La pire épidémie de grippe aviaire de l’Histoire ne donne aucun signe d’essoufflement

Une souche particulièrement mortelle et contagieuse de grippe aviaire a décimé en 2022 des millions de volailles d’élevage et d’oiseaux sauvages. Cette nouvelle épidémie de H5N1, la pire enregistrée depuis l’apparition de la maladie, ne semble pas vouloir ralentir. Scientifiques, législateurs et défenseurs des animaux s’inquiètent et cherchent des solutions pour tenter de contenir l’hémorragie.

Après une année noire, l’épidémie de grippe aviaire continue de faire des ravages à travers la planète. Maladie virale qui sévit chez les oiseaux, la grippe aviaire est exceptionnellement contagieuse et mortelle cette saison. En cause, une souche hautement pathogène du H5N1 qui provoque une véritable hécatombe dans les élevages de poulets, dindes, oies ou encore de canards, où la détection d’un seul cas dans une ferme provoque l’abattage de tous les animaux.

Partout à travers la planète, les autorités sanitaires enregistrent des chiffres records d’animaux infectés. Le Japon, qui a dû euthanasier un record de 10 millions de volailles pendant la saison hivernale, a enregistré la semaine dernière un pic de contaminations entraînant des centaines de milliers de nouveaux abattages dans la moitié des préfectures du pays. Aux États-Unis, 58 millions de volailles ont été touchées par la maladie. De son côté, l’Europe connaît l’épidémie la plus dévastatrice jamais observée avec 2 500 foyers d’infection détectés à travers 37 pays entre octobre 2021 et septembre 2022 et environ 50 millions d’animaux euthanasiés durant cette période.

Depuis le retour du virus fin 2021, le rythme des nouvelles infections se maintient à un niveau très élevé et ne présente aucun signe de ralentissement. Au contraire, il semble accélérer. L’épidémie s’est montrée plus virulente à l’automne que l’année passée à la même période, avec un nombre d’élevages infectés supérieur de 35 %, selon les autorités sanitaires européennes.

« Si on prend en compte le nombre d’oiseaux, de fermes et de pays touchés ainsi que la durée de l’épidémie et le nombre de volailles abattues, l’épidémie actuelle de grippe aviaire est la plus importante que nous ayons jamais vue », note le professeur de virologie Ian Brown, expert de la grippe aviaire auprès de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En 2022, « le virus est parvenu à se maintenir tout au long de l’été en particulier dans les pays d’Europe du Nord. C’est la première fois que cela arrive. La grippe aviaire est devenue une maladie présente tout au long de l’année », ajoute le scientifique.

« Des oiseaux morts partout »
Détecté pour la première fois sur une oie domestique dans le sud de la Chine en 1996, le virus H5N1 est apparu périodiquement avant de s’éteindre naturellement ou d’être circonscrit par des campagnes d’abattages préventifs. Traditionnellement, il se diffuse lors des phases de migrations hivernales d’oiseaux sauvages porteurs de la maladie. Le taux de reproduction est particulièrement élevé : un seul individu étant susceptible d’en contaminer jusqu’à 100 par la salive ou d’autres fluides corporels.

Mais cette saison se distingue par la forte diffusion de la maladie durant l’été, une période qui normalement est la moins à risque. Exemple en Écosse, dont la côte offre un refuge idéal pour les oiseaux migrateurs et un grand nombre d’espèces menacées. Le grand labbe ou grand skua, un oiseau marin ressemblant à un goéland, compte une population de 16 000 individus, dont plus de la moitié est concentrée dans le nord-ouest du pays. Quand les colonies écossaises de grand Labbe ont commencé à être décimées cet été, les autorités ont d’abord pensé à une anomalie.

Puis, à l’automne, des oies barnacles de l’archipel norvégien du Svalbard situé dans l’océan Arctique ont commencé à mourir. « D’abord par dizaines, puis par centaines et finalement on a comptabilisé 16 000 décès », explique Claire Smith de la Société royale pour la protection des oiseaux (RSPB). Au printemps 2021, l’organisation estime qu’un tiers des oies barnacles avait été décimé. Les pertes ont continué tout au long de l’été parmi le grand labbe, les fous de Bassan, les mouettes, les oies et même les aigles avec un impact sur les populations d’oiseaux migrateurs et les espèces sédentaires.

En juillet, le gouvernement écossais a décidé de fermer l’accès à certaines îles servant d’habitat à des oiseaux marins. « Il y avait des oiseaux morts partout », raconte Claire Smith. Et le taux de mortalité observé cet hiver n’invite pas à l’optimisme pour l’année 2023. Sur l’île d’Islay, la responsable de la RSPB assure que « le nombre d’oiseaux morts est déjà plus élevé que l’année dernière, alors que nous ne sommes même pas encore à la fin de l’hiver ».

