Astronautes : la proportion de femmes sélectionnées est plus importante que celle des femmes candidates

À l’occasion de la présentation de la nouvelle promotion d’astronautes de l’Agence spatiale européenne, nous nous sommes entretenus avec Jean-François Clervoy. Cet astronaute du Cnes et de l’ESA, toujours en activité et avec trois vols de navette à son actif, nous livre ses réflexions sur cette sélection. 

Lorsqu’en mars 2021, l’Agence spatiale européenne débute le processus de sélection de sa quatrième promotion d’astronautes, elle fait le pari d’attirer un large éventail de candidats, renforcer la diversité des genres dans ses rangs, et encourage vivement les femmes à postuler. Pour attirer ses nouveaux profils, elle annonce la sélection de plusieurs astronautes de carrière, la création d’une réserve d’astronautes, ainsi que la sélection d’un astronaute en situation de handicap . Concernant les femmes, l’idée est d’avoir une mixité plus équilibrée qui pourrait amener à environ un tiers d’astronautes féminines recrutées.

Comme nous l’explique , astronaute du Cnes et de l’ESA, avec trois vols de navette à son actif, « c‘est la première fois que l’ESA décide de répartir ces apprentis-astronautes en trois catégories ». Que ce soit sur les plans médicaux, psychologiques et intellectuels, le processus de sélection a été le même pour tous ces candidats. Ils et elles ont toutes et tous été « recrutés sur les mêmes critères sauf pour le parastronaute dont l’handicap des membres inférieurs — qui « ne servent à rien » dans l’espace — a été pris en compte ».

L’Agence spatiale européenne s’engage à faire voler au moins une fois chaque astronaute qu’elle recrute et si possible deux fois. Les trois astronautes de la sélection de 1977 ont totalisé huit vols, dont 4 pour Claude Nicollier. Cinq des six astronautes de la promotion de 1992 ont totalisé dix vols et les sept astronautes de 2009, encore actifs, totalisent déjà 11 vols.

C’est donc le Britannique John McFall, amputé d’une jambe après un  de  à 19 ans, qui prendra part au projet de parastronautes, une première au niveau mondial. Ce projet vise à étudier les possibilités de faire participer des astronautes porteurs de handicap physique à des activités liées aux , et peut-être à de futures missions spatiales. Concrètement, John McFall travaillera avec des chercheurs et des ingénieurs de l’Agence spatiale européenne pour « déterminer s’il peut être le premier astronaute en situation de handicap à aller dans l’espace ». Ensemble, ils devront « évaluer les efforts à faire dans les domaines de l’ingénierie et technique pour adapter les véhicules spatiaux et les équipements utilisés dans les vols habités à des personnes souffrant de handicap ».

L’autre avancée est sans aucun doute la sélection de deux femmes dans le corps des astronautes de carrière. En 2009, si la sélection de Samantha Cristoforetti respectait la proportion de femmes candidates par rapport au nombre d’astronautes sélectionnés, « cette fois-ci, la proportion de femmes sélectionnées est plus importante que la proportion des femmes candidates ». Cette arrivée des femmes dans le métier d’astronaute a été favorisée par l’évolution des mentalités et plusieurs facteurs qui sont devenus moins contraignants pour les amener à devenir astronaute.

L'astronaute italienne de l'ESA Samantha Cristoforetti lors d'une sortie dans l'espace (juillet 2022). © Nasa

Il faut se souvenir que les premiers astronautes étaient sélectionnés dans les rangs des pilotes de chasse en raison de la complexité des véhicules spatiaux. « On pensait que les pilotes étaient les mieux à même de piloter les véhicules spatiaux. » Ce n’est seulement qu’à la fin des années 1980 que les astronautes ont été recrutés sur des « critères élargis aux domaines scientifiques et techniques, tout en étant évalués sur leurs aptitudes psychomotrices ».

