En Europe, une « vague de chaleur hivernale » qui chamboule les écosystèmes

La fin de l’année 2022 et le début de l’année 2023 ont été marqués par des records de chaleur en Europe. Une « vague de chaleur hivernale » qui pourrait avoir des effets néfastes sur l’agriculture et les écosystèmes déjà affaiblis.

À l’image d’une année marquée par des canicules à répétition, 2022 s’est terminée avec un hiver très doux en Europe. Et 2023 commence sur la même lancée. En France, le thermomètre affichait ainsi, jeudi 12 janvier, pour la troisième semaine consécutive, des températures 3 à 4 degrés au-dessus des normales de saison, selon Météo France.

Comme un symbole de cette continuité entre l’année qui s’achève et celle qui démarre, plusieurs records de température ont été franchies le 31 décembre et le 1er janvier. Dans l’Hexagone, le mercure a atteint 18,6 °C à Strasbourg, dans le Bas-Rhin, ou encore 24 °C à Dax, dans les Landes – du jamais vu. Même constat en Allemagne, au Luxembourg ou encore en Pologne. À Varsovie, le thermomètre a ainsi affiché 18,9 °C, bien loin du précédent record datant de 1993 avec 13,8 °C.

« Depuis le 18 décembre, et certainement jusqu’à fin janvier, nous vivons une vague de chaleur hivernale, aussi appelée un faux printemps », explique Davide Faranda, climatologue à l’institut Pierre-Simon Laplace et au CNRS. Un phénomène « fréquent », selon le spécialiste, mais « exceptionnel cette année en terme d’intensité et de durée ».

Si l’idée de laisser les pulls au placard peut être alléchante pour ceux qui craignent la rigueur de l’hiver, « ce faux printemps chamboule l’équilibre des écosystèmes, avec des conséquences sur l’agriculture et plus largement, sur la biodiversité », alerte Serge Zaka, agroclimatologue et administrateur de l’association Infoclimat. Et de tancer : « Nous avons tendance à nous focaliser sur les vagues de chaleur estivales car les effets sur l’économie et la santé humaine sont immédiats et évidents. Mais il faut regarder plus loin que le bout de notre nez : la météo hivernale est tout aussi importante pour la planète. »

Des végétaux plus vulnérables
D’abord, ce « faux printemps » peut perturber le développement des végétaux. Pour cause, toutes les espèces végétales synchronisent leurs stades de développement avec les saisons et pour déterminer si elles sont en été ou en hiver, elles utilisent comme repère soit la durée du jour, soit la température. « Donc, quand le mercure s’affole anormalement, les plantes de la seconde catégorie ne savent plus où elles en sont », résume Serge Zaka.

« Pour le blé, par exemple, qui est surtout sensible à la luminosité, les vagues de chaleur ont peu d’impact », illustre-t-il. « À l’inverse, les arbres fruitiers, notamment les abricotiers, les noisetiers ou encore les pommiers sont en première ligne. »

« Pour résumer, lorsque le mercure grimpe, c’est comme si ces plantes recevaient le signal que le printemps démarre », poursuit-il. Elles commencent alors à débourrer, c’est-à-dire que leurs bourgeons se mettent à éclore même si c’est avec plusieurs semaines d’avance. « Cela va les rendre très fragiles face au retour du froid et particulièrement vulnérables aux épisodes de gel », continue Serge Zaka.

Une menace que les agriculteurs connaissent bien : en 2021, un fort épisode de gel après une période de douceur hivernale avait entraîné plus de 4 milliards d’euros de dégâts pour les vignes et vergers français. Depuis quelques années, les filières viticoles et arboricoles tentent donc de s’adapter. « Mais contrairement à l’été où on peut décaler les plantations ou irriguer contre la sécheresse, face au froid, le panel de solutions est plus limité », déplore Serge Zaka.

