La majorité de la recherche s’est focalisée sur la protéine Spike, essentielle pour l’entrée du virus dans nos cellules. Mais d’autres parties du virus qui pourraient être attaquées viennent d’être mises en évidence.
Vaccins, anticorps monoclonaux, antiviraux… Nous disposons déjà de tout un arsenal de médicaments pour lutter contre le Covid. Cependant, toutes ces armes ont leurs défauts : le virus mute vite et les vaccins et anticorps monoclonaux qui ciblent la protéine Spike ont du mal à suivre ; et les antiviraux existants (dont Molnupiravir et Paxlovid) présentent des risques de mutagenèse pour le premier et d’effets secondaires potentiellement graves chez certaines personnes pour le deuxième (notamment celles avec insuffisance rénale ou hépatique sévère). La recherche de nouvelles approches thérapeutiques continue donc afin de renforcer cet arsenal contre un virus qui menace de rester pendant encore des années. Grâce à ces recherches, une autre cible potentielle vient d’être mise en lumière dans un article publié le 22 novembre 2022 dans le journal eLife.
Un vigile qui joue le favoritisme
Il s’agit de la protéine non structurelle Nsp1, qui a deux fonctions vitales pour le coronavirus : elle permet au virus de produire ses protéines tout en empêchant à la cellule de produire ses propres protéines, dont celles nécessaires pour se défendre de l’intrus. Cette protéine s’incruste dans le ribosome (la fabrique de protéines de la cellule) et bloque l’accès de l’ARN messager (ARNm), qui ne peut pas être lu par le ribosome. Cet ARNm contient les instructions à partir desquelles le ribosome fabrique les outils nécessaires pour la cellule (les protéines produites dans un processus nommé « traduction »). Sans instructions, il n’y a pas de production de nouvelles protéines. Y compris celles qui participent dans la réponse immunitaire innée. Ainsi, le fonctionnement de la cellule est perturbé et ses défenses sont amoindries, facilitant le travail au virus.
Or, les ARN messagers du virus échappent à ce blocage. Nsp1 reconnaît une région spécifique de l’ARN viral et le laisse ainsi passer vers le ribosome pour produire les protéines du virus. « Cette petite protéine virale bloque sélectivement les ribosomes — c’est-à-dire les usines à protéines de nos cellules — les rendant inutilisables par nos cellules et empêchant ainsi la réponse immunitaire. Parallèlement, via les ribosomes, Nsp1 stimule la production de protéines virales », explique Francesco Luigi Gervasio, professeur à l’Université de Genève (Suisse) et directeur de l’étude, dans un communiqué. Pour résumer, Nsp1 se prend pour le vigile du ribosome et ne laisse passer que ses « amis » afin de favoriser la réplication du virus.
Une cavité cachée dans Nsp1 pourrait accueillir une molécule qui bloquerait ce processus
Les chercheurs de l’Université de Genève en collaboration avec l’University College de Londres (Royaume-Uni) et l’Université de Barcelone (Espagne) ont regardé Nsp1 sous toutes ses coutures. Ils ont mis en évidence quatre points dans la protéine qui pourraient servir comme cible pour un éventuel médicament. Notamment une cavité dans la région de Nsp1 que reconnaît les ARN viraux. Une molécule bien placée dans cette cavité pourrait ainsi empêcher à Nsp1 de laisser passer ces ARN du virus, bloquant sa réplication.
Ils ont ensuite testé un grand nombre de molécules qui pourraient s’incruster dans cette cavité. L’une d’entre elles semblait être parfaite pour cette tâche : appelée 5-acetylaminoindane ou 2E10, cette petite molécule entre dans cette cavité et bloque le contact entre Nsp1 et l’ARN du virus. Selon les auteurs, cela devrait aboutir à inhiber la traduction des protéines virales, mais cela n’a pas été testé dans cette étude. Aussi, ils espèrent que cette molécule pourrait diminuer l’affinité de Nsp1 pour le ribosome, ce qui l’empêcherait de bloquer la traduction des protéines de la cellule.
Cette molécule pourrait nous protéger aussi d’autres coronavirus
Bonus : cette cavité est similaire chez une grande partie de coronavirus, donc un potentiel traitement antiviral ciblant cette cavité chez le virus responsable du Covid serait potentiellement efficace aussi contre un grand nombre de ses cousins. “Ces résultats ouvrent la voie à la mise au point de nouveaux traitements ciblant la protéine Nsp1, non seulement pour lutter contre le SARS-CoV-2 et ses variants, mais aussi contre d’autres coronavirus pour lesquels Nsp1 est présente”, projette Francesco Luigi Gervasio. Des résultats très prometteurs, mais le chemin est encore très long avant que ce potentiel antiviral fasse partie de notre arsenal contre le Covid.
AFP