Sénégal : l’architecte Fatiya Diene Mazza donne à Dakar une stature internationale

Fatiya Diene Mazza a grandi au Plateau, pas très loin de la Corniche. Elle a passé son enfance à marcher de l’école à la maison, de la maison à la plage située près du célèbre restaurant Le Lagon. Une enfance heureuse, calme, sous les vents porteurs de l’harmattan et des alizés. Elle a passé ses jours fériés à faire des dessins sous les planches du père, architecte installé au Plateau. Aujourd’hui, quand elle marche dans le vieux quartier, elle n’en reconnaît pas forcément les contours. Certaines villas abandonnées ont disparu sous de grands édifices de béton, les vendeurs à la sauvette sont partis ailleurs. Le quartier, plus propre, est désormais une zone de commerces et d’habitations luxueuses. « Dakar est en train de se développer à la verticale. C’était devenu nécessaire car la population a explosé. Mais certains quartiers doivent préserver leur identité, c’est le cas du Plateau. L’État devrait mettre l’accent là-dessus, préserver le charme, c’est aussi assurer l’harmonie d’une ville en devenir. »

L’harmonie, voilà un mot qui revient aussi beaucoup dans la bouche de Fatiya Diene Mazza, la directrice du bureau ID+EA, qui compte une vingtaine d’employés, majoritairement africains. Ce dernier conduit notamment l’agrandissement du siège de la Radiotélévision sénégalaise (RTS), en bordure du Plateau. « Ma mère m’a donné ce rapport spirituel au monde. La vie est pleine de corrélations. Nous sommes en réseau, liés les uns aux autres. Et l’existence n’est pas faite que de hasards. Je crois à la logique des rencontres. »

C’est dans cet esprit que Fatiya Diene Mazza a pensé le cœur de la communication sénégalaise. « J’ai voulu que la RTS comme le Plateau fassent le lien entre ce vieux Dakar et cette ville tournée vers la modernité. D’un côté, nous restaurons le bâtiment originel, construit dans les années 1990 par un architecte japonais, dans le plus grand respect de son dessin d’origine, tout en le faisant évoluer légèrement. De l’autre, nous agrandissons la structure générale en construisant un édifice de neuf étages en forme de cube, qui rappelle un peu un poste de télévision. Nous utilisons des matériaux ultra modernes, comme du béton fibré en façade pour faire passer les lignes hertziennes. »

Mouvement circulaire
Ce qui ne passe pas inaperçu chez cette esthète 100 % sénégalaise, toujours habillée avec beaucoup de goût, c’est le style, l’allure générale, cette harmonie des formes et des couleurs. La tour principale en double peau de la RTS, d’une hauteur de 55 m, va surplomber la ville. Elle abritera un amphithéâtre d’une hauteur de 10 m et d’une surface de 1 000 m2 avec une capacité de 585 places ainsi que deux studios TV de 300 et 400 m2, trois studios régie-radio, 55 bureaux, etc.

« Du dernier étage, on apercevra la mer, car Dakar c’est aussi l’évasion », précise cette rêveuse. Est-ce encore un hasard si Fatiya Diene Mazza a fait une partie de ses classes au lycée Jean Mermoz, du nom de l’un des pionniers de l’aviation mondiale qui posait, dans les années 1930, les ailes de son aéropostal au Sénégal avec son complice Antoine de Saint-Exupéry ? Une chose est sûre, Fatiya Diene Mazza a toujours rêvé d’ailleurs. Partir pour revenir. À l’image de la gare ferroviaire de Diamniadio, haut lieu de connectivité cette fois, son architecture est empreinte de ce mouvement circulaire. « Diamniadio reflète le tourbillon d’énergies autour de la ville nouvelle… Par sa structure en forme d’ovni, j’ai voulu montrer ce vers quoi le Sénégal tend : exister sur l’échiquier mondial. C’est un pays jeune avec un savoir-faire familial bien ancré. »

Le lien, toujours le lien. Pas de hasard. C’est aussi ce mouvement de toupie qui lui a fait étudier l’architecture à l’université Northeastern, à Boston (États-Unis), puis vivre quatre ans au Brésil entre São Paulo et le Nordeste et, aujourd’hui encore, entre l’Arabie saoudite, les États-Unis et l’Italie, le pays d’origine de son mari. Avant de s’installer à Dakar. « On est dans un monde globalisé. J’aime cette errance qui permet de ne pas s’enfermer, de ne pas rester cantonné dans ses croyances… Mes influences sont riches, elles vont du style architectural sénégalais aux formes iconoclastes de l’Irakienne Zaha Hadid en passant par le minimalisme du japonais Tadao Ando, le style singulier et créatif de Jean Nouvel, entre béton et lumière. J’aime réarranger les codes. Il est bon de voir ce que font les autres cultures, de s’en inspirer afin de concevoir et créer pour son environnement local. »

Doha, Salt Lake City ou Hawaï
Avant de devenir la célèbre architecte sénégalaise qu’elle est aujourd’hui, Fatiya Diene Mazza a passé des heures à dessiner et gommer des croquis d’aéroports internationaux à Doha, Salt Lake City ou Hawaï, lorsqu’elle était encore employée de l’immense cabinet américain Hok, à San Francisco. « Savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va », dit l’adage. C’est pour cette raison que cette cosmopolite qui parle cinq langues couramment a décidé de revenir aux traditions à Nguering, sur la côte, près de Mbour, en construisant avec le soutien des populations locales une maison expérimentale en pisé inspirée des techniques écologiques en terre cuite de la mosquée de Djenné, au Mali, « tout en lui donnant un coup de boost vers la modernité ».

C’est aussi cette volonté de ne pas perdre de vue ses origines africaines qui l’a influencée dans l’ébauche des Maisons de la jeunesse – déjà en construction dans plusieurs villes de province, notamment à Pikine ou Podor –, où sont reproduites des places de village, telles des agoras africaines. Lentement, mais sûrement, Fatiya Diene Mazza fait de son cabinet un kaléidoscope de collaborateurs sénégalais mais aussi burkinabè, tchadiens ou comoriens. Un véritable porte-étendard de ce qu’elle appelle « l’architecture panafricaine contemporaine ».

jeuneafrique

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