L’industrialisation reste un enjeu central du développement de l’Afrique. Des discussions ont été conduites récemment sur ce point faible de la construction économique du continent, à savoir sa capacité à produire et transformer sur place et sa dépendance aux importations, notamment en matière de produits alimentaire et d’énergie.
Après deux ans de pandémie de Covid-19 qui ont sapé la croissance du continent, l’Afrique dispose-t-elle des moyens pour mettre sur pied son modèle économique afin d’être indépendante ?
Pascal Baute, expert en développement durable à Liège, en Belgique, travaille depuis des années avec des pays africains grâce à son ONG Nature, sciences et cultures.
DW : Pascal Baute, vous êtes biologiste, expert en développement durable, président de l’ONG Développement, nature, sciences et culture, à Liège. On parle justement de développement. Un problème qui se pose encore en Afrique avec acuité. Comment pensez-vous que l’Afrique puisse s’y prendre pour se développer?
C’est clair que ça fait partie des problèmes majeurs du développement puisque les sources d’énergie qui étaient utilisées jusqu’à présent les énergies fossiles sont de moins en moins disponibles, l’offre stagne et les coûts d’exportation augmentent. Et de plus, la demande n’a fait que d’augmenter et les insécurités géopolitiques ne font que de rendre la question en approvisionnement énergétique de plus en plus risquée et de plus en plus dangereuse.
De plus, nous sommes quand même confrontés au changement climatique qui est indéniable. Il faut penser de plus en plus à la décarbonation de l’économie. Et comme tout le monde le sait, l’Afrique se trouve quand même en première ligne des effets des changements climatiques.
Donc ici, en Afrique, c’est vraiment très, très important de se tourner vers les énergies renouvelables. D’autant plus que vous avez comme une très, très grande facilité chez vous qui est évidemment le fait d’avoir du soleil toute l’année. Le solaire évidemment, serait une source d’opportunités, mais pas seulement.
Il y a également tout ce qui est formation de biogaz, etc. qui pourrait être une alternative aux énergies fossiles.
Le mieux c’est de ne pas suivre les modèles de développement qui ont été développés jusqu’à présent en Occident, mais de pouvoir vraiment miser sur l’innovation technologique parce que justement, l’avantage, c’est qu’on part d’un niveau de développement très bas, alors autant directement aller vers de méthodes innovatrices qui permettront à l’Afrique de prendre sa part dans le développement international.
DW : L’un des leviers sur lesquels plusieurs experts s’accordent, c’est l’industrialisation. Mais comment trouver les investissements qui vont aider à construire des usines? Car les investisseurs sont rares en Afrique centrale ou encore en Afrique de l’Ouest en raison de l’insécurité.
Le problème est essentiellement quand même un problème de type institutionnel. Il est nécessaire d’avoir une simplification administrative et une lutte contre la corruption qui permettrait d’aider les investisseurs à venir s’installer pour, éventuellement, miser sur des aides aux entreprises, etc…. des abattements fiscaux. Mais l’élément essentiel reste quand même la lutte contre la corruption et contre l’insécurité. Donc ça, ce sont des domaines dans lesquels il faut à tout prix intervenir pour offrir des garanties suffisantes aux investisseurs.
DW : La guerre en Ukraine a révélé l’ampleur de la dépendance du continent africain aux céréales importées. Comment l’Afrique peut-elle sortir de sa dépendance aux céréales importées comme on le constate actuellement avec le prix du pain qui a grimpé, si ce n’est pas la quantité qui a été revue à la baisse.
Il faut savoir que l’agriculture africaine est essentiellement toujours de type familial et deuxièmement, elle est également toujours basée sur un modèle productiviste : produire pour le marché mondial. C’est un modèle qui était hérité de l’époque coloniale, c’est-à-dire qu’on va produire des biens d’exportation, par exemple du cacao, du café, du thé, des bananes, etc. qui sont exportés vers l’extérieur. Mais on n’a pas misé sur l’autosuffisance alimentaire.
Il faudrait favoriser tout ce qui est développement de l’agriculture, mais essentiellement aussi l’agriculture familiale et les petites entités. Pourquoi? Parce que plus des gens vont produire de la nourriture, plus on pourra atteindre rapidement de l’autosuffisance alimentaire et moins dépendre de tout ce qui est importé.
Il faudra non seulement produire de plus en plus localement, mais également aussi même pourquoi pas des produits pour l’exportation ici en Europe, dans tout ce qui est marché du bio, tout ce qui est produits dérivés etc. Il y a quand même pas mal de demande dans tous ces domaines. C’est vrai que la guerre en Ukraine et la hausse des coûts des céréales, c’est un problème, mais c’est une occasion justement pour mettre en œuvre des stratégies pour contrer cette problématique.
DW : Quel rôle pourraient jouer les universités et centres de recherche selon vous ?
Nous avons mis en place plusieurs coopératives agricoles paysannes, avec des jeunes dans plusieurs communes du sud du Bénin, et nous avons développé des partenariats avec les écoles d’agronomie et d’horticulture.
Je pense que le partenariat, justement avec les universités, est très, très important. Beaucoup d’universités forment des gens de très, très haut niveau qui finissent par quitter le pays pour aller éventuellement travailler en Occident où beaucoup de gens ne trouvent en fait pas de travail après leurs études.
Je pense que l’Afrique a quand même énormément de talents, énormément de potentiel, énormément de créativité et c’est le moment justement d’essayer d’absorber toute cette créativité dans tous les objectifs de développement.
DW : On pourrait penser que la solution vienne aussi avec la spécialisation des grandes écoles. Et comment vont-elles aider l’Afrique à réduire sa dépendance alimentaire et aux sources d’énergie ?
Avec de véritables pépinières de talents ! Il faut tout faire pour essayer de garder ces jeunes au pays concernant les éventuels financements, etc.
Il faut développer des initiatives publiques, privées et il faut que l’entreprenariat local puisse se développer.
Personnellement, je suis quelqu’un qui ne prend pas beaucoup l’assistanat. Je pense que la meilleure façon de se développer, c’est de faire du business ensemble plutôt que de virer dans tout ce qui est assistanat.
dw