Covid-19 : comment Omicron a-t-il évolué depuis son émergence il y a un an ?

Il y a un an, le 26 novembre 2021, l’Organisation mondiale de la santé désignait le variant B.1.1.529 comme variant préoccupant, sous l’appellation Omicron. Par quels mécanismes moléculaires ce lignage du SARS-CoV-2 a-t-il depuis évolué ? Quelles trajectoires évolutives a-t-il suivies pour générer de nombreux sous-lignages, eux-mêmes à l’origine de multiples sous-variants ? Et quelle sera l’évolution future du SARS-CoV-2 ? Des virologistes moléculaires et spécialistes en bioinformatique suisse, américain, japonais, italien et britannique, ont tenté de faire le point sur ces questions dans un article diffusé le 25 novembre 2022 sur le site virological.org.

Depuis son émergence à la fin 2021, le variant Omicron n’a cessé de se diversifier pour donner naissance à de nombreux sous-lignages, parmi lesquels BA.1, BA.2 et BA.5. Suite à l’apparition et la diffusion mondiale du sous-variant BA.5 d’Omicron, le nombre de sous-variants a littéralement explosé, à tel point que certains parlent de « soupe » de variants.

Depuis son émergence, le coronavirus SARS-CoV-2, dont on rappelle qu’il s’agit d’un virus à ARN (plus enclin à muter au fil du temps qu’un virus à ADN), a montré une grande capacité à produire de nouveaux variants par l’acquisition de mutations lui conférant un avantage sélectif (meilleure transmissibilité et/ou capacité d’échappement aux anticorps neutralisants).

Différents sous-variants d’Omicron (notamment BA.1, BA.2 et BA.5) ont été à l’origine de plusieurs vagues successives. Ces variants ont émergé sans qu’il soit possible de déterminer leur origine précise, plus exactement sans que l’on sache à partir de quels virus intermédiaires ils dérivent et donc sans pouvoir les rattacher à un quelconque ancêtre récent, en d’autres termes à un progéniteur pré-variant. En effet, l’analyse de la séquence génomique d’Omicron suggère qu’il ne dérive d’aucun des variants qui étaient alors en circulation. Son ancêtre le plus proche sur le plan génétique (les spécialistes parlent de racine phylogénétique) date du printemps 2020.

D’où l’hypothèse que ces variants aient pu émerger dans un organisme humain qui aurait hébergé le SARS-CoV-2 pendant une très longue durée. Au sein d’un individu immunodéprimé, une infection persistante par le SARS-CoV-2 a pu favoriser l’émergence d’un virus génétiquement distinct du virus qui l’avait infecté au départ et qui aurait acquis au fil du temps une multitude de mutations. L’évolution des variants reposerait donc sur la ré-émergence de virus qui auraient eu le temps d’évoluer dans un hôte porteur pendant plusieurs mois d’une infection chronique.

Une étude sud-africaine, communiquée le 24 novembre 2022 sur le site de prépublication medRxiv, a évalué certaines propriétés biologiques du virus corrélées avec la pathogénicité après plus de six mois d’une infection chronique chez un individu immunodéprimé (infection VIH à un stade avancé). Ces résultats montrent que l’évolution du SARS-CoV-2 lors d’une infection à long terme n’entraîne pas nécessairement une atténuation. Au contraire, le virus isolé au bout du 190e jour s’est avéré plus pathogène que les souches Omicron circulantes. Dans ce cas, le virus était doté d’une plus grande capacité de provoquer la fusion entre cellules infectées et cellules saines (augmentation de la fusogénicité) et d’entraîner la mort des cellules infectées.

