Un père et un fils arrachés à leur village peul et envoyés combattre en France durant la Première Guerre mondiale : dans « Tirailleurs », en salles mercredi, Mathieu Vadepied raconte, par l’intime, les destins broyés de tirailleurs sénégalais.
Dix-sept ans plus tôt, au même endroit, un film sur des tirailleurs maghrébins durant la Seconde Guerre mondiale faisait sensation à Cannes : « Indigènes », de Rachid Bouchareb qui a valu au casting un prix d’interprétation collectif.
Cette fois, Mathieu Vadepied a centré son récit sur les seuls tirailleurs sénégalais avec, dans le rôle titre, la star Omar Sy.
Tourné en partie au Sénégal mais aussi dans les Ardennes, le film suit le destin d’un père, Bakary (Omar Sy) et de son fils Thierno (Alassane Diong), qui sont arrachés à leur famille et se retrouvent dans les tranchées de la Grande Guerre, sous uniforme tricolore.
« Pas là pour culpabiliser »
Au-delà de l’horreur de la guerre, Vadepied met au centre de son film la relation difficile d’un père et son fils. Face à Bakary qui veut juste ramener son garçon vivant chez lui, Thierno, galvanisé par l’ambition militaire et la découverte de la France, menace de lui échapper.
Si « Tirailleurs » est d’abord le combat d’un père pour sauver son fils de la guerre, la portée politique de ce film est sans équivoque.
« L’idée, c’est de questionner. Questionner le rapport historique de la France à ses anciennes colonies, qu’est-ce qu’on dit de ça aujourd’hui, est-ce qu’on sait ce qu’on a fait? », avait déclaré à l’AFP son réalisateur lors du Festival de Cannes.
S’il se défend d’avoir fait un film « frontalement politique », il espère qu’il permettra de nettoyer les « caries » du récit national. Et surtout, précise-t-il, « on ne fait pas comme si ça n’existait pas, on ne bouge pas sans. Ces histoires, il faut les raconter, les transmettre. Faut que tout le monde les connaisse ».
Créé par Napoléon III en 1857 au Sénégal, d’où son nom, le corps d’infanterie des tirailleurs s’est ensuite élargi dans son recrutement à des hommes d’autres régions d’Afrique occidentale et centrale conquises par la France à la fin du XIXe siècle.
La plus grande partie des tirailleurs venaient ainsi de territoires qui sont aujourd’hui le Mali et le Burkina Faso.
Les tirailleurs furent plus de 200.000 à se battre lors de la Première Guerre mondiale, 150.000 pour la Seconde, 60.000 en Indochine. C’est l’une des premières fois que leur histoire est portée à l’écran.
« On n’est pas là pour faire culpabiliser, mais pour reconnaître des histoires douloureuses et s’en libérer », assure Mathieu Vadepied.
Oubliés des politiques français pendant des décennies, les tirailleurs et leurs héritiers déplorent, encore aujourd’hui, un manque de reconnaissance, notamment du fait de retraites inférieures à celles de leurs frères d’armes français.
« Aujourd’hui, notre génération a besoin de ce récit pour notre construction, de prendre l’histoire, de savoir comment on se construit par rapport à ces deux pays », a poursuivi l’interprète de Lupin, co-producteur du film.
AFP