La haute cheminée crache de nouveau son épaisse fumée et un incessant ballet de camions vient décharger une sombre cargaison, au milieu du bruit des turbines: avec le froid qui s’installe, la centrale à charbon de Saint-Avold, une des dernières de France, a repris du service lundi.
Depuis 09H00 lundi matin, la centrale Emile-Huchet envoie ainsi de nouveau de l’électricité sur le réseau. Les salariés sont « fiers » d’être « au rendez-vous », se félicite Thomas About, chef de quart de 32 ans, présent lors de la fermeture fin mars de cette tranche vieille de 41 ans.
Ce redémarrage aurait pu survenir plus tôt, début octobre, mais les températures sont restées clémentes. « Nous attendions que le système électrique ait besoin de nous », explique Camille Jaffrelo, porte-parole de GazelEnergie, entreprise propriétaire de l’installation.
Un redémarrage fruit d’une « belle réussite collective » selon M. About. Car lui et ses collègues travailleurs du charbon l’affirment: ils ont « l’intérêt collectif chevillé au corps ».
– Sentiment « mitigé » –
Coût total de l’opération pour GazelEnergie: 500 millions d’euros, dont 400 millions « pour le charbon et sa logistique », détaille Camille Jaffrelo. Avant le redémarrage, l’entreprise a aussi réalisé d’importants travaux de rénovation sur les installations.
La loi pour le pouvoir d’achat votée début août incluait une mesure permettant à GazelEnergie de réembaucher les salariés cet hiver. Plus de la moitié partaient à la retraite et les plus jeunes devaient être reclassés au sein des nouveaux projets de l’entreprise.
Au total, 70 d’entre eux ont répondu présent. Si la généreuse prime de 5.800 euros brut par mois proposée aux salariés pour cet hiver a pesé dans la balance, « il n’y a pas que ça »: « les gens aiment leur travail » et ont « envie de servir à quelque chose », explique le responsable du parc charbon, Sylvain Krebs, 47 ans dont 23 ans de centrale.
Rappeler les jeunes retraités a aussi été une « obligation » pour l’entreprise, qui a besoin de leurs compétences: le charbon, « c’est de l’industrie lourde, ce n’est pas en claquant des doigts que vous êtes formés », souligne M. Krebs.
Devant les 420.000 tonnes de charbon stockés en plein air et dont il a la responsabilité, il a toutefois un sentiment « mitigé » face à cette reprise, car il en est convaincu, il faut « tourner la page » de cette ressource très polluante, qui a fait vivre la Lorraine pendant près de deux siècles.
Pour cet hiver, la centrale va en brûler entre 500.000 et 600.000 tonnes, à raison de 5.000 à 6.000 tonnes par jour.
La centrale a le droit de fonctionner 2.500 heures jusqu’en mars 2023 pour « sécuriser le système électrique cet hiver », précise Camille Jaffrelo. Lorsqu’elle tourne à pleine capacité, Emile-Huchet peut produire jusqu’à 600 mégawatts-heures et est en mesure d’alimenter un tiers des foyers de la région Grand Est.
– « Jouer au yoyo » –
Il n’y a qu’une seule autre centrale à charbon encore ouverte en France, à Cordemais, en Loire-Atlantique. Dans l’Hexagone plus de 67% de l’électricité produite est d’origine nucléaire, la part des combustibles fossiles étant en 2020 de 7,5%, dont 6,9% de gaz et seulement 0,3% de charbon.
Quant à une éventuelle reprise pour l’hiver 2023-2024, GazelEnergie appelle le gouvernement à prendre une décision le plus rapidement possible.
« Hors de question pour nous de renvoyer au mois d’avril nos salariés à la maison sans visibilité », insiste Mme Jaffrelo. « Ce n’est pas possible humainement, on ne peut pas jouer au yoyo avec 150 personnes », ajoute-t-elle, demandant au gouvernement de se prononcer « avant avril pour que cette centrale puisse fonctionner » éventuellement l’an prochain.
Une fois définitivement fermée, la centrale Emile-Huchet sera démantelée pour laisser la place à de nouveaux projets, notamment une chaudière biomasse qui fournira de la chaleur aux industriels de la plateforme chimique voisine de Carling, que GazelEnergie espère mettre en service fin 2024.
sciencesetavenir