Il y avait les Argonautes. Et désormais, il y aura les Climatonautes. Une vingtaine de volontaires qui ont choisi de suivre Christian Clot, l’aventurier chercheur, dans trois folles expéditions en milieux extrêmes, pour permettre aux scientifiques d’étudier comme jamais la façon dont les humains s’adaptent aux changements climatiques. Stéphane Besnard, le responsable médical et le codirecteur scientifique des études des expéditions, nous dévoile aujourd’hui les dessous du projet Deep Climate.
Jason et les Argonautes étaient partis en quête de la Toison d’or. Christian Clot et les Climatonautes, eux, sont partis depuis quelques semaines en quête de réponses. Une quête qui pourrait sembler moins périlleuse que celle des héros de la mythologie grecque, mais qui ne sera certainement pas de tout repos. « Je reviens de Guyane », nous confiait, il y a quelques jours, Stéphane Besnard, le responsable médical et le codirecteur scientifique des études de Deep Climate. « Je peux vous dire que, dans la forêt équatoriale, il faut rester vigilant à chaque instant. Le danger est partout. Il y a des règles à respecter scrupuleusement si on veut que tout se passe bien. »
Deep Climate : « Réapprendre à vivre et à travailler dans des conditions un peu plus extrêmes »
Évidemment, les Climatonautes de Christian Clot ont suivi des stages de formation et d’entraînement. Ils sont préparés. Autant que faire se peut. Les équipes qui les suivent n’ont rien laissé au hasard. Tout a été conçu pour assurer la sécurité des volontaires d’une part, et la réussite de leur quête, d’autre part.
Rappelons que le projet Deep Climate, ce sont 10 hommes et 10 femmes — dont une partie était déjà de l’expérience Deep Time portée par Christian Clot et son équipe du Human Adaptation Institut (HAI) — vivant habituellement en France métropolitaine, sous un climat tempéré. Pour l’occasion, ils vont se confronter à des environnements « un peu plus extrêmes ». D’abord la chaleur et l’humidité de la forêt équatoriale de Guyane. D’ici quelques semaines, le climat froid et sec de la Laponie. Et pour finir, les conditions chaudes et arides qui règnent dans les déserts du Moyen-Orient. L’objectif : comprendre comment l’humain peut s’adapter aux changements climatiques qui s’annoncent.
APRÈS LA FORÊT DE GUYANE, LES CLIMATONAUTES EXPLORERONT LA LAPONIE.
Les dessous de Deep Climate
Chaque expédition durera 40 jours. Rien à voir, vous l’imaginez bien, avec ce chiffre qui revient sans cesse dans les écrits religieux. Comme un symbole de l’épreuve. « Nous sommes partis sur des expéditions de 40 jours parce que les études scientifiques réalisées sur des groupes [lors d’hivernage dans les bases polaires ou de missions dans la Station spatiale internationale (ISS), ndlr] montrent des cycles d’évolution et d’organisation de 40 jours. Or nous sommes partis pour étudier les individus, mais aussi la manière dont le groupe peut aider à l’adaptation », nous explique Stéphane Besnard.
La précédente expérience, menée par Christian Clot et son équipe, avait d’ailleurs aussi été conduite sur 40 jours. Deep Time avait entraîné une quinzaine de personnes à vivre confinées au fond d’une grotte. Pour tester leur rapport au temps. C’était en 2021.
Deep Time : retour à l’air libre après 40 jours de confinement
Mais 40 jours, finalement, n’est-ce pas un peu court pour observer des adaptations au climat ? « Certains processus ou régulations se modifient très rapidement. Sur le plan physiologique, en 10 à 15 jours, en milieu chaud, vous commencez à mieux évacuer la chaleur, par exemple. Sur le plan sensoriel, quelques jours suffisent aussi à s’habituer aux bruits de la forêt », nous assure le responsable médical de Deep Climate. Alors, bien sûr, 40 jours ne suffiront pas à adapter les Climatonautes aussi bien que les populations qui vivent dans la forêt équatoriale de Guyane. Toutefois, les chercheurs s’attendent à observer des modifications fonctionnelles et un remodelage aussi bien musculaire que cérébral. « Nous l’avons observé sur ceux qui ont pris part à l’expérience Deep Time. Il n’y a pas de raison pour qu’elles n’apparaissent pas ici », commente Stéphane Besnard.
Entre les trois expéditions de 40 jours, l’équipe a prévu des pauses. De 30 jours, cette fois. « Nous aurions aimé faire plus court. Mais il y a un délai incompressible. Un temps de mesure de quelques jours, déjà. Et puis le temps de réacheminer le matériel. Nous ne disposons pas du budget suffisant à affréter spécialement un avion et réduire ainsi ce délai. Et point important, il nous permet aussi de réaliser des mesures de récupération sur les volontaires. À leur retour de mission et avant de repartir. Ces mesures de réacclimatation seront aussi importantes que les données de milieu. Elles nous permettront de savoir si tous ont récupéré, à quelle vitesse et sur quels paramètres », nous précise le responsable médical de Deep Climate.