À cela s’ajoute qu’aujourd’hui, la sélection « ne se fait plus sur des critères de performances physiques ». Lors de la sélection des astronautes de la promotion 2009, « même les tests dits « physiologiques spéciaux » avaient été supprimés ». C’est le cas pour la « centrifugeuse, le tabouret tournant ou la chambre d’altitude » qui ne sont plus utiles car « on sait dire par les seuls examens médicaux qu’un candidat ou une candidate supportera le vol spatial ». Le seul test qui nécessite de faire un effort physique est « celui qui permet de vérifier que le système cardio-vasculaire fonctionne normalement ».

Malgré des critères physiques plus souples, l’ESA « ne s’est jamais trompé dans le choix de ses astronautes qui sont sélectionnés sur des critères psychologiques de plus en plus sévères ». Résultat, nos astronautes ne sont « pas nécessairement des champions sportifs », mais cela ne les empêche pas de devenir très bons, comme le reconnaît la . « Ce qui explique d’ailleurs que la promotion 2009 a volé très vite (six vols en seulement cinq ans). »

Des réservistes pour suppléer les astronautes de carrière

Autre nouveauté, la mise en place d’une réserve d’astronautes constituée de candidats qui, bien qu’ayant réussi toutes les épreuves du parcours de sélection, ne peuvent pas être recrutés dans l’immédiat. Ces « réservistes » resteront auprès de leur employeur actuel mais bénéficieront d’un contrat de consultant ainsi que d’une formation élémentaire. Bien que les « chances qu’ils volent dans le cadre d’une mission ESA soient tout de même très limitées », l’utilité du corps réserviste est bien réelle. Si une occasion de vol est identifiée, un ou plusieurs de ces réservistes entameront la formation de base.

Thomas Pesquet dans la piscine <em>Neutral Buoyancy Laboratory</em> (NBL) de la Nasa à Houston, utilisée pour l’entraînement aux sorties dans l’espace (avril 2013). © Nasa, ESA

Ce corps est essentiellement composé d’astronautes des « petits » États membres de l’Agence spatiale européenne qui n’auraient pas été sélectionnés pour intégrer le corps principal ou qui en souhaiteraient un deuxième. En effet, de nombreux États membres, dont la contribution au budget de l’ESA est limitée, ont bien moins de chances de voir un de leurs astronautes réaliser un vol habité avec l’ESA par rapport aux trois gros contributeurs que sont typiquement l’Allemagne, la France, et l’Italie. Et pour ceux qui ont déjà eu la joie de voir un de leurs concitoyens voler dans l’espace, les chances sont encore moindres. Deux situations qui n’empêchent évidemment pas de sélectionner des astronautes en dehors de ces pays, « comme ce fut le cas en 2009 lors de la sélection du Britannique Timothy Peake ».

De la Terre à la Lune sans passer par l’ISS

L’annonce de ces nouveaux astronautes coïncide avec le succès du lancement de la mission Artemis I qui emporte vers la  la capsule Orion équipée du module de service européen. Cela nous amène à la question de savoir où voleront ces futurs astronautes.

Cette nouvelle promotion est « chanceuse en quelque sorte » car elle se « trouve à cheval entre deux ères, celle de l’ qui s’arrêtera à la fin de cette décennie et celle des missions Artemis qui s’ouvre pour plus longtemps ».

Concrètement, parmi ces nouveaux astronautes, certains « séjourneront à bord de la Station et d’autres s’aventureront autour de la Lune, et peut-être que l’un ou l’une d’entre eux marchera sur la Lune, mais cette dernière possibilité n’est pas actuellement prévue dans les accords Artemis signés entre la Nasa et l’ESA ». À l’époque d’, une « majorité d’astronautes sont allés vers et sur la Lune pour leur premier et dernier vol ». Ce n’est donc pas indispensable « d’avoir déjà fait un vol spatial en orbite terrestre pour participer à une mission lunaire ».

futura

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