Thor et Zeus n’ont qu’à bien se tenir; les humains commencent eux-aussi à dompter la puissance de la foudre.
Dompter les phénomènes naturels les plus spectaculaires a toujours été grisant pour l’humanité. Au fil des siècles, les terriens ont par exemple appris à exploiter l’énergie solaire ou à canaliser la puissance invraisemblable de certains torrents. Et pour la première fois, des chercheurs viennent de réaliser un exploit jusqu’à présent réservé à des divinités comme Zeus : ils ont réussi à détourner plusieurs éclairs grâce à un puissant laser.
La publication, repérée par The Independant et publiée dans Nature Photonics, décrit une sorte de « paratonnerre virtuel » capable de rediriger la trajectoire de ces décharges électriques. C’est un concept qui est déjà étudié depuis plus des décennies, et qui devrait fonctionner sur le papier.
Mais si les bases théoriques ont été posées il y a quelque temps déjà, de nombreuses équipes se sont cassé les dents sur la question de la faisabilité pratique. On peut par exemple citer ce papier de recherche de 2020 ; des chercheurs ont réussi à simuler le phénomène en laboratoire, mais ils ont aussi décrit plusieurs limites importantes qui les ont empêchés d’expérimenter en conditions réelles.
Il a fallu attendre l’équipe d’Aurélien Houard, chercheur à l’École Nationale Supérieure de Techniques Avancées (ENTSA), pour y parvenir. Avec d’autres chercheurs notamment issus de l’Université de Genève, ils ont réalisé une série d’expériences sur le Säntis, un sommet des Alpes suisses. On y trouve une station météo et un grand émetteur TV-FM de 120 mètres de haut qui dessert une grande partie du pays.
À cause de sa situation géographique, l’installation est particulièrement exposée aux éclairs. Selon l’entreprise finlandaise Vaisala, elle est frappée chaque année par plus de 100 décharges. Au fil des années, elle est donc progressivement devenue un haut lieu de la recherche sur la foudre.
Une histoire de filaments
Houard et ses troupes ont donc décidé d’y installer leur Laser Lightning Rod, un générateur capable d’envoyer des impulsions très puissantes plus de 1000 fois par seconde. Pour détourner des éclairs, il exploite un phénomène connu sous le nom de filamentation laser.
Lorsque vous pointez une lampe de poche ou un laser standard, vous pouvez aisément observer que l’intensité du faisceau baisse avec la distance. C’est la faute du phénomène de diffraction ; très vulgairement, des portions du rayon sont détournées par les molécules qu’elles rencontrent.
Mais lorsque l’appareil est capable de délivrer des impulsions très courtes et intenses, le faisceau ne se comporte pas de la même façon. L’énergie de ce puissant laser chauffe considérablement les molécules d’air avoisinantes. Cela a pour effet de les ioniser, c’est-à-dire leur greffer ou leur arracher une charge électrique. À terme, cela finit par générer des petits canaux de plasma où des flux de lumière intense peuvent voyager ; ce sont les fameux « filaments » qui ont donné son nom au phénomène. Pour plus de détails, vous pouvez consulter cet excellent document de Polytechnique d’ailleurs rédigé par Houard lui-même.
Une autorioute lumineuse pour charges électriques
Or, les charges électriques sont fainéantes ; elles cherchent systématiquement à se déplacer en rencontrant le moins de résistance possible. En pratique, le plasma généré par le laser se comporte donc comme une piste facile à suivre pour les électrons — exactement comme un paratonnerre classique, même s’il ne s’agit ici pas de métal. Et lorsqu’on augmente la fréquence des impulsions laser, ces canaux deviennent relativement stables. On se retrouve donc avec une véritable autoroute pour charges électriques.
Et c’est grâce à cette propriété que les chercheurs tentent de canaliser des éclairs entiers. Lors de l’expérience, ils ont observé que leur système avait effectivement empêché plusieurs éclairs de frapper la tour de Säntis, alors que celle-ci récolte généralement tous les éclairs avoisinants pendant les orages. Et lorsqu’ils ont désactivé le laser, la routine a repris son cours et des éclairs se sont à nouveau abattus sur la tour.
Un vrai potentiel pour protéger des infrastructures critiques
Il ne s’agit pour l’instant que de résultats préliminaires. Cette preuve de concept présente encore des limites importantes. la plus importante d’entre elles : le générateur laser en lui-même. Il s’agit d’un engin cher, sophistiqué, et qui consomme une quantité d’énergie importante. Par conséquent, même si vous empruntiez la machine de l’équipe d’Houard, il faudrait probablement repenser toute votre installation électrique pour l’accueillir. Il a aussi fallu interdire la zone au trafic aérien pendant la durée de l’expérience par précaution.
Mais cette technologie dispose tout de même d’un potentiel très intéressant. Car même si la mise en application ne sera pas donnée, le concept pourrait tout de même valoir le coup dans le cas de certaines infrastructures critiques. En effet, un laser de ce genre est capable de canaliser les éclairs à une altitude bien plus importante qu’un paratonnerre classique. En théorie, une fois mature, il offrira donc une meilleure protection pour des aéroports ou des centrales, par exemple.
Elle pourrait aussi servir dans des zones relativement plates où les paratonnerres sont moins efficaces. Par exemple, en allant chercher les éclairs à la source pour les rediriger vers des zones moins exposées, il aurait peut-être été possible d’éviter certains des immenses feux de prairie qui ont ravagé l’Australie ces dernières années.
« Ces travaux ouvrent la voie à de nouvelles applications atmosphériques des lasers à impulsions ultracourtes, et représentent un pas important vers le développement d’un système de protection pour les aéroports, les pas de tir des fusées, ou les autres infrastructures de ce genre », concluent Houard et ses collègues.
Université de Genève.