Une conférence doit être organisée pour statuer sur la justice transitionnelle. Mais les familles de victimes ne font pas confiance aux militaires.
L’index et le pouce posés sur son menton lui donnent un air contemplatif. Comme si, à l’époque où son ami avait dessiné son portrait, Ali Hobeldeen s’était déjà extrait, un instant, du monde des vivants. Ce comptable avait 28 ans lorsqu’une grenade lacrymogène a sectionné son artère carotide. C’était le 9 janvier, en marge d’une énième manifestation pacifique contre le coup d’État militaire qui a interrompu la transition démocratique soudanaise le 25 octobre 2021. Alors, près d’un an plus tard, sa mère, l’avocate Nemat Hamdan, ne peut se satisfaire de l’accord-cadre que certains représentants de la société civile ont passés le 5 décembre avec les putschistes.
« Ce texte a été préparé pendant plusieurs mois de manière secrète. Cela signifie forcément que les politiques et les militaires se protègent eux-mêmes ainsi que leurs intérêts. Si nous acceptons ce pacte, nous gaspillerons à la fois le sang des martyrs, mais aussi le sang et les efforts de ceux qui continuent à descendre dans la rue », explique Nemat Hamdan, sous le regard de son fils encadré dans le salon familial. Avec la réforme du secteur sécuritaire, la paix, le démantèlement de l’ancien régime et la résolution de la crise du Soudan oriental, la justice transitionnelle fait partie des dossiers que les signataires ont remis à plus tard. Ces sujets sensibles devraient être discutés dans le cadre d’ateliers de trois jours prévus entre fin décembre et début janvier. Puis les conclusions seront intégrées au document de cinq pages.
Un atelier pour crédibiliser l’accord-cadre
« Si nous étions restés dans le statu quo qui a suivi le putsch, rien ne se serait passé. Il y aurait eu davantage de victimes et de violations des droits de l’homme. Cette situation n’aurait jamais permis de servir la cause de la justice au Soudan », justifie Nasredeen Abdulbari. Ministre de la Justice jusqu’au coup d’État, ce docteur en sciences juridiques compte parmi les principaux architectes du traité du 5 décembre. Il reconnaît néanmoins qu’il n’existe aucune garantie que le pacte sera, cette fois, respecté.
L’avocat Rifaat Makkawi représente de nombreux parents des 122 hommes et femmes qui ont péri depuis le putsch. Il ne soutient pas l’accord-cadre puisqu’il risque, selon lui, de retarder la justice transitionnelle. Il ne participera donc pas à la conférence supposée esquisser les contours de ce processus. « Pendant la transition dirigée par l’ex-Premier ministre Abdallah Hamdok, plusieurs réunions de ce type ont été organisées pour entendre les positions des victimes, mais la participation de ces dernières ne doit pas prendre cette forme », avertit-il, au nom du manque de confidentialité. « Cet atelier servira seulement à montrer que les signataires entendent les victimes pour donner de la crédibilité à leur accord, regrette Rifaat Makkawi. C’est leur seule intention. Mais les Soudanais ne sont pas naïfs ! »
lepoint