On a simulé en laboratoire la création de particules par le Big Bang

D’où viennent la matière et la lumière du rayonnement fossile ? Les physiciens ont des idées à ce sujet depuis le début des années 1960 et ces idées ne sont pas sans relation avec le rayonnement des trous noirs. Certaines pistes, issues de la théorie quantique des champs en espace-temps courbe, viennent d’être testées pour la cosmologie avec un condensat de Bose-Einstein en laboratoire sur Terre.

La théorie du  est un acquis définitif du début du XXIe siècle. Mais il en est ainsi si par théorie du Big Bang on entend la théorie qui dit que l’ observable, ce qui ne signifie pas la totalité de ce qui existe, était dans un état beaucoup plus dense et chaud, sans  et , il y a disons entre 10 et 20 milliards d’années. Il se pourrait donc que notre Univers observable ne soit qu’une région d’un  infini dans l’espace et dans le temps qui s’est un jour effondré gravitationnellement, à la façon d’une étoile donnant un trou noir, avant de rebondir dans une phase d’expansion après avoir atteint une densité limite mais finie.
Dans tous les cas on peut se poser la question de l’origine de la  et de la  du  que nous observons tout autour de nous. Les développements de la  et en particulier de la théorie quantique des champs des années 1925 à 1935 permettent d’imaginer des processus non seulement de création de quanta de lumière mais aussi de quanta de matière, les électrons des atomes et les quarks formant les  et les  étant alors des cousins des .

Pouvait-on se servir de ces processus dans le cadre de la  relativiste d’Einstein pour expliquer l’origine de la matière ?

Une création de matière produite par des espaces-temps dynamiques

La réponse est oui et paradoxalement, alors qu’il s’agit en fait de processus décrits par une théorie quantique des champs dans un  courbe qui lui n’est pas quantifié, on le sait depuis les années 1960 avant que  ne se serve de cette théorie au début de la décennie suivante pour découvrir la production de particules par des  portant désormais son nom sous le titre de rayonnement Hawking.

Leonard Parker y explique aussi que quelque temps après avoir passé sa thèse il a parlé à Fred Hoyle de sa découverte de la production de particules par des espaces-temps en expansion décrite par la fameuse famille de solutions des  d’Einstein dite de Friedmann-Lemaître-Robertson-Walker (FLRW) pour des modèles cosmologiques  et homogènes (donc apparaissant comme identiques pour tout observateur partout et regardant dans des directions différentes en ce qui concerne notamment la densité de particules moyennes et la  d’expansion à un moment donné de l’histoire du cosmos observable).

Fred Hoyle, à ce moment-là sans doute le meilleur théoricien britannique de la cosmologie derrière un Stephen Hawking dont l’étoile venait juste de commencer à briller, était connu comme l’auteur en 1948, avec Hermann Bondi et Thomas Gold, du désormais défunt modèle cosmologique stationnaire, modèle négateur de la théorie du Big Bang de Lemaître et Gamow.

Hoyle, Bondi et Gold avaient proposé dans ce modèle, qui dominait alors la cosmologie avant la découverte des quasars et surtout du rayonnement fossile, que le cosmos était infini dans le temps et l’espace, bien que paradoxalement en expansion. Il était donc absolument homogène dans l’espace et dans le temps puisque peu importe le lieu ou le temps auquel un observateur ferait des mesures à son sujet, il verrait toujours en moyenne les mêmes choses, sans qu’une évolution des  ou de la matière soit vraiment notable.

Mais pour cela, Hoyle avait dû supposer qu’une création continuelle de matière devait se produire, conduisant à la naissance tout aussi continuelle de galaxies. Sans cette hypothèse, le cosmos se diluerait de plus en plus avec l’expansion.

De gauche à droite, Thomas Gold, Hermann Bondi et Fred Hoyle au cours des années 1960. © 2022 <em>St John's College Cambridge</em>

Hoyle avait développé quelques équations pour rendre compte de certains aspects de cette création de matière mais elles étaient plus ou moins rudimentaires. Les travaux de Parker donnaient une description beaucoup plus précise et malheureusement, comme il l’a expliqué à Hoyle, ils ne permettaient pas une création suffisante de matière avec la vitesse d’expansion mesurée. Mais tout changeait avec une phase d’expansion primitive beaucoup plus rapide.

Peut-on tester les mécanismes de production de particules du fait de l’expansion de l’Univers proposés par Parker et ultérieurement par ses collègues ?

Des simulateurs d’espace-temps avec des condensats de Bose-Einstein

Directement, il ne semble pas, mais tout comme dans le cas de tests indirects du rayonnement Hawking, le physicien canadien William Unruh, découvreur d’un rayonnement cousin de celui des trous noirs appelé depuis « effet Unruh » avait montré dès les années 1980 que les équations de la théorie quantique des champs en espace-temps courbe avaient des analogues avec des phénomènes dans des fluides et que l’on pouvait donc tester en laboratoire les idées et les calculs impliqués à défaut de vraiment pouvoir reproduire la création de particules dans les espaces-temps de la relativité.

De fait, depuis plus d’une décennie, on a bel et bien obtenu en laboratoire, notamment avec ce que l’on appelle des trous noirs soniques, les analogues non seulement du rayonnement Hawking mais aussi de l’effet Unruh. Des exemples célèbres ont été obtenus dans des condensats de Bose-Einstein. On ne sera donc pas surpris d’une publication récente dans Nature, et que l’on peut trouver en accès libre sur arXiv, faisant précisément état d’une avancée dans ce domaine permettant maintenant d’explorer la création de particules en cosmologie.

L’article parle de travaux réalisés par Markus Oberthaler de l’université de Heidelberg, en Allemagne, qui avec ses collègues a commencé par obtenir environ 20 000 atomes ultrafroids de  39 en utilisant des lasers pour les ralentir et abaisser leur température à environ 60 nanokelvins, soit 60 milliardièmes de degré  au-dessus du .

Ces atomes subissent alors une transition de phase qui les fait se comporter comme une seule onde quantique et plus précisément donc un condensat de Bose-Einstein. Il est possible de manipuler cette collection d’atomes de manière à y faire naître des processus décrits par des équations analogues à celles gouvernant la création de particules quantiques par un espace-temps courbe de la famille FLRW en expansion, plus précisément un espace-temps infini de type hyperbolique pour reprendre le jargon des  relativistes.

Bien sûr, le condensat de BE n’est pas infini mais une partie de lui est décrite par des équations en rapport avec ce que l’on appelle le disque de Poincaré, c’est-à-dire un ensemble de points dans un disque en relation par une transformation mathématique avec les points d’un espace avec une géométrie hyperbolique. Il existe donc une sorte de dictionnaire entre les deux espaces, de sorte que l’on peut étudier l’un avec l’autre ce qui permet justement de traduire la théorie quantique des champs en espace-temps courbe dans l’espace hyperbolique en une théorie quantique avec des  quantifiées contenant des cousins des photons, les phonons.

En bonus, on dispose donc maintenant d’un laboratoire pour explorer des conséquences inconnues des équations de cette théorie que l’on n’a pas encore été capable de découvrir dans les équations par le calcul et le raisonnement.

futura

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