Un tunnel ferroviaire doit à terme relier Lyon à Turin, en passant sous les Alpes. Une liaison de 57 kilomètres qui crée la polémique, en France comme en Italie. Reportage dans la vallée de la Haute Maurienne dans Transversales.
Ce tunnel de base devrait permettre aux trains de voyageurs et de fret de circuler sous les montagnes comme s’ils étaient en plaine. Pour ses promoteurs, c’est un maillon indispensable en Europe pour transporter les marchandises sur rail plutôt que sur routes. Mais pour ses détracteurs, c’est une gabegie financière, évaluée à 26 milliards d’euros, ainsi qu’un danger écologique.
En attendant, le projet européen, lancé il y a 30 ans, ne devrait pas voir le jour avant au moins une décennie. En France comme en Italie, l’opposition s’organise.
Un tunnel de base, c’est quoi ?
Le tunnel de base est situé à la base de la montagne, il comprend deux tubes, il fait une longueur de 57,5 km, 2/3 côté France soit 45 km, 1/3 en Italie, donc 12,5 km. Il est décomposé entre différentes sections, avec différentes attaques intermédiaires, à partir desquelles l’ouvrage est construit, explique Emmanuel Humbert, directeur à la construction chez TELT, la société binationale du Tunnel Euralpin Lyon Turin, chargée de percer le tunnel ferroviaire sous les Alpes.
« La vocation même du projet est de favoriser le transport ferroviaire, d’aller vers des modes beaucoup plus respectueux du climat. L’ambition du Lyon Turin est de capter un trafic entre la France et l’Italie, et d’organiser un report d’environ un million de poids lourds depuis la route vers le rail. »
Comme l’ont fait la Suisse et l’Autriche, avec les tunnels de base du Saint-Gothard, du Lötschberg, du Ceneri, ou le tunnel du Brenner, qui est également en construction, précise-t-il.
Le principe est de construire un tunnel de base, qui, comme son nom l’indique, sera à la base de la montagne, rectiligne et en pente douce. Il sera nettement plus efficace que le tunnel ferroviaire qui existe déjà en montagne, à 1270 mètres d’altitude, et qui ne permettra pas d’avoir une infrastructure de grande capacité.
Une opposition active
Depuis 30 ans, en Italie, le mouvement NO TAV, qui signifie Non au TGV, manifeste, jusqu’à pratiquer des sabotages de chantier. Présence d’amiante et de radioactivité dans les déblais, béton sur des terres agricoles, ils dénoncent notamment des atteintes à l’environnement. Plus timide, le mouvement côté français se réactive.
Comme à Modane, ville frontière de 400 âmes, qui milite contre la construction du tunnel. Les habitants ont récemment bloqué la livraison de toupies de béton et ont fait face à la gendarmerie, aux amendes, aux CRS.
Micheline explique : « Pour nous, la bascule s’est faite en 2022 quand on a perdu l’eau, là on s’est renseigné sur le projet. On a perdu la source qui alimentait le village. Et le fait de l’avoir sous les yeux, c’est ce qui nous a fait prendre conscience. »
La montagne en danger ?
Philippe Delhomme est professeur d’histoire géo au Collège de Modane et coprésident de l’association Vivre et Agir en Maurienne. Il observe les atteintes à l’environnement dans le paysage, notamment à Avrieux autour de la cascade Saint-Benoît, un lieu très touristique.
« La cascade est en sursis, tout comme le ruisseau. Il y a des risques importants d’assèchement, de tarissement de sources et de ruisseaux, dont la cascade Saint-Benoît, suite au percement de l’éventuel tunnel. »
Dans les années 1999-2000, il était convaincu de ce projet Lyon Turin, suite au choc de l’accident du tunnel du Mont Blanc, qui a fait 39 morts, puis, en conséquence de la fermeture du tunnel, à l’arrivée massive de milliers de camions dans la vallée, qui a augmenté le risque d’accidents, la pollution, etc. Tous ont alors manifesté pour demander du ferroviaire et on leur a promis le tunnel de base Lyon Turin pour 2015.
« Alors pourquoi est-ce qu’on a changé d’avis ? Parce que, petit à petit, on s’est rendu compte que d’abord, ça demandait beaucoup de temps. On ne comprenait pas pourquoi on n’utilisait pas la ligne existante, qui permet de faire tout de suite du ferroutage, du transport de marchandises combiné. Faisons-le tout de suite, ça coûterait beaucoup moins cher, ça n’amènerait pas de dégâts et c’est simple, en fait. »
En attendant, toute une zone de 17 hectares a déjà été défrichée et déboisée pour entreposer les déchets liés à la galerie de reconnaissance de 4 km, creusée sous le village du Bourget.
« On va être embêtés par le bruit, par la poussière, par la dévastation, pendant une quinzaine ou une vingtaine d’années. A Villarodin-Bourget, on pourra dire adieu à notre vie quotidienne, mais aussi au tourisme. Qui voudra venir faire de la montagne ici ? Qui voudra faire du ski dans une zone de chantier comme ça ? On est en train, en quelque sorte, de tuer la haute vallée, on va détruire un paysage de montagne. »
La question de l’eau
Pour Philippe Delhomme, le tunnel et ses accès fonctionnent comme un dangereux siphon qui vidange les nappes phréatiques et modifie la circulation de l’eau dans la roche.
Il appuie son point de vue sur une étude de TELT et sur un document du Bureau de Recherche géologique et minière qui alertait TELT il y a un an, qui détaille l’imprécision du protocole de suivi de la plupart des points d’eau et note « quelques situations d’incohérence entre la prévision des impacts et les impacts réellement observés ».
Chez TELT, Emmanuel Humbert répond en assurant qu’il n’y a pas d’atteinte à l’eau potable. « On fait le suivi quotidien, le suivi mensuel de tous ces réseaux-là, on regarde de très près tout ce qui peut se passer et si jamais il se passe quelque chose, on réagit. Heureusement, on n’a pas eu d’événement ou d’incident important. […] Les tunnels suisses drainent aussi une partie de l’eau, comme c’est d’usage. Et pour autant, les tunnels suisses n’ont pas vidé les Alpes de toute leur eau ! Nous aujourd’hui, on a choisi d’avoir un tunnel qui reprend les mêmes principes que les ouvrages similaires qui sont réalisés en Suisse et on observe les mêmes phénomènes de drainage. »
RTBF