Une énorme diversification de sous-lignages et sous-variants

Un tel profil évolutif a continué jusqu’en 2022. Mais contrairement aux premiers variants, dits de « première génération », qui n’avaient pas entre eux un même ancêtre en commun, les variants suivants, dits de « seconde génération », semblent tous avoir émergé à partir de sous-variants déjà connus. C’est ainsi que BA.2.75, BJ.1, BS.1, BA.2.3.20, BA.2.83 et DD.1 dérivent tous du sous-lignage BA.2 d’Omicron, mais sans qu’il soit possible de remonter à des virus intermédiaires entre eux et BA.2. D’où, l’hypothèse, là encore, que ces variants aient émergé à la faveur d’infections chroniques chez des individus infectés par le variant BA.2 à la fin 2021 ou au début 2022. Aujourd’hui, le sous-variant BA.2 d’Omicron, BA.2.75, est celui qui a le plus diffusé. Un autre variant de seconde génération de BA.2, BA.2.3.20, a connu également une croissance notable au cours de ces derniers mois.

Les coronavirus ont une grande capacité à échanger entre eux des séquences de leur matériel génétique, avec pour conséquence de générer des virus dont l’ARN comporte des régions provenant de virus parentaux. Cette recombinaison génétique peut se produire lorsqu’une même cellule est infectée par plusieurs variants du SARS-CoV-2 génétiquement distincts. La co-infection peut alors aboutir à la production d’un virus hybride ou recombinant.

Des études ont montré l’existence d’une recombinaison entre variants du SARS-CoV-2 appartenant à des lignages différents, notamment entre le variant anglais (B.1.1.7) et des variants non-B.1.1.7, mais également entre les variants Delta et Omicron, plus précisément entre le sous-lignage AY.4 de Delta et le sous-lignage BA.1 d’Omicron, ou encore entre les sous-lignages BA.1 et BA.2 d’Omicron.

Généralement, l’émergence de virus recombinants est survenue au moment où une vague était sur le déclin alors qu’un nouveau variant venait d’émerger. Un terrain propice aux co-infections, et donc qui favorise l’émergence de virus recombinants pouvant posséder des propriétés uniques provenant de deux virus parentaux divergents. Jusqu’à présent, 54 lignages recombinants de SARS-CoV-2 ont été identifiés.

À ce jour, XBB est le virus recombinant le plus répandu. Il résulte d’une recombinaison génétique entre un sous-variant de seconde génération de BA.2, BJ.1, et un sous-variant du sous-variant BA.2.75 (probablement BM.1.1.1).

Le variant recombinant XBB a hérité pour son extrémité 5’ du génome de BJ.1 et pour son extrémité 3’ du génome du sous-sous-variant de BA.2.75, le point de cassure se situant dans la protéine spike au sein du domaine de liaison au récepteur (RBD, receptor binding domain). On rappelle que le RBD reconnaît le récepteur cellulaire ACE2 qui sert de porte d’entrée au SARS-CoV-2 dans les cellules qu’il infecte et qu’il est la cible principale des anticorps neutralisants.

La conséquence d’une recombinaison autour de ce point de cassure (breakpoint) dans les génomes parentaux a eu pour conséquence de générer un nouveau virus porteur de mutations antigéniques (qui modifient des cibles reconnues par des anticorps) dans le RBD. Ceci a pour conséquence d’accroître la « distance antigénique » entre XBB et d’autres variants. Ces mutations antigéniques confèrent au virus un plus haut degré d’échappement immunitaire.

Parmi d’autres virus SARS-CoV-2 recombinants circulants actuellement, on peut citer XBD et XBF, issus de recombinaisons différentes entre les sous-variants BA.5 et BA.2.75 d’Omicron. Le préfixe X devant le nom du variant sert à désigner le fait qu’il s’agit d’un virus recombinant.

Recombinants complexes

Outre ces phénomènes de recombinaison avec un ou deux points de cassure, une nouvelle tendance a été observée en 2022. Plus complexe, elle implique un bien plus grand nombre de breakpoints, entre trois et huit. Les recombinants complexes qui en résultent sont par ailleurs porteurs de mutations « privées », à savoir des mutations absentes sur l’un et l’autre génome parental, contrairement à ce que l’on observe dans de recombinants « simples ».

XAY, XBA, XAW et XBC sont des recombinants complexes. Parmi eux, XBC et XAY sont ceux qui circulent le plus. Cela dit, ils possèdent cependant moins de mutations antigéniques dans le RBD que les variants BQ.1.1 et XBB, et sont donc moins susceptibles d’échapper aux anticorps, ce qui fait qu’il semble peu probable qu’ils puissent prendre le dessus sur ces derniers.

