Mesurée avec précision dans une étude scientifique, la distance géographique séparant les êtres humains et la nature s’allonge. Elle est désormais d’un peu plus de 9 km en moyenne dans le monde, et de 16 km en France métropolitaine. Une tendance qui pourrait s’inverser avec l’implantation de forêts urbaines.
Loin des yeux, loin du cœur. L’expression populaire, utilisée pour décrire un sentiment amoureux qui se délite entre deux tourtereaux géographiquement séparés, se décline aussi à l’échelle de notre relation à Dame Nature. Selon les résultats d’une étonnante étude franco-allemande, l’homme s’éloigne de plus en plus de la nature… Et cela n’est pas sans conséquence dans la relation qu’il tisse avec la biodiversité ou la préoccupation qu’il peut nourrir pour la préserver.
Un être humain vit actuellement à une distance moyenne de 9,7 km d’une zone naturelle. C’est 7 % plus loin qu’en 2000, d’après ces travaux publiés en décembre dans la revue scientifique « Frontiers in Ecology and the Environment ». L’éloignement est, toujours en moyenne, le plus flagrant en Asie du Sud-Est, en Amérique du Nord et en Europe, avec 22 km en Allemagne et 16 km en France métropolitaine.
Urbanisation et agriculture intensive
Une « zone naturelle », telle que citée dans l’étude, s’entend au sens large. « Dans notre démarche de recherche, qui a consisté à comparer les cartes de la densité de population et celles de zones les moins impactées par les activités humaines, cela regroupe à la fois les endroits de nature luxuriante et non transformés par l’activité humaine et les zones à faible impact environnemental, explique Victor Cazalis, chercheur en conservation de la biodiversité à l’université de Leipzig (Allemagne) et coauteur de l’étude. Ces dernières peuvent comporter des parties faiblement urbanisées, avec de petits villages ou des hameaux, des parcelles d’agriculture bio ou raisonnée ou encore des zones de forêts plantées pour l’exploitation. »
L’essor de l’urbanisation, avec la construction de nouveaux quartiers résidentiels, commerciaux ou industriels, mais aussi celui de l’agriculture intensive sont, logiquement, les deux facteurs essentiels qui expliquent ce phénomène. Et pour cause : la part de la population mondiale vivant dans des villes est passée de 34 % dans les années 1960 à 56 % aujourd’hui. L’étude pointe également d’autres tendances moins visibles.
« Quelques études font état d’une moindre fréquentation des visites dans les parcs naturels aux États-Unis et au Japon, et une diminution des activités de camping aux États-Unis, note Victor Cazalis. D’autres font état d’une moindre présence d’élément naturel dans les produits culturels que nous consommons, dans les romans, les chansons, les albums pour enfants ou encore les dessins animés. Dans les années 1960, les enfants regardaient des Walt Disney comme le Livre de la jungle. Les dessins animés d’aujourd’hui mettent surtout en scène des univers urbains ou naturalisés de façon artificielle. Dans le même temps, la nature est davantage présente dans les photos partagées sur les réseaux sociaux ou encore dans les univers explorés par les jeux vidéo. »
Pas inéluctable
Cette déconnexion à la nature, et le manque d’interactions régulières avec elle, est potentiellement néfaste. « Moins nous sommes proches de la nature, moins nous nous en préoccupons, car moins nous l’expérimentons et moins nous la connaissons, précise le chercheur, dont les travaux précédents ont établi que la conscience écologique est plus forte au sein des populations habitants près d’un parc naturel ou d’une zone boisée. Cet éloignement n’est pourtant pas inéluctable et pourrait être compensé par la présence d’espaces semi-naturels en ville. Pas de simples plantations d’arbres le long d’avenues mais l’instauration de véritables petites forêts au cœur des zones urbaines. »
Cette couverture forestière des villes est, malheureusement, elle aussi en déclin. Sur les 133 pays étudiés profitant de plus de 5 % de leur territoire en forêts urbaines, 125 ont vu ces zones fondre en superficie de 5 à 10 % depuis l’an 2000. « Il est pourtant essentiel de conserver une bonne connexion à la nature », estime Victor Cazalis. C’est un enjeu au programme de la COP15 sur la biodiversité qui vient de se ternir à Montréal dont l’un des objectifs est de permettre aux populations humaines de « vivre en harmonie avec la nature » d’ici à 2050.
leparisien