Même si tous les oiseaux ne sont pas sensibles au virus, de nombreuses espèces ont été durement touchées à travers le monde comme les populations de pingouins en Afrique du Sud, de pélicans dalmatiens dans les Balkans ou encore de grues en Israël. Alors que les menaces environnementales se font de plus en plus pressantes, certaines ne pourraient jamais s’en remettre. « Il n’est pas exagéré d’affirmer que des espèces menacées d’oiseaux pourraient s’éteindre », explique Ian Brown.

« Les virus peuvent muter avec le temps »
Dramatique pour la faune sauvage, l’épidémie actuelle est un cauchemar pour la filière avicole. Avec plus 140 millions de volailles abattues, la grippe aviaire représente un manque à gagner pour les éleveurs et une mauvaise nouvelle pour le consommateur, qui voit les prix de la volaille et des œufs, deux sources de protéines bon marché, grimper en flèche.

Certaines fermes cherchent à mettre en place des mesures de biosécurité et à renforcer l’hygiène des exploitations pour éviter l’apparition du virus. « Mais même avec une bonne hygiène, le virus peut s’introduire », note Ian Brown. « Comme les oiseaux sauvages sont porteurs du H5N1, un seul individu peut facilement voler de ferme en ferme et répandre le virus ».

Au Royaume-Uni, des cas d’espèces, qui, a priori ne sont pas sensibles à la grippe aviaire, ont été recensés comme la chouette-effraie et la crécerelle. « Les grandes exploitations avicoles abritent des rongeurs et on pense qu’ils portent le virus sur leur fourrure et le transmettent aux chouettes et aux crécerelles lorsqu’ils chassent ces rongeurs », indique Ian Brown.

Autre particularité cette saison : les cas d’infections de mammifères ont été plus nombreux même si aucune contamination entre mammifères n’a jamais été répertoriée. Chez l’homme, les cas restent rares et sont le plus souvent bénins. « Pour le moment, le virus n’a pas une grande capacité pour se répandre chez l’Homme mais les virus peuvent muter avec le temps », nuance Ian Brown.

Quelles solutions pour contrôler l’épidémie ?
Dans les semaines qui viennent, l’épidémie ne devrait pas faiblir, alors que la période hivernale, saison favorable à la diffusion du virus, est loin d’être terminée. Pour la première fois, la grippe aviaire a été détectée en Amérique du Sud avec des foyers enregistrés en Colombie, au Pérou, au Venezuela, au Chili et en Équateur. Un véritable défi pour la filière avicole et une menace pour des espèces fragiles comme celles ayant élu domicile sur l’île des Galapagos.

Pour éviter la propagation du virus parmi la faune, les solutions semblent loin d’être évidentes. Abattre ces animaux sauvages serait totalement contraire à l’éthique mais des mesures préventives comme l’isolement des oiseaux infectés peuvent être mises en place sans perturber la vie sauvage.

Au Royaume-Uni, le RSPB réclame également des restrictions sur la chasse et la libération de gibiers à plumes d’élevage pour réduire les risques de contaminations.

Parmi les oiseaux sauvages, les experts s’interrogent sur le développement de résistances au virus. « Il y a des oies barnacles qui sont revenues en Écosse cette année et qui n’ont pas été infectées, soulevant des questions sur la production d’anticorps », explique Claire Smith. « Beaucoup d’espèces d’oiseaux semblent immunisées », à l’image des corbeaux même en cas d’ingestion de la chair d’oiseaux infectés.

Pour les volailles d’élevage, la vaccination apparaît comme la meilleure solution pour réduire les risques de contamination et les besoins d’abattage. Cependant, il est peu probable que toutes les fermes puissent vacciner leurs animaux et un vaccin ne sera pas disponible avant l’été 2023. « Il y a un travail intense pour mener des essais cliniques et la Commission européenne est en train de développer un cadre pour distribuer des vaccins dès l’été prochain », détaille Ian Brown. Selon l’expert de l’OMS, la vaccination des volailles sera inévitable. Alors que l’humanité est entrée dans « l’âge des pandémies » avec le Covid-19, le même constat peut être fait pour les oiseaux. “Nous devons comprendre comment intervenir et contrôler la maladie pour régler le problème. Dans ce contexte, la vaccination aura clairement un rôle clé à jouer ».

FRANCE24

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