Et si les Climatonautes sont partis d’abord pour le chaud, puis pour le froid et à nouveau pour le chaud, ce n’est pas seulement pour tester leurs réactions aux changements brutaux de températures. « Nous avions aussi des contraintes purement climatiques. L’Amazonie, nous devions y aller en décembre. Pour trouver des conditions chaudes et humides à souhait. La Laponie, elle, devait être explorée en février, lorsqu’il y fait le plus froid. Pour le désert, avril ou mai nous semblait parfait dans l’enchainement. Pour trouver des conditions proches du plus chaud », nous explique Stéphane Besnard.
👩🔬 Grosse journée #sciences @InstitutCerveau avant le départ de la 1ère mission de l’expédition #DeepClimate ! pic.twitter.com/HxVstJqiRN
— Nicolas Ngo (@NicolasNg0) December 3, 2022
Un défi : mesurer l’humain sur le terrain
D’autant que sur place, pas d’échappatoire pour les Climatonautes. Sauf en cas d’urgence, bien sûr. Pas question de se tourner les pouces non plus. « Nous ne voulions pas seulement les placer dans des environnements extrêmes, mais aussi leur faire réaliser une activité physique, une obligation à s’orienter et de mouvoir. Pour se rapprocher de ce que nous faisons au quotidien. Et mesurer à quel point leurs fonctions resteraient opérationnelles. » Au programme donc, pas d’ultra-trail, mais un cheminement en raft et à pied dans la forêt de Guyane, en ski-pulka en Laponie et en tirant des chariots dans le désert.
Sur plusieurs centaines de kilomètres tout de même. Sans moyen motorisé ni assistance extérieure. Afin de permettre aux scientifiques d’évaluer à la fois l’énergie dépensée et la façon dont les volontaires hésiteront, se tromperont et parviendront finalement à s’orienter dans l’espace pour suivre leur itinéraire. Individuellement et en groupe, toujours. « Ces fonctions sont essentielles. Elles peuvent très vite être dégradées par la température extérieure. »
Pour les chercheurs, la difficulté sera de réussir à mesurer ces paramètres sur le terrain. « En laboratoire, nous pouvons utiliser de grandes chambres climatiques et des systèmes de mesure lourds. Mais nous ne voulions et ne pouvions pas avoir cela en forêt, nous explique Stéphane Besnard. Nous avons fait un gros travail en amont pour trouver les systèmes portatifs capables de recueillir les données qui nous seront utiles. Des enregistreurs de sommeil à électrode unique, par exemple. Et nous sommes toujours à l’affut de nouvelles technologies. Nous continuons d’en tester ». Le médecin ne parle pas là de ces applications qui fleurissent depuis quelques mois. « Elles ne sont pas fiables sur le plan scientifique. Elles ne sont pas calibrées. Elles ne fonctionnent qu’à peine pour 10 % de la population. »
AU TOTAL, CE NE SONT PAS MOINS D’UNE DOUZAINE D’ÉQUIPES SCIENTIFIQUES QUI VONT ÉTUDIER NOTAMMENT L’ÉPIGÉNÉTIQUE DES INDIVIDUS ET DU GROUPE. ÉTUDIER LA PHYSIOLOGIE, LE SYSTÈME CARDIAQUE, LA CHRONOBIOLOGIE, LES RYTHMES CIRCADIENS OU ENCORE LE SOMMEIL POUR COMPRENDRE LES MÉCANISMES QUI VONT MODIFIER L’EXPRESSION DES GÈNES DES CLIMATONAUTES.
Christian Clot, directeur scientifique de l’expédition, n’a pas hésité à développer lui-même certains systèmes. Comme un sociomètre qui devrait enregistrer des données capitales sur les Climatonautes. Un boîtier pas plus grand qu’une grosse boîte d’allumette et qui se glisse dans la poche du blouson. Par Bluetooth, il détecte chaque interaction. « Le sociomètre ne permet pas de savoir ce qui se dit ou d’enregistrer les regards échangés, mais il donne une mesure quantitative de qui est avec qui et à quelle distance, de qui reste avec qui et de qui se réorganise avec qui. C’est le seul système du genre qui existe aujourd’hui », se réjouit Stéphane Besnard avant de nous confier. « Pour compléter tout ça, nous sommes d’ailleurs en train de développer un dispositif de mesures qui permettrait un suivi personnalisé. Pas un gadget. Un vrai outil scientifique mis au point avec quelque chose que les équipes de Google et de ses concurrents n’ont pas encore : l’expertise médicale et scientifique en terrains contraignants. »
Pour découvrir les premiers résultats de l’expérience Deep Climate, il faudra encore s’armer d’un peu de patience. « D’ici fin 2023, nous devrions pouvoir publier des choses intéressantes », estime Stéphane Besnard. C’est loin. Mais, pour la science, ça reste relativement rapide. « Nous ne voulions pas nous fondre dans le temps de la recherche. Nous ne voulions pas mettre 5 ans à publier de premiers résultats. Nous en avons besoin plus rapidement pour pouvoir les appliquer sur le terrain. » Pour des résultats complets, combinant de l’épigénétique à la biologie en passant par la cognition, la psychologie et la psychiatrie, la physiologie, le microbiote intestinal, l’écologie et la géographie, la biodiversité, l’impact climatique, l’ethnologie et la sociologie, il faudra toutefois attendre une bonne année de plus. Le temps pour les scientifiques d’analyser les milliers, voire les centaines de milliers de données ramenées par les Climatonautes. Nous avons tous hâte…
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