Guerre en Ukraine : pourquoi Moscou veut conquérir Soledar coûte que coûte

La petite ville de Soledar, dans la région de Donetsk à l’est de l’Ukraine, fait face, depuis plusieurs jours, à d’intenses assauts des forces russes. Elle serait tombée aux mains du groupe paramilitaire russe Wagner, selon une déclaration du chef de cette organisation, qui précise que des combats font encore rage dans le centre-ville. Après des mois de tentatives infructueuses de conquête de la ville voisine de Bakhmout, Moscou veut une victoire coûte que coûte.

Dans l’est de l’Ukraine, au cœur de la région de Donetsk et à une dizaine de kilomètres de Bakhmout, la ville de Soledar est, depuis plusieurs jours, le théâtre de combats acharnés entre l’armée ukrainienne et les mercenaires du groupe Wagner, appuyés par des séparatistes prorusses. Pourquoi cette modeste ville, qui comptait environ 10 000 habitants avant le début de l’offensive russe en février dernier, est-elle actuellement l’un des principaux objectifs militaires de la Russie dans la guerre en Ukraine?

Conquête de la région de Donetsk
« Il y a évidemment une importance stratégique dans cet assaut sur Soledar », décrypte Sim Tack, analyste militaire spécialiste des conflits armés et de la politique de défense. « À l’est, toute la région de Louhansk est sous contrôle russe, mais dans la région de Donetsk, les grandes villes de Sloviansk et Kramatorsk sont toujours ukrainiennes ».

La conquête de Soledar fait donc partie d’une opération plus large de prise de contrôle de la région de Donetsk. Cette région, que les séparatistes prorusses tentent de s’arroger depuis 2014, fait partie des quatre territoires de l’est ukrainien annexés par la Russie en septembre dernier, après des référendums non reconnus par Kiev et ses alliés occidentaux.

Pour Moscou, prendre le contrôle de Soledar devrait permettre d’atteindre plusieurs objectifs. Il s’agit d’abord de renforcer ses positions à proximité de Bakhmout, qui est une cible de premier plan.

Le dirigeant des séparatistes pro-russes de la région de Donetsk, Denis Pouchiline, a d’ailleurs affirmé mardi à la télévision russe que le contrôle de Soledar créerait de « bonnes perspectives » pour prendre le contrôle de Bakhmout, ainsi que pour un nouvel assaut sur Siversk, une ville plus au nord.

La prise de Soledar pourrait effectivement permettre aux troupes russes d’atteindre Bahkmout, selon le ministère britannique de la Défense. « La poussée de la Russie vers Soledar vise sans doute à encercler Bakhmout par le nord et à perturber les lignes de communication ukrainiennes », estiment les renseignements militaires britanniques.

« Prendre le contrôle de Soledar ouvre les portes de Bahkmout « , acquiesce l’analyste militaire Sim Tack, ajoutant que, « géographiquement, Bakhmout, ouvre, quant à elle, la porte aux villes plus importantes de Sloviansk et de Kramatorsk », plus à l’ouest. Le but étant, on l’aura compris, la conquête russe de toute la région de Donetsk.

Contrôle de kilomètres de tunnels
En première ligne des assauts sur Soledar, la société de mercenaires Wagner a précisé son intérêt pour cette petite ville : une partie des combats vise à contrôler l’entrée d’une ancienne mine de sel et de ses kilomètres de galeries souterraines. Prendre Soledar signifie mettre la main sur quelque 200 kilomètres de tunnels, s’étendant sur toute la région de Bakhmout, susceptibles d’abriter des troupes ou de l’équipement.

« Ce n’est pas la première fois que ce genre de stratégie est utilisée », rappelle Sim Tack. « Il n’y a qu’à voir en Syrie, où l’utilisation des tunnels était fréquemment employée ».

Cacher du matériel et des hommes ne serait par ailleurs pas la seule fonction de ces fameux tunnels. Les mines de Soledar passent sous la ligne de front et pourraient servir aux troupes russes pour « s’infiltrer derrière les lignes ennemies », précisent les renseignements militaires britanniques.

Une autre explication à l’obsession russe autour de la ville de Soledar serait liée, selon le think tank américain « Institute for the Study of War » (ISW), aux ambitions personnelles du fondateur du groupe de mercenaires Wagner, Evguéni Prigojine. Selon l’ISW, mais aussi l’agence de presse Reuters citant une source à la Maison Blanche, cet homme d’affaires aurait en tête de l’exploitation financière des ressources naturelles ukrainiennes autour de la ville de Bakhmout.

Les gisements de gypse, d’argile et de craie mais surtout de sel de Soledar, dont les réserves sont estimées à 2 000 ans, pourraient « expliquer en partie la longue et coûteuse détermination d’Evguéni Prigojine d’établir le contrôle de la zone » selon l’ISW.

Guerre de communication
Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine le 24 février 2022, la puissante armée de Moscou a subi une série de défaites face aux forces ukrainiennes, soutenues par les États-Unis et leurs alliés européens. Le conflit s’est transformé en une guerre d’usure dans laquelle la Russie accumule les revers.

Côté ukrainien, la défense de Soledar revêt un intérêt opérationnel : gagner du temps. « Grâce à la résistance de nos soldats là-bas, à Soledar, nous avons gagné du temps supplémentaire et [préservé] des forces pour l’Ukraine », s’est félicité le président Ukrainien Volodymyr Zelensky lundi soir, ajoutant : « Tout est complètement détruit (…) Tout le territoire de Soledar est couvert de cadavres des envahisseurs et porte les cicatrices des explosions. C’est à quoi ressemble la folie ».

Car Moscou cherche une victoire quoi qu’il en coûte, et ce, même si elle laisse un arrière-goût amer. À Soledar, la Russie a déployé un grand nombre d’unités formées des meilleures réserves du groupe Wagner, menant assauts sur assauts pour gagner la ville à l’usure.

« Les Russes vont évidement présenter la bataille de Soledar, comme une grande victoire », affirme Sim Tack, expert en stratégies de défense. « Mais en fait, ce genre d’offensives sont très couteuses en termes d’équipements détruits et de pertes de combattants, comme cela a été le cas pour la bataille de Popasna », ville de la région de Lougansk, à l’est de Soledar, prise en mai par les forces russes, où leurs équipements ont été  » totalement détruits. », affirme l’expert.

« Nous avons déjà vu la Russie devoir réviser ses objectifs comme lorsqu’ils ont perdu les régions de Kherson et Kharkiv », explique Sim Tack, évoquant le repli russe de la quasi-totalité de la région de Kharkiv au nord-est du pays en septembre et la reprise de la ville de Kherson – seule capitale régionale tombée aux mains des Russes – par les forces ukrainiennes en novembre dernier. « La vérité, c’est que Moscou est empêtré dans une guerre au sol qui prend du temps, où le froid n’aide pas, et dans laquelle les avancées sont très lentes. »

france24

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