Biodiversité : les « zones mortes » se multiplient dans les océans

Alors que la COP15 sur la biodiversité s’est ouverte mercredi, France 24 fait le point avec la biologiste marine Francoise Gaill sur le phénomène des « zones mortes » dans l’océan et leur lien avec le réchauffement climatique.

La COP15, la 15e conférence sur la biodiversité, s’est ouverte mercredi 7 décembre à Montréal, au Canada. L’un de ses objectifs consiste à imposer la préservation de 30 % des écosystèmes marins. Car si on pense souvent à la biodiversité terrestre, l’océan abrite lui aussi une grande diversité d’espèces, dont la survie est menacée par de multiples facteurs.

La diminution de l’oxygène dans l’eau de mer est l’un d’eux : plus de 400 « zones mortes » existent en ce moment dans l’océan mondial, selon une étude de l’Université de Virginie, contre 150 en 2003, d’après les chiffres de l’ONU.

Sous-oxygénées, ces zones marines s’étendent sur 245 000 kilomètres carrés et menacent la vie vertébrée : plus d’un tiers des mammifères marins sont concernés. Le phénomène, connu depuis les années 1980, va en s’accélérant, même si les études manquent encore sur le sujet.

Françoise Gaill, vice-présidente de la plateforme Océan et climat et conseillère scientifique Milieux marins et océaniques à l’Institut écologie et environnement (InEE) du CNRS, répond aux questions de France 24.

France 24 : Qu’est-ce qu’une zone morte ?

Françoise Gaill : Les zones mortes sont des espaces hypoxiques de l’océan, c’est-à-dire des espaces où la concentration en oxygène est en dessous de la norme : on peut assister à une baisse allant jusqu’à 20 % de l’oxygène habituel, ce qui est déjà important, et cela peut aller jusqu’à 50 % d’oxygène en deçà des niveaux normaux.

On observe ce manque d’oxygène dans les zones superficielles de l’océan, entre 50 et 400 mètres de profondeur. Les eaux les plus en surface sont généralement moins concernées, car elles bénéficient de l’oxygénation permise par leur contact avec l’air, qui accède moins facilement aux eaux plus profondes.

Elles sont principalement situées au large de l’Amérique, de la Californie au Chili. L’Afrique de l’Ouest est également concernée ainsi que la partie ouest de l’Indonésie, dans l’océan Indien.

Ces zones se trouvent souvent à proximité des côtes, mais on commence à voir que certaines d’entre elles, au large de l’Amérique, vont plus loin, vers le milieu du Pacifique, soit très loin du rivage.

Quelles sont les conséquences sur la biodiversité ?

Le manque d’oxygénation de l’eau produit une modification du milieu, et cela a bien entendu un impact sur la biodiversité marine. Lorsqu’il y a moins d’oxygène, voire très peu, les poissons, qui en ont besoin pour respirer, se retrouvent en situation d’hypoxie, et risquent de mourir. S’ils ne meurent pas, ils migrent vers des espaces mieux oxygénés, ce qui affecte l’écosystème dans son ensemble et donc la biodiversité locale.

D’autant que les animaux qui ne peuvent pas fuir aussi rapidement ces zones risquent de mourir étouffés. Je pense aux crabes et aux crustacés par exemple – certaines de ces zones ont d’ailleurs été identifiées après que des tombereaux d’animaux morts ont été observés sur les plages. Tous les animaux, qui ont besoin d’oxygène pour vivre, sont touchés. Les végétaux sont moins concernés, car ils sont moins dépendants à l’oxygène que les animaux.

Quelles sont les causes de ces zones mortes ?

Les zones mortes sont à l’origine un phénomène naturel. Certaines zones peuvent être moins oxygénées que d’autres en raison des courants marins, mais cela reste normalement un phénomène rare dans l’océan.

On a d’abord pensé que l’accroissement de la surface et du nombre de ces zones était causé par l’activité humaine. On parle alors d’un phénomène d’eutrophisation : un apport de matières organiques dans l’eau de mer – causé par exemple par les intrants rejetés par les produits agricoles, les engrais – peut entraîner un accroissement des organismes planctoniques, qui vont absorber ces matières organiques et se multiplier, jusqu’à consommer trop d’oxygène et épuiser le milieu naturel.

Mais on réalise depuis une dizaine d’années que cela n’est pas la seule cause de la baisse d’oxygénation de l’océan : le réchauffement climatique joue aussi son rôle, il y a une corrélation.

L’accroissement du nombre de ces zones et de leur étendue va de pair avec l’aggravation du changement climatique : ces zones mortes, en majorité côtières, s’étendent aussi vers la haute mer, ce qui montre bien que la baisse de l’oxygène n’est pas seulement due au rejet de produits agricoles. Le réchauffement du climat provoque en effet une élévation de la température de l’eau de mer, et l’oxygène se dissout moins bien dans une eau chaude.

Les zones mortes sont-elles mortes pour toujours ?

Non, pas du tout. Il s’agit d’un phénomène dynamique, des renouvellements peuvent être apportés par les courants ou par des phénomènes météorologiques, comme une tempête par exemple, qui peut renouveler l’oxygène de l’eau.

Les zones mortes ne sont donc pas définitives, mais il y a une probabilité non nulle qu’elles se reforment au même endroit en raison des courants locaux. Et il est aussi possible de limiter l’impact causé par les activités humaines, en diminuant les apports de matières organiques issus de l’agriculture.

Mais la corrélation avec le changement climatique change la donne. L’une des conséquences de l’augmentation de la température de l’eau de mer est le ralentissement potentiel des courants marins : cela rend ces zones « étanches », et les empêche de se mélanger, et donc de se réoxygéner.

De ce fait, il s’agit d’un phénomène à surveiller, pour la biodiversité marine, pour les pêcheurs et même pour le tourisme. Et s’il est possible d’avoir une action relativement simple sur les rejets d’intrants dans l’océan, en limitant les rejets de produits agricoles par exemple, le réchauffement climatique est bien moins réversible.

Ces zones mortes vont donc s’accroître si on ne fait rien pour juguler le réchauffement climatique, ce qui passe par la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la limitation du réchauffement climatique à 1,5 ou 2 degrés Celsius maximum.

france24

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