Souadou Niang, de femme de chambre à propriétaire d’un hôtel d’une valeur de plus d’un milliard de FCFA

A 18 ans, Souadou Niang a quitté le cocon familial pour les États-Unis. Cette découverte de l’Amérique lui a ouvert des opportunités professionnelles qu’elle a saisies et qui lui ont permis de réussir son retour au pays. Elle nous explique son parcours.
« Si tu ne sais pas qui tu es, tiens toi devant le miroir et pose toi la question parce que toi seule pourra y répondre ».
C’est l’une des phrases que Souadou Niang retient de sa maman.
La mère de Souadou imposait à sa fille ce test du miroir pour l’aider à faire régulièrement son examen de conscience.
Mais le miroir a une utilisation beaucoup plus triviale. Il sert aussi à jauger, à affiner un style.
Souadou traverse le hall de l’hôtel la démarche sûre.
Cheveux coupés ras et légèrement teintés en blond, elle porte une tunique traditionnelle sénégalaise appelée « jam put », littéralement pique gorge à cause de son col qui pointe vers le cou, revisitée en robe moderne, et des baskets de couleurs différentes : l’une noire et l’autre blanche. Un style Iconoclaste et original.
Enracinement et ouverture.
C’est une déclinaison personnelle du style afro-chic de son boutique hôtel où elle me reçoit dans le salon d’attente attenant à la réception.
Sur les divans, sont posés des coussins en bogolan dont les motifs renvoient à la paroi qui donne au salon son aspect privatif.
Il y a quelques clients, majoritairement anglophones, qui s’affairent.
« On reprend timidement » souffle-t-elle.
La mère comme modèle inspirant

Orpheline de père à 3 ans, et douzième enfant d’une famille de 13, Souadou est jumelle.

Elle dit avoir hérité de sa mère son goût pour « l’élégance et le raffinement. Et sa force de caractère : « elle était très stricte mais avec beaucoup d’amour ».
« Ma mère, elle s’est mariée elle avait quatorze ans et mon père vingt ans. Ils étaient l’un des premiers noirs à habiter au port dans l’immeuble des cheminots. Là il y avait des femmes d’expatriés français qui l’ont prise sous leurs ailes pour lui apprendre la couture, la cuisine occidentale, etc. .
Elle n’a jamais fait d’études ni rien mais elle a su s’adapter. Elle allait au cinéma, elle était ouverte d’esprit. »
Mais le décès du père cheminot dans un accident de travail met une fin brutale à ce tableau idyllique.
La mère de Souadou se bat pour nourrir et éduquer la famille, aidée en cela par les aînés des enfants.
Elle fait du petit commerce qui lui permet de subvenir à certains de ses besoins mais assigne à chacun de ses fils qui travaille une partie du budget familial : « je me rappelle, mes frères ils travaillaient dur pour tout emmener à la maison. Elle avait tout géré. »
Après le bac, elle envoie Souadou rejoindre un de ses frères établi entre temps aux États-Unis pour qu’elle y continue ses études.
L’Amérique, pays de tous les possibles
Férue de séries judiciaires, Souadou se voyait bien avocate.
Mais un passage au Ritz Carlton dans sa quête d’un travail d’étudiant va changer le cours de sa vie.
Elle y a gravi les échelons, passant de femme de chambre à manager, parce qu’elle y a vu des personnes de nationalités différentes avancer dans leur parcours professionnel.
« Moi ma vision c’était je veux être dans le management. Parce que c’était un melting pot il y avait des Mexicains, des Ghanéens qui étaient dans le management (…) j’ai dit qu’en tant que Sénégalaise j’avais ma place. »
C’est à ce moment que l’idée de créer un hôtel de luxe au Sénégal commençait à germer dans son esprit. Elle dit avoir voulu mettre cette expérience du luxe à la disposition des Sénégalais et des Africains en général : » c’est dans les dix ans que j’ai fait là-bas que j’ai commencé à faire ce rêve. »
Un évènement malheureux va accélérer les choses.
Le retour au Sénégal
Après un long entretien téléphonique avec sa mère, Souadou lui a souhaité bonne nuit. Elle lui promet de la rappeler le lendemain. Il est 21 heurse à Dakar. Ce sera la dernière discussion qu’elle aura avec sa maman..
Souadou est informée de son décès le lendemain. Elle décide alors de rentrer avec son bébé pour assister aux funérailles.
Nous sommes en 2002. Elle arrive au Sénégal après l’enterrement et décide d’aller se recueillir sur la tombe de sa mère. Ce fut une expérience traumatisante qu’elle n’a pas renouvelée.
Elle dit recevoir toujours la visite de sa mère, qui veille toujours sur elle en la guidant dans ses choix avec des indications claires.
Ses jours de congés de deuil épuisés, elle se doit de rentrer mais décide contre toute attente de rester.
Elle trouve du travail dans une compagnie minière.et un signe du destin lui fait croire encore plus en son projet : « une fois j’avais réservé beaucoup de chambres dans un hôtel de la place et malheureusement le Roi du Maroc décide de venir à Dakar et on a sorti tous mes investisseurs de l’hôtel et je n’avais pas où les mettre. J’ai dit ça c’est pas possible. »
L’équation du financement

Business plan sous le bras, elle fait le tour des banques de la place.

