L’économie britannique est frappée, comme les autres économies européennes, par l’inflation et l’augmentation du coût de la vie. Mais le Brexit, dont l’accord est entré en vigueur il y a deux ans, semble avoir accentué cette dégradation, dont on peine à mesurer encore l’ampleur. Mais cette sortie de l’UE a un clair impact sur les exportations ou le secteur agricole. Explications.
Les Britanniques font grise mine deux ans après le Brexit, à en croire plusieurs sondages d’opinion réalisés à ce sujet ces dernières semaines. Le dernier en date, publié le 1er janvier par The Independent, révèle que près des deux tiers de la population outre-Manche est désormais… favorable à un référendum sur un retour dans l’UE. Selon le journal, « la majorité des électeurs (56 %, NDLR) pensent désormais que (le Brexit) a aggravé » la situation économique outre-Manche – contre 44 % il y a un an.
Il est vrai que plusieurs indicateurs de l’économie britannique ont viré au rouge ces derniers mois : le PIB du Royaume-Uni a reculé de 0,3 % au troisième trimestre de l’année 2022, l’inflation a dépassé les 10 % et a même culminé à 11,1 % sur un an en octobre, provoquant une grave crise du coût de la vie.
Cette « situation de faiblesse » économique du Royaume-Uni peut s’expliquer « à court terme » comme une conséquence du Brexit, selon Catherine Coron, maîtresse de conférence en civilisation britannique à l’université Paris-Panthéon-Assas : « Si on regarde l’inflation du Royaume-Uni et des États-Unis – une autre économie libérale –, il y a un écart de 2 %, ce qui est énorme. Et pendant que le PIB britannique stagne, celui des États-Unis reprend. »
À cela s’ajoutent les difficultés rencontrées par les entreprises outre-Manche pour fonctionner avec de nouvelles règles. La sortie du Royaume-Uni de l’UE a entraîné le retour des contrôles aux frontières, des vérifications douanières ou encore des droits d’importation… De nouvelles règles qui ont aussi signifié plus de paperasse administrative pour les entrepreneurs qui font de l’import-export.
Cette situation n’est pas sans conséquences : les exportations des produits britanniques vers l’UE ont baissé de 30 % sur l’année 2021, selon des chercheurs de la London School of Economics. Ces derniers estiment que l’accord de Brexit entré en vigueur le 1er janvier 2021 « a augmenté les coûts fixes de l’exportation vers l’UE, ce qui a poussé les petits exportateurs à quitter les petits marchés de l’UE » – alors que les grandes entreprises britanniques n’ont pas ou peu été entravées pour leurs exportations.
Un Brexit qui a déjà coûté plus de sept milliards de dollars
« Le Brexit a aussi un impact sur les produits de première nécessité, avec des pénuries dans le secteur agricole, notamment de fruits et légumes », explique Aurélien Antoine, professeur de droit à l’Université Jean-Monnet de Saint-Étienne et directeur de l’Observatoire du Brexit.
La National Farmers’ Union – le principal syndicat agricole outre-Manche – a d’ailleurs mis en garde début décembre contre un risque de « crise d’approvisionnement alimentaire » au Royaume-Uni. La sortie de l’UE a en effet compliqué l’embauche de travailleurs européens sur lesquels s’appuyait le secteur agricole, et certains producteurs ont vu certaines de leurs cultures pourrir sur pied, faute de bras pour les récolter.
Pour compléter le tableau noir, la City a été dépassée pour la première fois en novembre dernier par la Bourse de Paris en capitalisation boursière. « C’est cela la plus grande conséquence du Brexit : le quartier d’affaires de Londres n’est plus la première place financière d’Europe », note Catherine Coron.
Même si le coût global du Brexit est difficile à évaluer – plusieurs facteurs affectent l’économie britannique (et les économies européennes), notamment la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine –, des études ont été menées sur le sujet.
L’une d’elles, produite par le Centre for Economic Performance de la London School of Economics, a révélé début décembre que la sortie de l’UE avait déjà « coûté aux consommateurs britanniques un total de 5,8 milliards de livres (7,11 milliards de dollars) » sur la période 2019-2021, ajoutant « en moyenne 210 livres aux factures alimentaires » des ménages.
« Incertitude économique » hier… et demain
Le Brexit, bien qu’il présente de nombreux inconvénients pour l’économie britannique, a aussi été bénéfique au Royaume-Uni, dans une moindre mesure, sur plusieurs points, selon Aurélien Antoine : « Cela a entraîné une baisse de la concurrence dans plusieurs secteurs, notamment le secteur agricole. La raréfaction de la main-d’œuvre étrangère a aussi permis à des syndicats britanniques de négocier des augmentations de salaires (notamment pour les chauffeurs routiers, NDLR). »
Mais ces quelques signes positifs ne parviennent pas à contrebalancer l’incertitude que le Brexit fait planer depuis le départ sur l’économie britannique. « La raison pour laquelle le Royaume-Uni est vraiment très mal, et les conséquences du Brexit encore plus fortes, c’est qu’il y a eu beaucoup d’incertitude économique depuis le référendum (en juin 2016) », analyse Catherine Coron. « Entre ce moment et celui où le Brexit a vraiment été acté, on a eu un temps très long. Les agents économiques sur les marchés – qui ont besoin d’anticiper – ne pouvaient pas se projeter parce qu’ils ne savaient pas où allait l’économie britannique. »
L’économie britannique semble pour le moment durablement affectée – à court et moyen terme – par le Brexit. Les perspectives économiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) n’incitent d’ailleurs pas à l’optimisme pour les deux ans à venir : selon elle, le Royaume-Uni devrait être le pays le moins performant parmi les principales économies mondiales – la Russie mise à part –, avec une prévision de PIB en diminution de 0,4 % en 2023 et une augmentation de 0,2 % en 2024.
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