour découvrir la production de particules par des trous noirs portant désormais son nom sous le titre de rayonnement Hawking.
Fred Hoyle, à ce moment-là sans doute le meilleur théoricien britannique de la cosmologie derrière un Stephen Hawking dont l’étoile venait juste de commencer à briller, était connu comme l’auteur en 1948, avec Hermann Bondi et Thomas Gold, du désormais défunt modèle cosmologique stationnaire, modèle négateur de la théorie du Big Bang de Lemaître et Gamow.
Hoyle, Bondi et Gold avaient proposé dans ce modèle, qui dominait alors la cosmologie avant la découverte des quasars et surtout du rayonnement fossile, que le cosmos était infini dans le temps et l’espace, bien que paradoxalement en expansion. Il était donc absolument homogène dans l’espace et dans le temps puisque peu importe le lieu ou le temps auquel un observateur ferait des mesures à son sujet, il verrait toujours en moyenne les mêmes choses, sans qu’une évolution des galaxies ou de la matière soit vraiment notable.
Mais pour cela, Hoyle avait dû supposer qu’une création continuelle de matière devait se produire, conduisant à la naissance tout aussi continuelle de galaxies. Sans cette hypothèse, le cosmos se diluerait de plus en plus avec l’expansion.
Hoyle avait développé quelques équations pour rendre compte de certains aspects de cette création de matière mais elles étaient plus ou moins rudimentaires. Les travaux de Parker donnaient une description beaucoup plus précise et malheureusement, comme il l’a expliqué à Hoyle, ils ne permettaient pas une création suffisante de matière avec la vitesse d’expansion mesurée. Mais tout changeait avec une phase d’expansion primitive beaucoup plus rapide.
Des simulateurs d’espace-temps avec des condensats de Bose-Einstein
Directement, il ne semble pas, mais tout comme dans le cas de tests indirects du rayonnement Hawking, le physicien canadien William Unruh, découvreur d’un rayonnement cousin de celui des trous noirs appelé depuis « effet Unruh » avait montré dès les années 1980 que les équations de la théorie quantique des champs en espace-temps courbe avaient des analogues avec des phénomènes dans des fluides et que l’on pouvait donc tester en laboratoire les idées et les calculs impliqués à défaut de vraiment pouvoir reproduire la création de particules dans les espaces-temps de la relativité.
De fait, depuis plus d’une décennie, on a bel et bien obtenu en laboratoire, notamment avec ce que l’on appelle des trous noirs soniques, les analogues non seulement du rayonnement Hawking mais aussi de l’effet Unruh. Des exemples célèbres ont été obtenus dans des condensats de Bose-Einstein. On ne sera donc pas surpris d’une publication récente dans Nature, et que l’on peut trouver en accès libre sur arXiv, faisant précisément état d’une avancée dans ce domaine permettant maintenant d’explorer la création de particules en cosmologie.
L’article parle de travaux réalisés par Markus Oberthaler de l’université de Heidelberg, en Allemagne, qui avec ses collègues a commencé par obtenir environ 20 000 atomes ultrafroids de potassium 39 en utilisant des lasers pour les ralentir et abaisser leur température à environ 60 nanokelvins, soit 60 milliardièmes de degré kelvin au-dessus du zéro absolu.
Ces atomes subissent alors une transition de phase qui les fait se comporter comme une seule onde quantique et plus précisément donc un condensat de Bose-Einstein. Il est possible de manipuler cette collection d’atomes de manière à y faire naître des processus décrits par des équations analogues à celles gouvernant la création de particules quantiques par un espace-temps courbe de la famille FLRW en expansion, plus précisément un espace-temps infini de type hyperbolique pour reprendre le jargon des physiciens relativistes.
Bien sûr, le condensat de BE n’est pas infini mais une partie de lui est décrite par des équations en rapport avec ce que l’on appelle le disque de Poincaré, c’est-à-dire un ensemble de points dans un disque en relation par une transformation mathématique avec les points d’un espace avec une géométrie hyperbolique. Il existe donc une sorte de dictionnaire entre les deux espaces, de sorte que l’on peut étudier l’un avec l’autre ce qui permet justement de traduire la théorie quantique des champs en espace-temps courbe dans l’espace hyperbolique en une théorie quantique avec des ondes sonores quantifiées contenant des cousins des photons, les phonons.
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