A la dernière European Cyber Week de Rennes, un après-midi entier était consacré aux « cyber menaces cognitives ». En clair : les guerres d’influence que se livrent des Etats au travers des réseaux sociaux, soulignant l’implication grandissante en matière politique d’acteurs privés.
« Nous avons interféré [dans le processus électoral américain, ndlr], nous interférons et nous continuerons à interférer, de manière appliquée, précise et chirurgicale ». Cet aveu en forme de provocation, datant de début novembre 2022, est d’Evgueni Prigojine, le fondateur du groupe de mercenaires russes Wagner, actif en Syrie, en Afrique et actuellement en Ukraine. L’implication russe dans le scrutin présidentiel de 2016 aux Etats-Unis, à coup de fausses nouvelles, manipulations et autres faux comptes sur Facebook ou YouTube, est connue et documentée, notamment au travers du rôle d’un organisme appelé Internet Research Agency basé à Saint-Petersbourg. Mais elle n’avait jamais été ainsi assumée.
Cette sortie d’Evgueni Prigojine n’a pas manqué d’être mentionnée le 15 novembre dernier [2022, ndlr] à la dernière European Cyber Week, à Rennes, dans le cadre d’un après-midi de tables rondes et d’exposés consacrés aux « cyber menaces cognitives ». A savoir l’usage immodéré qui est désormais fait des réseaux sociaux dans les opérations d’influence et les tentatives de déstabilisation d’un Etat par un autre. Une démarche qui exploite les possibilités de ciblage et de personnalisation des contenus, à l’origine destinés aux publicités mais détournées pour manipuler les populations et déstabiliser un corps social.
L’influence, fonction stratégique en matière de défense
« C’est une problématique inquiétante, estime Bernard Claverie, spécialiste de psychologie et de sciences cognitives à l’Institut polytechnique de Bordeaux. Cette guerre psycho-socio-informationnelle a pour cible la façon de penser des gens : elle vise à fragmenter, isoler, délégitimer ». Signe d’un certain retard pris par la France en la matière, déstabilisée récemment en Afrique par des opérations russes justement, le président de la République Emanuel Macron a déclaré, le 9 novembre, que l’influence devait être une fonction stratégique en matière de défense.
Mais cette dimension nécessite de faire appel à des compétences autre que purement technologique et militaire : art de la narration, maîtrise des biais cognitifs, technique de persuasion issues de la publicité. « Ce terrain de bataille est immatériel et se caractérise par une présence d’acteurs privés dotés de moyens et de capacité de calcul bien supérieures à celles du ministère des armées » note le colonel Philippe Baillé, adjoint au chef du pôle opérations au Commandement de Cyberdéfense. Des acteurs capables de déconnecter le compte d’un président de la république américain (Donald Trump) sans que personne ne puisse rien y faire, tout en laissant en ligne des comptes problématiques de Talibans ou, actuellement, de la diplomatie russe diffusant nombre de fausses informations concernant la guerre en Ukraine.
Une « guerre » d’avis sur Google
Tout n’est d’ailleurs pas affaire de mensonge. Concernant la guerre en Ukraine, justement, il est beaucoup fait mention, sur les réseaux sociaux (en particulier sur Telegram), de cyberattaques russes. « Or, à force de les voir, ces mentions peuvent servir à susciter de l’agacement, de l’inquiétude, de la panique, de la défiance et des reproches envers les institutions qui en sont victimes et n’ont pas su se protéger » explique Marie-Gabrielle Betran, doctorante à l’Institut Français de Géopolitique (Paris).
En octobre 2022, une vidéo montrant le gérant du restaurant parisien Le Cozy Montparnasse lancer « Vive Poutine ! » à deux réfugiées ukrainiennes, a provoqué une « guerre » entre avis positifs et négatifs sur Google Maps concernant cet établissement, avec la publication de milliers de commentaires en quelques heures. Sans compter, sur les réseaux sociaux (Twitter, Telegram, Vkontake…), des versions contradictoires de l’histoire, selon qu’elle était relayée par des comptes pro-russes ou pro-ukrainiens. Bref, une véritable lutte informationnelle menée par chacun des camps.
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