Un polymère issu des carapaces de crustacés permet d’épaissir la glaire cervicale produite par l’utérus, barrant la route à 98% des spermatozoïdes. Ces premiers résultats prometteurs ont été constatés chez la brebis, au système reproducteur semblable au nôtre.
C’est la première fois depuis 60 ans qu’un nouveau mécanisme d’action de contraception apporte une preuve d’efficacité. Cette nouvelle technologie se base sur l’épaississement de la glaire cervicale grâce à une longue molécule dérivée des carapaces des crustacés, le chitosan. Efficace, à effet transitoire et à administrer directement dans le vagin peu de temps avant un rapport : voilà des caractéristiques susceptibles d’intéresser de nombreuses femmes, alors que la pilule continue de perdre des adeptes. Testée pour l’instant sur la brebis, elle devait bientôt faire l’objet d’autres études sur l’animal et d’études cliniques.
La glaire cervicale, cette barrière naturellement produite par l’utérus
“La contraception par épaississement de la glaire cervicale est un domaine pas du tout exploré, car c’est une substance collante qui rend les mesures difficiles à réaliser”, explique le Dr Leo Han, gynécologue spécialisé dans la contraception et notamment dans l’utilisation de la glaire cervicale, et qui n’a pas participé à ces travaux. Pourtant, cette approche contraceptive serait “très prometteuse”, ajoute-t-il.
La glaire cervicale est un gel sécrété à l’entrée de l’utérus (le canal cervical) pour l’isoler du vagin, riche en bactéries. Ce gel est principalement constitué de longues protéines appelées mucines, formant un réseau hydratant dont la consistance se modifie au fil du cycle menstruel. Juste avant l’ovulation, la glaire devient ainsi plus abondante et fluide pour laisser passer les spermatozoïdes et permettre une fécondation, tandis qu’elle s’épaissit à nouveau en période infertile. “Il y a un défi technique derrière la manipulation de la glaire cervicale”, pointe Ulrike Schimpf, première autrice de l’étude parue dans la revue Science Translational Medicine. “La frontière est mince entre la réticulation (réarrangement en une structure tridimensionnelle homogène, ndlr) et l’agrégation de la glaire, qui peut conduire à son affaiblissement.”
Le chitosan, polymère renforçant la barrière de la glaire
C’est pour obtenir cette réticulation que les chercheurs investiguent l’ajout de chitosan dans la glaire cervicale. “L’idée de renforcer la glaire avec des polymères ou des particules avait déjà été formulée auparavant, mais jamais mise en pratique de manière aussi efficace”, affirme Ulrike Schimpf. Les polymères sont de longues chaînes constituées d’une répétition de la même molécule, particulièrement indiqués donc pour former un maillage serré au sein de la glaire et constituer une barrière infranchissable pour les spermatozoïdes.
Les scientifiques choisissent d’utiliser le chitosan, naturellement produit dans les carapaces de crustacés et industriellement fabriqué pour être utilisé dans l’agriculture (engrais et biopesticide) comme dans certains implants médicaux. Son utilisation dans ce contexte est un concept “tout à fait nouveau”, commente Leo Han. Sûr d’utilisation, facile à se procurer et “fortement muco-adhésif”, le chitosan est “particulièrement adapté à cette application”, précise Ulrike Schimpf.
90% de spermatozoïdes en moins dans les utérus de brebis
Testé en laboratoire pour recréer la glaire humaine, le gel modifié est ensuite testé sur des brebis, dont le cycle menstruel, la taille du vagin et la production de glaire cervicale sont similaires à celles des humains. “Le niveau d’efficacité de la barrière a été étonnamment bon”, résume Ulrike Schimpf. Sur huit brebis, seuls deux spermatozoïdes ont été détectés dans l’utérus d’une d’entre elles, soit une diminution de 98% du nombre de spermatozoïdes détectés en moyenne chez les animaux non traités. Des résultats “très encourageants”, estime Leo Han.
Une première depuis 60 ans
“Il s’agit de la première preuve d’un nouveau mécanisme d’action pour un contraceptif depuis plus de 60 ans, depuis l’avènement de la contraception hormonale”, se réjouit Ulrike Schimpf. Reste cependant à reproduire l’exploit en essai clinique, sur des humains donc. Sous forme d’un gel vaginal à appliquer à l’aide d’une seringue avant les rapports, le produit pourrait protéger son utilisatrice de toute grossesse pendant une durée estimée à quelques heures. “Ensuite, l’effet devrait se dissiper en raison du renouvellement naturel de la glaire, qui devrait supprimer la barrière”, explique la chercheuse.
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