Emmanuel Macron et Pedro Sanchez ont signé jeudi à Barcelone un traité d’amitié entre la France et l’Espagne. Une façon de graver dans le marbre les bonnes relations qu’entretiennent les deux pays. Et d’en tirer parti, des deux côtés des Pyrénées.
Emmanuel Macron tenterait-il d’échapper à la grève et aux manifestations massives contre sa réforme des retraites ? En tout état de cause, le président de la République n’est pas en France mais en Espagne, jeudi 19 janvier, pour célébrer l' »amitié » entre ces deux pays lors d’un sommet à Barcelone. Concrètement – loin des banderoles et des slogans hostiles –, les deux dirigeants ont signé un « traité d’amitié et de coopération » pour renforcer la relation bilatérale sur les questions migratoires, de défense, d’énergie ou de jeunesse.
Pas moins de onze ministres – soit un quart du gouvernement français – ont fait le déplacement à Barcelone pour assister à l’événement célébré en grande pompe au musée national d’Art de Catalogne. Il faut dire que le moment est historique. Ce traité est seulement le troisième du genre signé par la France en Europe : le premier remonte à 1963 avec l’Allemagne – complété depuis par celui d’Aix-la-Chapelle en 2019 – et le dernier, dit « du Quirinal », a été paraphé avec l’Italie en 2021.
Macron est arrive à Barcelone sous un beau soleil d’hiver pour un sommet prévu de longue date, pendant qu’en France commence la mobilisation sociale contre sa réforme des retraites #AFP pic.twitter.com/UMwhXI8xkJ
— Francesco Fontemaggi (@ffontemaggi) January 19, 2023
Ce traité est surtout stratégique. Ce partenariat franco-espagnol arrive à un moment où les relations de Paris avec ses principaux voisins européens ne sont pas au beau fixe. La bonne entente avec l’Italie a du plomb dans l’aile depuis l’arrivée de la dirigeante d’extrême droite Giorgia Meloni à la tête du Conseil italien. Et le couple franco-allemand vit une relation ponctuée de brouilles. Si le tandem européen devrait tenter dimanche prochain de jouer la bonne entente à l’occasion de la venue à Paris du chancelier allemand Olaf Scholz pour fêter le 60e anniversaire du traité de réconciliation entre la France et l’Allemagne, les contentieux entre les deux pays sur l’énergie ou la défense restent sérieux.
« L’horizon se dégage »
Rien d’étonnant donc à ce que Paris aille voir ailleurs et se tourne vers ce précieux allié. Jusque-là, les relations entre Paris et Madrid étaient surtout minées par le terrorisme basque de l’ETA. Les bisbilles autour de l’agriculture ont aussi longtemps embourbé les bonnes relations de voisinage entre la France et l’Espagne. Il y a trois mois encore, une crise énergétique, exacerbée par le projet MidCat – abréviation de Midi (sud de la France) et de Catalogne (nord-est de l’Espagne) –, empoisonnait les relations entre Madrid et Paris. Ce gazoduc, qui devait permettre à l’Espagne et au Portugal d’acheminer du gaz (provenant sous forme de GNL des États-Unis ou du Qatar) vers l’Europe centrale en passant par la France, se heurtait à une fin de non-recevoir du président français en raison de considérations environnementales. Mais sur ce point encore, les deux capitales ont trouvé un terrain entente. Le projet baptisé « H2Med », qui relie Barcelone à Marseille par un pipeline d’hydrogène « vert », a mis tout le monde d’accord. Le choix de signer ce traité à Barcelone ne doit donc rien au hasard, il symbolise la fin des récentes crispations entre les deux pays.
Aujourd’hui, « l’horizon se dégage, estime Christophe Barret, historien et spécialiste de l’Espagne, auteur de ‘La guerre de Catalogne’ (éd. du Cerf). L’Espagne a pris beaucoup de retard dans ses relations diplomatiques, notamment en raison de la crise des indépendantistes catalans, mais elle relance ses relations à tous les niveaux. Même si le sentiment indépendantiste est plus que jamais présent dans la région, le pays va vers une normalisation de la situation, notamment avec la réforme judiciaire entreprise. » Le Sénat espagnol a en effet définitivement adopté le 22 décembre une réforme controversée du Code pénal supprimant le délit pour lequel neuf dirigeants indépendantistes catalans ont été condamnés pour leur rôle dans la tentative de sécession de 2017.
