Pourquoi est-il impossible de diviser par 0?

Même en mathématiques, il faut savoir faire preuve de créativité.

La question du jour«Pourquoi est-il impossible de diviser par 0?»

 

La réponse de Hadrien Chevalier:

Je ne vais probablement pas donner la réponse que vous attendez, puisqu’il est en fait possible de diviser tout réel non nul par 0. Je vais toutefois vous répondre dans un premier temps.

 

Vous pouvez adopter deux approches élémentaires pour la division:

  • l’application de la fonction inverse (approche analytique)
  • la recherche de l’inverse pour la loi «multiplication» (approche algébrique).

Dans le premier cas, il y a une singularité en 0. La fonction inverse ne peut tout simplement pas être appliquée en ce point. On peut l’étendre sur les complexes, mais rien n’y fait, un point reste indéfini.

L’espoir que l’on peut parfois rencontrer est un prolongement par continuité, ou un prolongement analytique. C’est le cas de certaines fonctions comme x⟼sin(x)/x. Mais dans notre cas, les limites à gauche et à droite sont radicalement différentes.

Dans l’approche algébrique, l’inverse de x pour la loi de multiplication est l’unique élément y (s’il existe) tel que xy=1 (qui est le neutre pour la loi de multiplication). Si vous trouvez un nombre y tel que 0×y=1, il y a de quoi être inquiet car vous êtes en contradiction avec le fait que 0 est absorbant.

Les règles dépendent du contexte

Bref, on ne peut pas diviser un nombre par zéro. Enfin… vous savez, en sciences, tout est permis tant que c’est justifié! En fait, en mathématiques et en physique, les règles dépendent du contexte. Si vous ne me précisez pas le contexte, la règle n’a pas de sens.

Par exemple, la somme des mesures des angles d’un triangle ne fait pas toujours 180 degrés. Cela n’est vrai que si l’on considère un espace plat. Sur une surface sphérique, la somme vaut plus que 180 degrés, et moins que 180 sur une surface hyperbolique.

 

La plupart des règles qu’on apprend dans les petites classes, en mathématiques comme en physique, peuvent être violées. Mais il faut plus ou moins de créativité, et un cadre conceptuel plus large. Je vous ai donné un premier exemple géométrique assez simple.

Un autre exemple simple est le fait qu’un nombre négatif n’a pas de racine carrée, ou qu’une exponentielle est toujours positive strictement. Cela n’est plus vrai en classe de terminale, lorsqu’un formalisme plus général est introduit, celui des nombres complexes. D’autres exemples assez sympathiques peuvent être trouvés dans ma réponse à la question «Quels sont les faits scientifiques les plus fascinants?».

Qu’en est-il du sacrilège «x/0»? Malheureusement, pour réussir à violer cette règle sans mettre le feu à tout, il faut se placer dans un cadre qui demande un peu plus d’imagination. Il s’agit de celui des espaces projectifs, plus explicitement, dans le compactifié ponctuel de la droite réelle dont voici un petit schéma:

Ce point étrange, appelé «infini» est en fait la limite de toutes les suites réelles qui sont absolument croissantes et non bornées. Dans cet ensemble, tous les nombres ont un inverse, et l’inverse de 0 est ∞.

Pour passer de la droite réelle à un segment de longueur 2π, vous pouvez appliquer la fonction tangente. Il ne reste plus qu’à recoller les bouts en haut pour faire se rejoindre les infinis.

Pour ceux qui ont fait un peu de mathématiques dans le supérieur, la structure résultante n’est malheureusement pas celle d’un corps, puisque l’addition n’est plus une loi de composition. On y perd aussi le caractère ordonné. Les réels sont simultanément strictement inférieurs et supérieurs à l’étrange ∞.

 

On peut aussi faire la même chose avec les complexes. Cela donne ce que l’on appelle la sphère de Riemann:

Ici, ∞ est ce vers quoi tendent les suites qui partent à l’infini, sans se préoccuper de la direction. Ces espaces sont assez peu rencontrés si on ne fait pas de maths ou de physique un peu poussée (c’est-à-dire qui demandent des éléments de topologie), je vous le concède.

 

Mais j’espère que cela vous aura montré une fois de plus que les scientifiques ne sont pas des psychorigides sans créativité. Ce n’est peut-être pas de la poésie, car les scientifiques attribuent une valeur à la cohésion logique de leurs créations, histoire que ce soit constructif. Il y a moins de liberté créative que dans l’art, mais mince, on peut diviser par zéro quand même! (Mais pas gratuitement.)

 

slate

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