Alors que la mission Artemis 1 suit son cours avec Orion, qui vient de battre le record de distance à la Terre d’un véhicule spatial habitable, intéressons-nous brièvement aux trois principaux intérêts qui justifient le retour des Américains sur la Lune.
À la question de savoir à quoi sert le programme Artemis de retour sur la Lune, trois réponses peuvent être apportées et résumées en quelques mots. Techniquement, son intérêt est de préparer une première mission habitée à destination de Mars. Scientifiquement, son intérêt est de s’installer au pôle sud de la Lune, une région qui s’apparente à un graal pour de nombreux scientifiques. Mais la principale raison qui pousse les États-Unis à retourner sur la Lune est géopolitique.
Les États-Unis ont besoin d’adversaires pour donner le meilleur d’eux-mêmes
Raison géopolitique, car les Chinois ont fait de leur installation sur la Lune un objectif et les « Américains ne veulent absolument pas la laisser à la Chine », tient à nous préciser Didier Schmitt, expert de l’exploration humaine et robotique à l’ESA. Cela dit, il ne faut pas comparer l’ère d’Apollo et celle d’Artemis. Ces deux courses à la Lune ne sont évidemment pas dictées par les mêmes enjeux idéologiques et de suprématie du début des années 1960 quand les Soviétiques triomphaient dans la conquête spatiale en réalisant de nombreuses « premières ».
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C’est donc de nouveau dans « un contexte de très fortes rivalités que s’amorce le retour des États-Unis sur la Lune pour cette fois y rester ». Cette fois-ci, la Chine est l’adversaire désigné, terme que nous préférons à « ennemi », bien que certains responsables américains désignent la Chine comme tel. Certes, la Chine est loin d’avoir la puissance spatiale des États-Unis, au budget supérieur, mais depuis peu, elle a acquis une posture de parité dans de nombreux domaines qui inquiètent les Américains. Et ces derniers ont besoin d’un adversaire pour donner le meilleur d’eux-mêmes.
Mais si les États-Unis ont besoin d’adversaires pour avancer, ils ont aussi besoin d’une destination spatiale. Alors que s’achève l’ère de la Station spatiale internationale et que s’ouvre l’ère des missions lunaires, il n’est pas certain que la multiplication des projets d’utilisation et de colonisation de l’orbite basse terrestre aurait été suffisamment enthousiasmant pour le peuple américain et ses dirigeants pour justifier le budget important de la Nasa : 26 milliards de dollars pour la seule année 2023. Avec le retour sur la Lune et Mars en point de mire, la Maison-Blanche a deux destinations qui peuvent fédérer un pays en mal d’objectifs spatiaux.
Raison technique, car la Lune offre un terrain d’essai réaliste pour tester les technologies, l’utilisation des ressources et les habitats nécessaires pour Mars ainsi que pour valider des technologies martiennes et des modes opératoires nécessaires sur Mars. Dans ce contexte, et afin de vérifier que les synergies attendues entre l’exploration humaine de la Lune et de Mars seront suffisantes pour aller sur Mars, un groupe de travail s’est constitué à l’initiative d’Explore Mars, Inc. et de The American Astronautical Society. Comme nous le rappelle Didier Schmitt, la « nouvelle initiative de la Nasa « Moon2Mars » en dit long sur la trajectoire annoncée et dans les points communs d’architecture des systèmes à venir ». Concrètement, la Nasa vise ainsi « 30 jours de séjour lunaire avec un rover pressurisé à long rayon d’action, un schéma qui sera identique sur Mars ».
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Raison scientifique, car en s’installant au pôle sud de la Lune, la Nasa fait d’une pierre deux coups. D’un point de vue opérationnel, l’installation d’une base permanente s’en trouve facilitée parce qu’il y a peu de variations de température et que l’on y trouve à la fois de l’énergie et les ressources nécessaires à son fonctionnement. L’énergie sera produite à partir des pics de lumière quasi permanents, généralement situés sur des crêtes, des pics et des rebords éclairés par le Soleil en permanence pendant plus ou moins 200 jours lunaires consécutifs. Néanmoins, la Nasa étudie sérieusement la possibilité d’utiliser un mini-réacteur nucléaire car l’énergie solaire ne sera pas certainement pas suffisante pour maintenir une base en activité.
Quant aux ressources, le pôle sud possède plus des deux tiers des régions lunaires les plus sombres et les plus froides jamais éclairées par la lumière du Soleil. C’est là que se trouvent de vastes quantités de glace d’eau à partir de laquelle la Nasa semble convaincue de pouvoir en extraire de l’hydrogène et de l’oxygène. « Mais rien n’est moins sûr » pour Didier Schmitt, perplexe sur le sujet.
Une pierre de rosette pour mieux comprendre l’histoire de la Lune
C’est au pôle sud que se trouve le bassin Pôle Sud-Aitken, l’un des plus grands cratères d’impact connus dans le Système solaire. S’étendant sur plus de 2 500 kilomètres et profond de 12 km, il contient de nombreux cratères, dont certains sont très connus comme Apollo, Schrodinger, Shackleton et Von Karman, un cratère de la face cachée où s’est posé le rover chinois Chang’e 4 en janvier 2019.
“Le bassin Pôle Sud-Aitken contient la plupart des indices nécessaires à la compréhension de l’histoire de la Lune, de sa formation avec la Terre à ce qu’elle est devenue aujourd’hui”
Ce grand bassin a la particularité d’être topographiquement à la fois de composition distincte du reste de la Lune, tout en étant potentiellement la plus ancienne structure identifiable à sa surface. Il est peut-être la structure géologique la plus intéressante à étudier car, à lui seul, il contient la plupart des indices nécessaires à la compréhension de l’histoire de la Lune, de sa formation avec la Terre à ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Ces planchers sombres et glacés renferment de nombreux fossiles d’hydrogène, de glace d’eau et d’autres éléments volatils datant du début du Système solaire.
L’eldorado utopique d’une exploitation commerciale des ressources lunaires
Quant à l’exploitation commerciale des ressources lunaires, ceux qui pensent que le programme Artemis pourrait donner le coup d’envoi à cette industrie risquent d’être déçus. C’est du moins l’avis de nombreux experts, dont Didier Schmitt qui « s’interroge sur la faisabilité technique et son réel intérêt ». Plusieurs ressources — notamment l’helium 3 et de nombreuses terres rares dont l’exploitation sur Terre occasionne des dégâts très importants sur l’environnement — ont été localisées et identifiées mais dans des quantités infimes par kilogramme. Ces faibles quantités interrogent donc sur un processus efficient d’extraction qui reste à trouver et l’intérêt d’investir massivement des fonds.
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Pour notre expert à l’ESA, ramener sur Terre des « ressources depuis la Lune est une hérésie car non justifiable économiquement et surtout éthiquement, en tout cas pour des Européens ». Les défis que pose l’eau au pôle sud « sont légion, sachant qu’entre-temps, le coût des lancements depuis la Terre va drastiquement diminuer ». On peut citer comme difficultés : l’extraction de la glace à au moins -150 degrés, sa liquéfaction, purification, électrolyse en oxygène et hydrogène puis, le stockage et enfin son utilisation pour redécoller ou son envoi en orbite lunaire comme carburant pour aller vers Mars ». À suivre…
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