Il s’avère que ces recombinants complexes sont issus de variants qui semblaient pourtant pas circuler largement en même temps (comme par exemple dans plusieurs cas entre le variant Delta et le sous-variant BA.2 d’Omicron). D’où l’hypothèse, à l’instar du phénomène ayant conduit à l’émergence des multiples sous-variants d’Omicron, qu’ils aient pu émerger chez des sujets porteurs d’infections chroniques. « Dans le cas de XAY, XBA, XBC et XAW, ces recombinants sont sans doute apparus à partir d’infections chroniques dans lequel l’individu était initialement infecté par Delta et a été surinfecté par BA.2 », déclarent Cornelius Roemer (université de Bâle) et ses collègues dans leur correspondance publiée dans virological.com.

Dérive antigénique : accumulation évolutive de mutations sur des acides aminés

Il existe un autre mécanisme permettant au virus de gagner en diversification : la dérive antigénique. Lorsque des mutations entraînent la substitution d’un acide aminé qui diminue l’antigénicité d’une protéine normalement reconnue par les anticorps, cela aboutit à ce que l’on appelle une dérive antigénique. Celle-ci a donc pour conséquence de diminuer l’efficacité du système immunitaire à cibler ce site dans la protéine virale.

Dès mi-2022, le sous-lignage BA.5 d’Omicron est devenu le variant majoritaire dans le monde, prenant le dessus sur BA.2. Alors que les sous-variants qui l’ont précédé (par exemple BA.2.12.1 ou BA.1.1) ne différaient que très peu entre eux par le nombre de mutations antigéniques, BA.5 a commencé à accumuler de puissantes mutations antigéniques et donc à augmenter sa capacité d’échappement immunitaire.

Comme le soulignent Thomas Peacock (Imperial College London) et les co-auteurs dans l’article de virological.org, l’exemple le plus frappant d’acquisition par étapes de ces mutations antigéniques est représenté, au sein du sous-lignage BQ.1, par le sous-variant BQ.1.1 qui renferme trois mutations antigéniques supplémentaires dans le domaine RBD de sa protéine spike. Et les chercheurs de souligner qu’une dérive antigénique similaire a été observée parmi les variants de seconde génération dérivés de BA.2. En particulier, BA.2.75 a généré un nombre très élevé de sous-lignages ayant accumulé des mutations dans le RBD via un mécanisme comparable de dérive antigénique en plusieurs étapes. Ainsi, « les sous-variants BA.2.75.2, BR.2, BN.1.2.1, BM.1.1.1 and CH.1.1 renferment tous plusieurs mutations antigéniques additionnelles comparé au génome parental BA.2.75.2 », précisent les auteurs qui notent que ce mécanisme évolutif n’est pas sans rappeler ce que l’on observe, à un rythme moindre, avec d’autres virus respiratoires, en l’occurrence avec les virus grippaux saisonniers ou un autre coronavirus (HCoV-229E).

Évolution convergente entre tous les lignages

Une dernière caractéristique est commune à tous les variants évoqués plus haut : l’évolution convergente. On parle d’évolution convergente (ou de convergence évolutive) pour désigner le processus évolutif conduisant à l’acquisition de mutations similaires par des variants différents. C’est ainsi que l’on retrouve les mutations R346X, K444X, G446X, L452X, N460K, F486P (pour n’en citer que quelques-unes) chez de nombreux sous-variants de sous-variants, de virus issus d’une dérive antigénique ou encore de virus recombinants, indiquent les auteurs.

Par ailleurs, plusieurs changements dans une autre région de la protéine spike, le NTD (domaine amino-terminal ou N-terminal domain), en particulier des délétions (perte de matériel génétique) au voisinage de la position 144, sont présents dans de multiples sous-lignages d’Omicron.