« Interconnexion » entre Paris et Madrid
Sur le plan financier, « Madrid a également su donner des gages à l’Union européenne. Aujourd’hui, le pays s’ouvre tout entier sur l’extérieur avec différents projets, notamment mémoriel en ouvrant ses archives et en travaillant activement sur la question de la mémoire ». Bref, comme le résume le quotidien de Barcelone La Vanguardia, « il y a 40 ans, le mot-clé entre Paris et Madrid, c’était ETA ». Quarante ans plus tard, « le mot-clé, c’est interconnexion. »
L’ »interconnexion » n’était pourtant pas évidente d’un point de vue idéologique entre Emmanuel Macron, situé au centre de l’échiquier politique, et Pedro Sanchez, socialiste allié au parti d’extrême gauche Podemos. « Mais les deux hommes, ardents europhiles, ont su trouver au sein de l’Europe un terrain favorable, note Christophe Barret. Il est également possible que des coopérations en matière environnementale naissent de cette rencontre car l’Espagne, en pointe dans le domaine des éoliennes ou sur la gestion de l’eau, a beaucoup à apporter à la France. »
Contrer l’Inflation Reduction Act de Joe Biden
Emmanuel Macron souhaite surtout trouver en l’Espagne une alliée européenne de poids pour répondre à l’Inflation Reduction Act de Joe Biden, le plan d’investissement massif échafaudé par le président américain et visant à freiner l’inflation en réduisant le déficit. Cette nouvelle loi promulguée en août dernier, favorisant les entreprises américaines, suscite une forte opposition des Européens, qui s’inquiètent de son impact sur leur propre industrie. Soucieux de dénoncer le protectionnisme américain, le président français souhaite que l’UE apporte des réponses tout aussi massives et prenne des décisions rapides pour éviter la fuite d’entreprises européennes attirées par les aides américaines. Un appel qui n’a pas échappé à Pedro Sanchez : sur la chaîne américaine CNBC, le Premier ministre espagnol s’est empressé d’indiquer le 16 janvier depuis Davos que l’UE devait « faire ses devoirs » et réformer sa propre politique en matière d’aides d’État afin d’envoyer aux entreprises « le message que l’Europe et bien sûr l’Espagne sont un bon endroit » pour investir.
Quelques nuages tout de même dans le ciel franco-espagnol. Ce sommet devrait être l’occasion pour les deux capitales de balayer les derniers points de discorde, comme la fermeture par Paris du symbolique col de Banyuls qui entrave les passages frontaliers depuis deux ans, au grand dam de Madrid. La France s’y refusait jusque-là au nom de la lutte contre le terrorisme et l’immigration illégale. La question du manque de liaisons ferroviaires entre Barcelone et la France, qui cristallise les rancœurs des deux côtés de la frontière, devrait également être abordée.
Des manifestations tout de même
Ce sommet est surtout une belle opération pour Pedro Sanchez, soucieux de montrer à la face de l’Europe que son pays est définitivement rentré dans le rang. « Toute la presse espagnole a salué ces derniers jours le joli coup politique du Premier ministre », abonde Christophe Barret. Le choix de Barcelone est aussi l’occasion de montrer que la situation était sous contrôle en Catalogne, après la tentative de sécession en 2017. Un choix perçu comme une provocation par les indépendantistes catalans, qui ont d’ailleurs manifesté jeudi tout près du lieu où se tient le sommet, déterminés à montrer qu’ils n’ont rien abandonné de leurs revendications.
En France ou en Espagne, Emmanuel Macron n’échappera donc pas aux manifestations. Pas plus qu’il ne pourra s’exonérer de la question des retraites lors du point-presse prévu à l’issue de la signature. Sur ce point, il pourra une nouvelle fois compter sur le soutien de « Pedro Sanchez, qui a fait passer sans aucune difficulté la réforme des retraites espagnoles à l’âge de 67 ans avec un ministre du Travail du parti Podemos », assure Christophe Barret. Du côté de l’Élysée, on réfute toute tentative de manipulation du calendrier : le 27e sommet franco-espagnol « avait été fixé bien en amont », avant que les syndicats n’annoncent la date de leur première journée de grève. L’Espagne étant « la puissance invitante », la présidence française souligne qu’elle n’avait donc « pas de marge de manœuvre » pour décaler la date.
FRANCE24