Pour la Journée internationale des migrants, plusieurs organisations et collectifs appelaient à manifester, dimanche, dans une cinquantaine de villes de France. À Paris, ils étaient des milliers réunis porte de la Chapelle pour une marche des solidarités avec les migrants et pour protester contre le nouveau projet de loi immigration porté par le gouvernement. Reportage.
Le cortège parisien, qui s’est étiré entre la porte de la Chapelle et la place de la République, avait comme mot d’ordre l’opposition au nouveau projet de loi sur l’immigration annoncé pour janvier 2023 par le gouvernement et l’appel à la solidarité avec les personnes migrantes.
Nous étions des milliers ce matin à Paris pour manifester à l'occasion de la journée internationale des migrant.e.s !
Une des plus importantes mobilisations de ces derniers années pour un 18 décembre !
C'était le 1er round contre la loi immigration de Darmanin ! pic.twitter.com/kT6jHU4l9F
— Marche des Solidarités (@MSolidarites) December 18, 2022
« Nous manifestons tous les ans pour faire vivre cette journée, mais elle a lieu cette année dans un contexte particulier », explique Mody, porte-parole du Collectif des sans-papiers de Montreuil (93). « Nous voulons nous battre contre la loi prévue en janvier. Elle va encore davantage maintenir les personnes en situation irrégulière dans la peur et risque de nous criminaliser. »
Si ses contours n’ont pas encore été précisés, le gouvernement a indiqué vouloir déposer début 2023 un « projet de loi relatif à l’asile et à l’immigration dans la République », afin de mettre en place une « immigration choisie ». Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a évoqué la possibilité de distribuer des titres de séjour pour les emplois dits « en tension », tout en accélérant l’expulsion des personnes placées sous obligation de quitter le territoire français (OQTF). Les personnes voyant leur première demande d’asile rejetée seraient en outre immédiatement placées sous OQTF.
« Nous avons peur »
Le projet inquiète Mody, qui vit en situation irrégulière en France depuis 2018 après un voyage de cinq ans et une traversée de la Méditerranée.
« Nous avons peur de cette loi », explique le Malien de 37 ans, alors que le cortège mené par les collectifs de sans-papiers s’élance vers la place de la République. « Gérald Darmanin a dit qu’il voulait rendre la vie des personnes sous OQTF impossible. Cela fait quatre ans que je suis en France, j’aimerais faire une formation, changer de travail… Et ils peuvent venir me chercher chez moi comme un criminel car je suis en situation irrégulière. C’est horrible. J’ai mis cinq ans à venir en France, ça fait quatre ans que j’y habite. Si on m’expulse, c’est toute ma vie qu’on fout en l’air. »
« Nous sommes dans un contexte qui nous préoccupe profondément », rebondit Geneviève Jacques, ancienne présidente et militante de la Cimade, croisée dans la manifestation. « Nous n’avons entendu que quelques bribes du nouveau projet de loi, mais nous sommes dans une période où les idées de l’extrême droite prospèrent. Les préfectures durcissent leur attitude, on assiste à une méfiance généralisée et à l’humiliation des personnes étrangères, qui sont traitées comme des délinquantes, alors que certaines ont eu des parcours migratoires très douloureux et très difficiles. C’est un déni de la réalité, et nous sommes convaincus qu’il faut faire changer le regard sur ces hommes et ces femmes, alors qu’il y a des morts chaque jour dans la Méditerranée. »
Depuis le 1er janvier 2022, en effet, 1 988 personnes sont mortes en tentant de traverser la Méditerranée, un nombre légèrement supérieur à 2021, selon le Projet Migrants Disparus. En tout, cette année, 197 560 personnes ont tenté la traversée, 3 000 de plus que l’an passé.
Un peu plus loin dans le cortège, qui scande « régularisation pour tous les sans-papiers », un groupe de vélos et de scooters attire l’œil. Brandissant des drapeaux verts, les travailleurs sans-papiers des plateformes de livraison sont venus faire entendre leur exaspération. Médiatisés au moment de la pandémie de Covid-19, alors qu’ils étaient en première ligne, ils sont depuis la fin des confinements retombés dans l’oubli sans que leur situation ait changé pour autant.
« Notre situation ne s’est pas améliorée », explique ainsi Thomas, qui travaille pour la plateforme UberEats au volant de son scooter rouge. « On travaille alors qu’il fait -5 degrés, on cotise, on paie des impôts et nous n’avons droit à rien, on nous criminalise. On est là pour crier notre ras-le-bol, on veut être régularisés et pouvoir travailler légalement comme tout le monde. UberEats est conscient de la situation et il ne fait rien. Nous en avons assez ! »
Si leur nombre est par définition difficile à évaluer, il y aurait actuellement en France entre 400 000 et un million de travailleurs sans-papiers. Employés dans les secteurs du BTP, de la restauration, du nettoyage ou encore de l’aide à la personne, ils connaissent pour beaucoup des conditions de travail difficiles, où les abus ne sont pas rares.
« Les travailleurs migrants vivent en majorité une situation de surexploitation », affirme ainsi Jean-Albert Guidou, de la CGT. « Les sans-papiers travaillent sur les chantiers, dans le BTP, dans le nettoyage… Ce sont des métiers difficiles, où le code du travail n’est souvent pas appliqué. Cette marche est l’occasion de marquer notre solidarité avec eux. Les travailleurs sans-papiers ont payé le prix fort pour la Coupe du monde de football, et ce sont eux aussi qui travaillent sur les chantiers des Jeux olympiques. »
Double coïncidence : la manifestation se déroule le jour de la finale de la Coupe du monde de football au Qatar, où de nombreux travailleurs migrants sont morts. Et elle est partie de la porte de la Chapelle, dans le 18e arrondissement de Paris, en face du chantier de l’Adidas Arena. Construit pour les Jeux olympiques, le bâtiment, d’une capacité de 7 800 places, accueillera les épreuves de badminton et de gymnastique rythmique en 2024.
Début décembre, une enquête parue dans le journal Le Monde faisait état de nombreux travailleurs sans papiers employés illégalement sur différents chantiers des Jeux olympiques, à Paris et en Seine-Saint-Denis.
france24