Une hypothèse permettant d’expliquer la raison pour laquelle ces mêmes sites sont sélectionnés dans tant de lignages différents tient au fait qu’il s’agit de mutations antigéniques clés (conférant une capacité d’échappement aux anticorps ou d’une meilleure capacité de liaison au récepteur cellulaire ACE2), en particulier pour compenser l’effet négatif d’autres mutations sur ces mêmes propriétés du virus. En effet, il arrive qu’une mutation permettant au virus de mieux échapper aux anticorps puisse avoir pour conséquence indirecte de diminuer l’affinité du domaine RBD pour le récepteur ACE2.

Reste à savoir si les mutations sur des sites ciblés par les anticorps (générés par la vaccination ou l’infection naturelle) continueront à l’avenir à s’accumuler à ces mêmes emplacements, ou si elles apparaîtront à d’autres endroits ou si, au contraire, elles ralentiront du fait que leur accumulation pourrait être plus délétère que bénéfique en termes de capacité de réplication.

« Aujourd’hui, BQ.1.1, XBB et CH.1.1 semblent être les variants qui se développent le plus rapidement dans le monde. On s’attend à ce qu’ils soient à l’origine de vagues d’infections dans les mois à venir, ensemble ou individuellement », déclarent les auteurs. Bien que ces lignages renferment des mutations antigéniques au niveau des mêmes acides aminés au sein du RBD, les substitutions exactes diffèrent souvent. Par ailleurs, ces trois variants présentent des combinaisons très différentes de substitutions et de délétions dans le NTD. Il est donc possible que la réponse immune générée par ces lignages soit différente selon le variant considéré et qu’on observe une faible immunité croisée. En d’autres termes, que la protection contre un de ces trois variants ne confère pas de protection contre les deux autres.

Enfin, selon les auteurs, il n’est pas impossible que plusieurs lignages ayant un taux de croissance comparable co-circulent activement, qu’ils divergent suffisamment l’un de l’autre sur le plan antigénique pour être capables de circuler ensemble dans le même temps, jusqu’à ce que l’un d’eux finisse par s’imposer ou qu’un nouveau variant émerge.

Quid de l’évolution future du SARS-CoV-2 ?

Que dire de l’évolution future du SARS-CoV-2 ? Même si les multiples sous-lignages actuels diffèrent sensiblement sur le plan génétique et antigénique des premiers sous-lignages d’Omicron, leurs caractéristiques épidémiologiques et leurs propriétés virales et biologiques ne sont pas si différentes des lignages parentaux. Cela dit, les auteurs estiment qu’« il est tout à fait possible » que tous ces lignages puissent être dépassés par un événement du même type que celui qui a contribué à l’émergence d’Omicron, autrement dit par un tout nouveau variant doté d’un pouvoir antigénique radicalement différent de celui de tous les lignages circulants, par exemple par un variant ancestral ou un variant avec un fond génétique correspondant à une époque antérieure à Omicron.

À ce propos, l’émergence d’un nouveau variant doté d’un fond génétique correspondant à Delta est une source d’inquiétude dans la mesure où ce variant est associé à une pathogénicité intrinsèque particulièrement élevée. Et les auteurs de souligner qu’un certain nombre de virus Delta continuent de circuler et que le séquençage montre que ces virus renferment des mutations privées, ce qui indique qu’ « il existe un réservoir potentiel substantiel de virus Delta (ainsi que de variants antérieurs) ». De telles séquences virales témoignent donc probablement de l’émergence de variants Delta à partir d’individus présentant une infection chronique.

Au vu des différents mécanismes moléculaires à l’œuvre pour permettre au SARS-CoV-2 de poursuivre son évolution et conduire à l’émergence de nouveaux sous-lignages, il apparaît plus que jamais essentiel de continuer à mener une surveillance génomique active à travers le monde, à un moment où, qui plus est, le respect de gestes barrières n’a quasiment plus cours et où la surveillance épidémiologique est inégale à travers le monde et laisse tant à désirer dans de nombreux pays. En effet, « le virus continue d’évoluer à la fois du fait de mécanismes prévisibles mais aussi d’autres difficiles à prédire, et ce souvent au même moment », concluent les auteurs.

lemonde

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