Les États-Unis ont confirmé, mercredi, la livraison d’un système de défense antiaérien Patriot à l’Ukraine, à l’occasion de la visite du président Volodymyr Zelensky à Washington. Une étape significative dans l’internationalisation du conflit, mais qui ne devrait pas fondamentalement changer la donne sur le terrain.
Ils vont devenir les meilleurs gardiens des cieux ukrainiens. Des missiles Patriot ont été livrés à Kiev, a confirmé Washington, mercredi 21 décembre, à l’occasion de la visite aux États-Unis du président Volodymyr Zelensky. Ce précieux système antiaérien conçu à la fin des années 1980 et modernisé à plusieurs reprises est le plus sophistiqué jamais livré à l’Ukraine par les Occidentaux depuis le début de l’invasion russe.
« C’est un système qui dispose d’une grande portée d’identification, c’est-à-dire qu’il peut détecter de très loin les frappes et peut gérer plusieurs projectiles à la fois », explique le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU.
Piliers de la défense du flanc oriental de l’Otan, ces missiles sont capables d’intercepter toutes les menaces venues du ciel dans un rayon de 60 à 160 km. Pouvant voler jusqu’à quatre fois la vitesse du son, ils ne laissent que peu de chance aux avions ennemis et aux projectiles les plus modernes, même ceux évoluant à très haute altitude.
Une défense hétéroclite à coordonner
Chaque batterie mobile comprend huit lanceurs, chacun contenant quatre missiles. Des ordinateurs, des générateurs d’électricité ainsi qu’un radar ultraperformant complètent cet armement rare dont bénéficie une dizaine d’alliés des États-Unis, tels que le Japon ou encore Israël. La batterie qui sera livrée à l’Ukraine devrait provenir de l’arsenal polonais ou allemand.
« Ce nouveau système va servir à boucher les trous. L’Ukraine dispose déjà de systèmes soviétiques S-300 ou des systèmes occidentaux de moyenne portée, comme l’Iris-T allemand ou le Crotale français. Avec les Patriot, les Ukrainiens auront une capacité de longue portée », précise Marc Chassillan, consultant spécialisé dans les questions de défense.
Face à la stratégie russe consistant à saturer les défenses en faisant s’abattre une pluie de projectiles, les Ukrainiens devront toutefois procéder à une coordination difficile entre les différents systèmes déjà en place.
« Les Patriot serviront à détruire les missiles à haute vélocité tandis que les autres s’occuperont des drones. Mais cela reste une coordination extrêmement complexe, que les armées n’ont pas l’habitude de mettre en œuvre car on dispose en général de moyens moins hétéroclites », indique Dominique Trinquand.
Une valeur d’un milliard de dollars
Cependant, ce nouvel armement, aussi sophistiqué soit-il, ne devrait pas modifier les rapports de force sur le terrain. Avec cette unique batterie, l’Ukraine ne pourra en effet sanctuariser que quelques centaines de kilomètres carrés de son territoire. La capitale Kiev, centre du pouvoir et ville la plus peuplée d’Ukraine, pourrait bénéficier de son déploiement. Un important dispositif de sécurité devrait accompagner l’installation de la batterie, dont la valeur avoisine le milliard de dollars.
Chaque missile américain coûte également plusieurs millions, ce qui devrait encourager les Ukrainiens à bien trier les cibles avant de lancer une interception. « Abattre un drone à 50 000 dollars avec un missile qui coûte un million n’est pas une bonne idée », résume Mark Cancian, un ancien colonel de l’armée américaine interrogé par le média en ligne Vox.
« Sauf si ce drone a pour cible une centrale électrique et s’apprête à couper le courant à des millions d’habitants », nuance Marc Chassillan. « L’affectation d’un système dépend aussi de la valeur de la cible qui était censée être détruite. »
Le système ne sera pas opérationnel dans l’immédiat
Autre bémol, le déploiement de cette batterie Patriot va prendre du temps. Même si les soldats ukrainiens ont prouvé une étonnante capacité à apprendre vite et bien le maniement des armes occidentales, la maîtrise de ce système sophistiqué qui nécessite environ 90 soldats n’est pas pour demain.
« Il va notamment falloir former des artilleurs sol-air ukrainiens. Certes, ils sont déjà accoutumés à ce type de système, mais il leur faudra tout de même plusieurs semaines voire plusieurs mois. À cela s’ajoute une formation à la maintenance de ce matériel très sophistiqué. Même si cette formation a déjà commencé, le système ne sera opérationnel que d’ici deux ou trois mois », avance Marc Chassillan.
Sans doute trop tard pour aider Kiev à affronter la guerre du froid menée par Vladimir Poutine. Selon des responsables américains, l’entraînement des troupes de Kiev serait déjà prévu sur la base de Grafenwöhr, en Allemagne. La Pologne, qui possède plusieurs sites équipés de Patriot, pourrait aussi fournir un lieu de formation aux spécialistes ukrainiens.
« Affrontement entre la Russie et les États-Unis »
Cette montée en gamme de l’aide militaire américaine est aussi un message envoyé à Moscou et, dans une moindre mesure, à Téhéran qui, après ses drones kamikazes, pourrait fournir des missiles balistiques à la Russie.
« Offrir un système dont les performances sont très supérieures à ce dont dispose votre allié ainsi que son adversaire, c’est une décision éminemment politique », estime Marc Chassillan.
Après avoir longtemps hésité à franchir ce cap par crainte de provoquer une escalade, Washington réaffirme ici avec force un soutien sans faille à l’Ukraine. Cette batterie Patriot s’intègre dans une nouvelle tranche d’aide militaire de 1,8 milliard de dollars qui comprendra également des bombes à guidage de précision pour les avions de chasse ukrainiens.
Selon Dominique Trinquand, « au-delà de cette nouvelle aide, la visite de Volodymyr Zelensky à Washington au moment où le président Poutine a décidé de réunir tous les responsables de la défense pour évoquer l’année 2023 est une façon de montrer que l’affrontement est maintenant réellement entre la Russie et les États-Unis ».
FRANCE24