La baisse d’œstrogène après la ménopause entrainerait la modification d’une protéine pro-inflammatoire, ce qui cause la destruction des connexions entre les neurones.
La maladie d’Alzheimer touche près d’un million de personnes par an en France, dont 60 % sont des femmes, selon l’Inserm. Ce décalage entre les sexes s’explique en partie par la différence d’espérance de vie (plus longue pour elles). Mais des facteurs biologiques, tels que les hormones, pourraient aussi jouer un rôle. Notamment les œstrogènes, qui protégeraient le cerveau des femmes durant la première moitié de leur vie, mais dont la chute lors de la ménopause les rendrait plus vulnérables.
Une nouvelle étude, publiée le 14 décembre 2022 dans la revue Science Advances, vient renforcer cette hypothèse, en montrant que les cerveaux des femmes atteintes d’Alzheimer ont des niveaux plus élevés d’une protéine pro-inflammatoire associée au développement de cette maladie que les hommes atteints, et que le niveau de cette protéine dépend du niveau d’œstrogènes.
À la recherche de protéines modifiées dans les cerveaux de personnes avec Alzheimer
Des chercheurs du MIT, de l’Institut de recherche Scripps à la Jolla et de l’Université de Californie à San Diego (États-Unis) ont comparé des cerveaux de 40 personnes décédées et atteintes ou non de cette maladie (autant d’hommes que de femmes de plus de 70 ans). Des échantillons de leur cortex frontal ont été analysés pour chercher des protéines avec une modification spécifique : la S-nitrolysation, où un groupe de monoxyde d’azote s’accroche à une protéine. Pourquoi cette modification en particulier ? Parce que ces mêmes chercheurs avaient déjà mis en évidence en 2016 que l’accumulation du peptide bêta-amyloïde (impliqué dans la survenue de la maladie d’Alzheimer) cause des anomalies dans ce processus, entrainant la destruction de synapses dans la maladie d’Alzheimer.
Une protéine plus modifiée chez les femmes que chez les hommes
Un total de 1.450 protéines présentaient cette modification, dont 40 % uniquement dans les cerveaux de personnes atteintes d’Alzheimer. Parmi les protéines modifiées seulement chez les personnes malades, il y avait des différences marquées entre les cerveaux provenant des hommes ou des femmes. Dont des protéines pro-inflammatoires, notamment une protéine nommée C3 qui fait partie du système immunitaire inné.
Les cerveaux des femmes atteintes de cette maladie présentaient des niveaux de cette protéine modifiée 30 fois plus élevés par rapport à ceux des femmes décédées d’autres causes (contre une augmentation d’uniquement 5 fois pour les hommes).
C3 fait partie du système du complément, un groupe de protéines qui stimulent l’inflammation lors d’une infection et détruisent les pathogènes. En plus de lutter contre les infections, le système du complément aide les cellules gliales du cerveau à éliminer l’excès de synapses (les connexions entre neurones) durant le développement neuronal. Et c’est ainsi que la protéine C3 pourrait accélérer la survenue de la maladie d’Alzheimer. En effet, les chercheurs ont mis en évidence que la version modifiée de C3 poussait les cellules gliales à détruire davantage de synapses.
Les œstrogènes évitent la modification de la protéine C3
Il est connu que l’œstradiol, un œstrogène essentiel chez les femmes, peut éviter la S-nitrolysation dans les cellules gliales en bloquant la production de monoxyde d’azote, ingrédient principal de ce processus. Les chercheurs ont voulu vérifier que cela était bien le cas avec la protéine C3 aussi. En effet, l’ajout de cette hormone dans le milieu de culture des cellules gliales humaines évitait la S-nitrolysation de C3 en présence du peptide bêta-amyloïde. Alors que sans l’œstradiol, le bêta-amyloïde induisait cette modification de C3.
Un résultat qui suggère que les œstrogènes protègent le cerveau des femmes avant la ménopause en évitant des anomalies de C3, et donc du système du complément, qui entraineraient un excès inflammatoire. En revanche, cette protection disparaitrait lors de la chute de cette hormone après la ménopause, augmentant le risque de développer la maladie d’Alzheimer chez elles. « Je pense que nos résultats sont une pièce importante du puzzle pour expliquer pourquoi les femmes deviennent plus vulnérables à cette maladie lorsqu’elles vieillissent », conclut dans un communiqué Stuart Lipton, neurologue à l’Institut de recherche Scripps et directeur de l’étude.
Ces résultats nécessitent d’être confirmés, car cette étude repose uniquement sur une dizaine de cerveaux de femmes décédées de la maladie d’Alzheimer. Mais s’ils sont confirmés, ils confirmeraient l’importance des hormones dans le développement des maladies neurodégénératives, soulignant le rôle thérapeutique que les traitements hormonaux pourraient avoir pour les femmes après la ménopause.
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