« Certains essaient de diversifier les espèces de végétaux pour étendre au maximum la période de floraison et ainsi épargner une partie de leur production du gel », explique-t-il. « Mais face aux coûts économiques que cela engendre, la majorité opte plutôt pour des solutions à court terme, avec des outils de lutte contre le gel comme des fils chauffants. »

Outre cette vulnérabilité accrue des végétaux aux variations de température, ce « faux printemps » favorise aussi la survie des parasites et des champignons, potentiels propagateurs de maladies dans les cultures. « Normalement, ces derniers ont du mal à survivre au froid, et justement, au gel. S’il fait doux, ils peuvent survivre, continuer à pondre des œufs et proliférer au printemps », explique encore Serge Zaka.

Un décalage des cycles biologiques
« Au-delà du monde agricole, ce sont tous les écosystèmes qui peuvent se trouver fragilisés », poursuit Wilfried Thuillier, directeur de recherche au laboratoire d’écologie alpine de Grenoble. « Car les cycles biologiques des insectes et des animaux sont aussi fortement liés à l’alternance des saisons. Les variations anormales de températures peuvent donc modifier leur comportement avec des conséquences sur leur habitat. »

Les exemples de ces cercles vicieux sont nombreux. La migration de certains oiseaux peut se retrouver décalée, entraînant une pression accrue sur leur milieu d’origine. Des insectes pollinisateurs, comme les abeilles, peuvent surgir trop tôt, avant la floraison des plantes – elles en ont pourtant besoin pour survivre. D’autres espèces, à l’inverse, peuvent proliférer en profitant de la douceur passagère.

En Belgique, aussi soumis à cette période de chaleur hivernale, des salamandres, des tritons, des grenouilles ou encore des hérissons, qui hibernent normalement l’hiver, ont ainsi déjà été aperçus, alerte Arnaud Laudelout, biologiste à l’Association de défense de la nature Natagora auprès de la RTBF. « Ces animaux sortent de leur hibernation à cause des températures trop douces. Le problème, c’est qu’ils sont incapables de se nourrir parce que leurs proies se font rares », note-t-il.

« Nos écosystèmes sont de plus en plus fatigués »
« Pour le moment, cet hiver 2022 n’est pas encore dramatique », nuance cependant Serge Zaka, qui se veut résolument optimiste. « Si les températures reviennent enfin dans les normales de saison, les conséquences de cette vague de chaleur pourront être limitées. »

La vraie inquiétude, s’accordent à dire les spécialistes interrogés par France 24, ne tient pas tant en cet hiver qui n’arrive pas mais dans la récurrence des événements météorologiques extrêmes. « Si cet épisode était une exception, ce ne serait pas grave. La douceur hivernale et les gels tardifs ont toujours existé et ont toujours fait partie des aléas auxquels sont soumis les agriculteurs », rappelle Serge Zaka. « Mais avant, cela arrivait exceptionnellement. Maintenant, c’est tous les ans la même rengaine. »

« Rien qu’en cette année 2022, les végétaux, comme les insectes et les animaux ont dû subir du gel tardif au printemps, des canicules à répétition, la sécheresse et maintenant cette chaleur hivernale », poursuit Wilfried Thuillier. « À chaque fois, c’est comme si on assénait un coup supplémentaire à nos écosystèmes qui sont de plus en plus fatigués. C’est vraiment cet effet de répétition qui les met en péril. »

« Et cela est d’autant plus inquiétant que ces phénomènes météorologiques extrêmes sont amenés à encore s’accélérer sous l’effet du changement climatique », alerte Davide Feranda.

« Alors que l’été, les canicules vont se multiplier, les hivers comme celui là deviendront la norme d’ici 2050. Et il y en aura des encore plus chauds », poursuit-il. « Nous entrons dans une phase de non-hiver en Europe. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de vagues de froid, mais le nombre de jours plus chauds que la moyenne va continuer d’augmenter ».

france24

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