Sur le continent comme ailleurs, la crise du Covid-19 a mis en lumière la puissance des edtech, ces technologies au service de l’éducation, dans l’apprentissage. Mais comment faire pour ces outils censés favoriser l’accès de tous à une éducation de qualité ne créent pas de nouvelles inégalités ?
Comment faire pour que le développement de l’éducation numérique en Afrique ne crée pas de nouveaux « oubliés » sur le continent le moins connecté du monde ? C’est l’un des principaux enjeux soulevés par le colloque consacré à la edtech en marge du sommet de la Francophonie ce week-end à Djerba. L’agence Business France, chargée de favoriser le développement des entreprises française à l’international, a saisi l’occasion du thème de cette rencontre internationale – « Connectivité dans la diversité » – pour réunir des acteurs français et africains du secteur.
Car depuis la pandémie de Covid-19, le marché est particulièrement porteur. En Afrique comme partout, la crise sanitaire a joué un rôle d’accélérateur pour ces technologies qui ont permis d’assurer à distance une « continuité pédagogique » quand les salles de cours ont fermé leurs portes.
Fracture numérique
Mais sur le continent, la crise sanitaire a aussi fait prendre conscience de l’ampleur de la fracture numérique. Seulement 33% de la population en Afrique utilise Internet, selon le rapport 2021 de l’UIT (Union internationale des télécommunications). Dans la zone subsaharienne, neuf enfants sur dix n’ont pas accès à Internet et la situation est encore pire pour les filles. Résultat, des millions d’élèves se sont retrouvés sans enseignements. « L’éducation est, doit être et doit demeurer un bien commun mondial », a lancé Henri Verdier, l’ambassadeur français pour le numérique, en ouverture du colloque, alertant sur le risque de générer de « nouvelles exclusions ».
D’autant que la connectivité n’est pas le seul problème, rappelle Rachel Nullans, chargée par Business France et France Ednum International (FENI) de la rédaction d’un Livre blanc sur le sujet, rendu public à l’occasion de ce colloque. La fracture peut aussi être économique : acheter un smartphone coûte cher ; ou sociale : les parents n’ont pas toujours les compétences nécessaires pour aider leurs enfants dans l’usage de ces technologies de l’éducation.
L’éducation est, doit être et doit demeurer un bien commun mondial
Pour limiter ces difficultés d’accès, les entreprises doivent faire preuve d’inventivité. La plateforme ivoirienne Eneza Education, qui propose du soutien scolaire pour les élèves du primaire et du secondaire. « Tous nos contenus – le programme scolaire, les quiz pour s’auto-évaluer, la bibliothèque de devoirs – sont accessibles par SMS, explique Christelle Kouamé, directrice de Eneza. C’est important pour toucher les populations rurales qui n’ont pas accès à internet ou qui n’ont pas les moyens de l’avoir de façon illimitée. »
S’adapter pour trouver des solutions
« Penser en fonction des réalités numériques, penser avec une communauté, penser en fonction des usages… En Afrique, les différents acteurs réfléchissent avec ces contraintes-là. Souvent, met en avant Rachel Nullans, ils considèrent que ce ne sont pas des contraintes d’ailleurs, mais une donnée. Et qu’il faut trouver des solutions. »
Les jeunes boudent Internet, mais affectionnent les réseaux sociaux ? TooShare propose « une plateforme socioéducative qui se présente comme un réseau social, mais est en fait un Learning management system avec derrière des éditeurs de contenu pour des cours virtuels, notamment », présente son directeur général Amadaou Manel Fall. « Reprendre les codes des réseaux sociaux, espère-t-il, peut permettre moins de décrochage. »
Dans cet écosystème en ébullition, le maître mot semble donc être l’adaptation. Mais attention, le numérique ne va pas de soi, rappellent tous ces acteurs. Pour que les gens s’emparent de ces outils, il faut les former.
La langue peut aussi être un facteur d’exclusion, les contenus d’enseignement étant essentiellement proposés en français. « On s’est rendu compte que de plus en plus, les pays demandent des contenus dans des langues locales ou du contenu local. Donc aujourd’hui, on est en train d’y travailler », pointe Esther Brou-Kouakou, directrice développement Afrique de Nomad Éducation, qui se présente comme une « application de révision » accessible gratuitement et en mode hors connexion. L’entreprise française s’est très vite rendu compte qu’elle était particulièrement téléchargée en Afrique francophone, explique sa représentante qui travaille spécialement à développer la clientèle du continent et revendique aujourd’hui 600 000 abonnés contre 180 000 il y a un an.
Même s’il est toujours difficile de mesurer l’efficacité de tels outils, cet engouement est la preuve, selon les experts, que bien utilisés, les technologies du numérique peuvent atteindre leur cible et remplir leur mission : éduquer mieux et plus largement.
Pallier les dysfonctionnements du système éducatif africain
Il faut dire que leurs atouts pour l’Afrique sont nombreux dans la mesure où elles peuvent aider à pallier les dysfonctionnements des systèmes éducatifs locaux : selon une étude de l’Unesco de 2016 en Afrique subsaharienne, 70% des pays sont confrontés à une pénurie d’enseignants dans le primaire, 90% dans le secondaire. À cela s’ajoute un manque d’infrastructures.
À ce titre, l’Université virtuelle du Sénégal est un exemple de « réponse publique à la massification et aux inégalités à l’enseignement supérieur », souligne Ndeye Massata Ndiaye, spécialiste du numérique éducatif et enseignante à l’UVS, interrogée dans le Livre blanc. Avec 23 000 nouveaux étudiants, elle est la deuxième université du pays en termes d’effectif. Et les besoins sont à l’échelle de la démographie du continent. Selon les projections, la population africaine atteindra les 2,4 milliards de personnes en 2050, dont plus de la moitié aura moins de 25 ans.
Les acteurs du secteur insistent donc aussi sur les enjeux des edtech en termes de formation professionnelle. « Il y a un vrai déficit de formation, explique Olivier Pascal, cofondateur de Lafaaac, qui ambitionne, via une application, de « rendre accessible le meilleur des formations françaises et francophone, aux industries créatives comme la mode, le cinéma, l’édition ». L’entreprise française est tournée essentiellement vers l’Afrique subsaharienne. « Il n’existe que quelques écoles spécialisées – et on est partenaire de la plupart. Mais elles n’ont pas la capacité aujourd’hui de mettre à disposition des nouveaux cursus, par exemple sur les nouveaux modes d’écriture pour les séries ou l’animation et le jeu vidéo », détaille-t-il.
WeCodeLand a fait de « l’employabilité » son cheval de bataille. « Coding, marketing digital, design… » La start-up tunisienne, spécialisée dans l’économie numérique, essaie de « former les jeunes aux métiers les plus demandés du marché du travail », explique sa PDG, Wala Kasmi. Une façon de faire face à la pénurie de talents dont souffre le continent sur ces nouveaux métiers et de répondre aux besoins du marché, estime la jeune femme.
De quoi inciter à l’optimisme, selon Rachel Nullas : « C’est assez enthousiasmant de voir que le numérique, quand il est bien pensé, peut effectivement faire que l’éducation est un bien commun et qu’on ne laisse personne – ou en tout cas le moins possible – sur le bord de la route. »
rfi