Les humains du futur naîtront-ils dans des fermes à bébés ?

Hashem Al-Ghaili a proposé un concept terrifiant qui rappelle un grand classique de la fiction dystopique.

Cela fait quelques années déjà que les démographes constatent un déclin léger, mais significatif de la population européenne. C’est un fait, les habitants du Vieux continent font de moins en moins de bébés. Et même si cela pourrait sembler contre-intuitif après des années à entendre parler de surpopulation, c’est une dynamique qui inquiète désormais certains grands noms.

Pour résoudre ce problème, certains penseurs imaginent des solutions diverses et variées. Ce mois-ci, c’est l’une de ces idées, baptisée EctoLife, qui a défrayé la chronique. C’est une expérience de pensée de Hashem Al-Ghaili, un spécialiste des biotechnologies qui réalise des vidéos sur des avancées scientifiques et des concepts novateurs.

Son dernier projet, baptisé EctoLife, n’est pas un produit commercial en cours de développement ; il ne s’agit que d’un concept. Et c’est probablement une bonne nouvelle, car il s’agit d’une gigantesque ferme à embryons capable de cultiver de petits humains en quantités industrielles. Et si le concept vous semble déjà terrifiant… c’est probablement encore pire que ce que vous imaginez.

Al-Ghaili a imaginé un ensemble d’environ 75 plateformes composées d’environ 400 capsules remplies d’un substrat liquide. De quoi produire environ 30,000 petits humains chaque année.

Chacune d’entre elles est une sorte d’incubateur très avancé qui reproduit l’environnement d’un bébé pendant la grossesse. L’idée est d’y insérer un embryon produit par fécondation in vitro. Une fois bien installé, ses constantes vitales sont surveillées en permanence par une armada de capteurs. Cela permettra d’ajuster en permanence la composition du substrat grâce à deux bioréacteurs.

Le premier joue plus ou moins le rôle du cordon ombilical ; il se charge d’acheminer les nutriments et l’oxygène dans la chambre pour subvenir aux besoins de l’embryon. Le second se charge de retraiter ses déjections pour maintenir un environnement sain… et aussi pour le recycler en une nouvelle fournée de nutriments. Bon appétit, bien sûr !

Une conception terrifiante de la relation mère-enfant

Mais il y a encore nettement plus perturbant dans le concept d’Al-Ghaili, à savoir l’éventail de fonctionnalités réservées aux futurs parents. Le problème évident de cette approche, c’est la rupture du lien entre l’enfant à naître et sa maman. Il s’agit d’une relation littéralement fusionnelle, dans la mesure où les physiologies de l’enfant et de la mère sont intimement liées ; sur le plan biologique, la grossesse, c’est aussi une façon de commencer à intégrer l’enfant à son futur cadre de vie.

Mais il ne s’agit pas que de chimie organique. Il existe une foule d’interactions entre les femmes enceintes et leur bébé. Et cette dynamique est très importante pour le renforcement de l’instinct maternel et le développement cognitif de l’enfant.

Pour combler cette lacune, Al-Ghaili a imaginé plusieurs fonctionnalités carrément cauchemardesques. Chaque capsule est accompagnée d’une application pour smartphone qui permet aux parents de suivre le développement de l’embryon… et même d’interagir avec. Ils pourront par exemple de l’observer en temps réel grâce à une caméra installée dans la capsule, ou lui parler par l’intermédiaire de leur téléphone.

Vous n’êtes pas encore complètement horrifié ? Qu’à cela ne tienne, nous n’en sommes qu’à l’échauffement ! Car Al-Ghaili a aussi rajouté un autre ingrédient explosif à son concept déjà dystopique à souhait : la recette de ces bébés-éprouvette implique aussi… un zeste d’ingénierie génétique et d’eugénisme.

Une bonne dose d’ingénierie génétique

Comme mentionné plus haut, les embryons sont d’abord produits grâce à un processus de FIV. Cela consiste à mettre en contact les cellules reproductrices des parents en contact hors de l’organisme. Le protocole habituel implique de produire plusieurs de ces embryons à la fois. Cela permet d’en trouver un viable, car la manipulation ne réussit pas à tous les coups.

Al-Ghaili explique sans trembler du menton qu’il s’agirait d’une belle occasion de réaliser un séquençage afin de « sélectionner les embryons génétiquement supérieurs ». En d’autres termes, les parents pourraient sélectionner eux-mêmes l’embryon FIV qui leur convient. D’un côté, cela permet de vérifier que le futur bébé ne viendra pas au monde avec des malformations ou des maladies génétiques graves.

 

Grâce à des outils comme les « ciseaux moléculaires » CRISPR-Cas9, Al-Ghaili affirme qu’il serait possible de « réparer n’importe quelle maladie génétique héréditaire ». Pour l’instant, cela relève encore de la science-fiction, mais la médecine s’en rapproche effectivement . Le souci, c’est qu’une fois arrivés à ce stade, on peut tout à fait imaginer utiliser cette technologie pour produire des sortes de « super-bébés » sur mesure. Une pente excessivement glissante qui pourrait avoir des conséquences désastreuses à l’échelle de la civilisation entière.

Seulement un concept… pour l’instant

Et le point le plus perturbant, c’est que même si EctoLife n’est qu’un concept pour le moment, toutes les technologies nécessaires commencent à devenir matures. En théorie, il ne reste donc plus qu’à les combiner au sein d’un même système. Et selon Al-Ghaili, nous ne sommes plus qu’à « quelques années » de cette échéance.

Or, à l’heure actuelle, nous n’avons tout simplement aucune idée de ce à quoi ressemblerait l’humanité avec une génération entière de bébés cultivés loin de leurs mères. Et l’impact d’une telle dynamique pourrait être profond. Car en substance, il s’agirait de modifier un processus de développement qui conditionne directement le visage de l’humanité depuis des dizaines de milliers d’années.

Dans une interview à Metro sur un autre sujet, la professeure Anna Smajdor a donné un exemple très parlant. Elle expliquait que « les contraintes de l’utérus et du pelvis humain ont agi comme des freins à la taille du crâne et du cerveau humain ».

Un changement radical dans la trajectoire de l’humanité

Cela signifie-t-il qu’il faut absolument cesser d’accoucher naturellement pour faire avancer l’humanité ? Absolument pas. D’ailleurs, cela ne signifie en aucun cas que les humains deviendraient plus intelligents s’ils naissaient ainsi. Mais c’est un bon exemple pour montrer que si homo sapiens sapiens était « libéré » des contraintes de la grossesse normale, cela pourrait changer complètement la trajectoire évolutive de l’humanité — pour le meilleur ou pour le pire. Car il ne s’agit que d’un exemple isolé, et des tas d’autres conséquences scientifiques et sociales aujourd’hui imperceptibles nous attendent forcément au tournant.

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