Les rendez-vous s’enchaînent, infructueux. Mobiliser près d’un milliard de francs CFA quand on a pas de solides garanties pour investir dans un secteur dominé par des chaînes d’hôtel de renom n’est pas chose aisée.
Elle fait face au parcours du combattant d’un entrepreneur. Surtout une entrepreneure .
Cela ne l’empêche pas de démarrer pour autant. Elle s’acquitte des frais de location de ce qui deviendra plus tard le Palms Luxury boutique hôtel et démarre les travaux.
« J’ai toujours voulu la vie d’une femme libre et je crois que j’y suis arrivée »
Un énième entretien avec une banque est organisé.
Cette fois-ci le directeur régional de cette institution est présent à Dakar et participe à la réunion.
Quand Souadou raconte les détails de ce rendez-vous, elle se redresse, ses yeux pétillent, sa voix devient aigüe. On peut aisément en déduire qu’elle jouait son va ‘tout en ce moment précis : « il me dit quand tu parles je vois des étincelles, je vois que tu es très habitée et toi tu vas réussir ce projet. « 
Le dossier de crédit est monté. Souadou tient enfin son financement.
Cette étape de franchie, il reste encore d’autres défis à relever, surtout celui de la qualité du service.
L’hôtellerie de luxe s’adresse à une clientèle exigeante, cosmopolite, habituée à l’excellence du service proposé, de l’accueil à la literie .
La transmission du savoir-faire

Au Sénégal, le tourisme est un secteur clé dans la stratégie de croissance du gouvernement. Selon l’Agence nationale de statistique et de la démographie, il a généré des recettes de 275,7 milliards en 2018 et emploie des dizaines de milliers de personnes.

Comme Angèle Sène.
Elle travaille dans un grand hôtel de Dakar quand elle entend parler du projet de Souadou. Elle s’arrange pour trouver son numéro et l’appelle pour proposer ses services.
Le Palms n’est alors qu’un chantier.
Néanmoins elles gardent le contact.
Jusqu’au jour où elle reçoit un appel de Souadou qui lui demande de passer voir les travaux déjà très avancés.
Elle est le premier employé de l’hôtel dont elle est aujourd’hui la gouvernante.
Malgré son expérience, Souadou dit lui avoir payé un séjour d’une semaine dans un palace marocain avec d’autres collègues pour qu’ils s’imprègnent du souci du détail et de l’expérience client dans l’hôtellerie haut de gamme : « on les as pouponnés, on leur a montré comment on reçoit un client. Ils étaient eux-même les clients. Il fallait que je les y emmène, afin qu’ils comprennent mon langage pour que je puisse déléguer après. »
L’épreuve du Covid
L’hôtel ouvre ses portes en 2017 et attire une clientèle plutôt anglo-saxonne.
Les affaires marchent bien, elle parvient à honorer ses traites et payer ses employés. Jusqu’à ce que le Covid arrive. L’hôtel reste fermé pendant onze mois.
« C’était dur. C’est toujours dur parce que nous avons fermé le 10mars 2020, l’état nous a demandé de fermer mais nous on avait déjà commencé à sentir le problème du Covid. Parce que les miniers venaient d’Australie et passaient par l’Asie pour arriver. Et moi, depuis Octobre 2019 j’avais senti une baisse énorme. « 
Malgré la réouverture, une grande partie de sa clientèle n’est pas encore revenue à cause des restrictions liées aux voyages dans ce contexte de pandémie.
Elle a obtenu un accompagnement de l’Etat du Sénégal « un prêt différé sur deux ans pour payer les trois mois de salaire de fermeture initiale. »
Elle espère bénéficier du fonds de soutien Force Covid mis en place par le gouvernement : « on a rempli toutes les formulaires, on attend. »
Selon un rapport conjoint de la CNUCED et de l’OMT publié le 30 juin 2021, l’effondrement du tourisme international à cause de la pandémie pourrait coûter 4000 milliards à l’économie mondiale en 2020 et 2021.
La famille, un soutien, un refuge

Souadou sait qu’en face de ces difficultés, elle peut compter sur sa famille.

Elle reste toujours soudée autour de la mère, l’absente la plus présente.
C’est d’ailleurs dans la maison familiale qui se trouve à Colobane, un des quartiers populaires de Dakar, que tous les frères et sœurs qui se trouvent au Sénégal déjeunent à midi.
Les autres, éparpillés un peu partout à travers le monde, s’y joignent grâce à la magie du net si leur fuseau horaire converge.
C’est un rituel qu’elle ne veut rater pour rien au monde.
Elle peut y déguster son plat favori de riz curry au crabe et aux crevettes qui a détrôné le soupou kandia ( riz à la sauce gombo) de son enfance.
Elle avoue que son défi majeur, qu’elle partage avec ses frères et soeurs est de transmettre ces mêmes valeurs à leurs enfants et petits-enfants.
Elle dit retourner souvent aux Etats-Unis voir ses deux filles qui y vivent.
Souadou a divorcé avec leur père, un ancien camarade de lycée qu’elle a épousée à 21 ans aux Etats-Unis.
L’heure du fameux déjeuner familial approche et je me risque à lui demander si elle continue toujours de se regarder seule dans un miroir et si oui, ce qu’elle y voit.
BBC

You may like