On sait pourquoi il y a un déséquilibre dans les astéroïdes troyens de Jupiter

Les astéroïdes troyens partagent la même orbite que Jupiter et seront bientôt survolés par la sonde Lucy. Pour le moment, ils n’ont jamais été observés directement, mais font l’objet de diverses études qui cherchent à comprendre leur origine. Des chercheurs pensent avoir percé un des mystères qui les entourent.

Situés aux points de Lagrange L4 et L5, les astéroïdes troyens se trouvent sur la même orbite que la planète Jupiter. Il en existe deux grands amas, chacun contenant plus de 10 000 astéroïdes. Parmi les questions qui demeurent sur leur formation, une pourrait bien être résolue dans une récente étude publiée dans Astronomy & Astrophysics : pourquoi l’un des deux amas (L4) contient-il beaucoup plus d’astéroïdes que l’autre ?

Le constat a été fait il y a déjà plusieurs décennies, mais aucune explication ne semble satisfaisante. Plusieurs valeurs de L4/L5 ont été estimées, oscillant entre 1,3 et 1,8. Finalement, c’est un rapport de population de 1,6 qui a été retenu, se basant sur les derniers relevés de la Sloan Digital Sky Survey, donc la moins susceptible de conserver des biais d’observation. L’étude explique que les deux essaims, malgré cette différence, possèdent des propriétés similaires, suggérant une origine commune. 

Les astéroïdes troyens se trouvent sur la même orbite que Jupiter, aux points de Lagrange L4 et L5, à 60 degrés de la géante gazeuse. © CNRS

LES ASTÉROÏDES TROYENS SE TROUVENT SUR LA MÊME ORBITE QUE JUPITER, AUX POINTS DE LAGRANGE L4 ET L5, À 60 DEGRÉS DE LA GÉANTE GAZEUSE. 

Plusieurs scénarios pour expliquer le rapport L4/L5

Différents scénarios ont été proposés pour répondre à cette valeur de L4/L5. L’un d’eux propose qu’une planète géante glacée ait rencontré Jupiter aux débuts du Système solaire, lors d’une instabilité du Système solaire externe.

La rencontre aurait provoqué un déplacement de la géante vers l’amas L5 et aurait attiré une partie de sa population sur son chemin. Mais des calculs ont montré que, dans ce scénario, le rapport L4/L5 serait à 1,3.

Un autre évoque une migration vers l’intérieur de la proto-Jupiter, qui aurait causé ensuite un excès dans l’essaim L4. Mais, pour atteindre 1,6, il faudrait un déplacement de la géante gazeuse de plus de 3,5 ua (une unité astronomique = une distance Terre-Soleil). Or, une telle valeur causerait « des problèmes au Système solaire interne, comme la quantité de masse implantée dans la ceinture principale qui pourrait être très importante et incompatible avec la faible masse actuelle de la ceinture principale d’astéroïdes », décrit l’étude.

Aurore boréale au pôle nord de Jupiter. © Nasa, ESA, J. Nichols

AURORE BORÉALE AU PÔLE NORD DE JUPITER. 

L’équipe a cette fois proposé encore un autre scénario : une migration de Jupiter, mais vers l’extérieur. L’idée n’est pas nouvelle, et provient à l’origine du « scénario de Nice », établi en 2005 à l’Observatoire de la Côte d’Azur. Il postule qu’une planète géante glacée supplémentaire se trouvait à l’origine dans le Système solaire encore jeune. Les autres planètes géantes du Système solaire se trouvaient, quant à elles, dans une configuration plus compacte qu’actuellement, et elles auraient migré bien après la dissipation des gaz du disque protoplanétaire, lorsque la planète géante glacée supplémentaire a été éjectée vers le milieu interstellaire par Jupiter.

« Nous proposons qu’une migration rapide vers l’extérieur — en termes de distance au soleil — de Jupiter peut déformer la configuration des troyens de Jupiter, entraînant des orbites plus stables dans l’essaim L4 que dans celui de L5, explique dans un communiqué Jian Li, premier auteur de l’étude. Ce mécanisme, qui a temporairement induit des chemins d’évolution différents pour les deux groupes d’astéroïdes qui partagent l’orbite de Jupiter, fournit une explication nouvelle et naturelle à l’observation impartiale selon laquelle les astéroïdes L4 sont environ 1,6 fois plus nombreux que les astéroïdes de l’essaim L5 ».

Une migration de Jupiter vers l’extérieur

Pour s’assurer de la plausibilité d’un tel scénario, l’équipe a modélisé l’évolution de Jupiter, aux tous débuts du Système solaire. Ou plutôt, ils ont créé un Système solaire simplifié, comprenant le Soleil, Jupiter et une partie des astéroïdes troyens. Ils ont ensuite simulé la migration de Jupiter, selon différents angles et diverses vitesses, pour reproduire le rapport L4/L5 de 1,6.

Leurs modélisations sont parvenues à reproduire le rapport de population entre les deux amas, à condition que la migration de Jupiter soit rapide ! Les chercheurs complètent leurs résultats en expliquant que, plus la vitesse de migration augmente, plus l’asymétrie progresse aussi. Au point de pouvoir faire disparaitre la population de L4 si la vitesse dépasse un seuil critique !

Les deux scénarios sont représentés : Jupiter non migrant (a) et Jupiter migrant vers l'extérieur avec une vitesse de 1,5 × 10−4 UA / an (b). La courbe bleue représente la limite de stabilité des troyens de Jupiter. Les points verts (autour de L4) et orange (autour de L5) adjacents indiquent les troyens avec de grandes amplitudes de résonance. À l'intérieur de la courbe rouge, les troyens (points gris) avec des amplitudes de résonance plus petites sont plus stables. Lors de la migration vers l'extérieur de Jupiter, les troyens de L4 dérivent vers le point L4 en raison de la contraction des îlots de libration, tandis que les chevaux de Troie L5 s'éloignent du point L5 en raison de l'expansion des îlots de libration. Pour référence, les lignes pointillées verticales sont tracées correspondant aux points L4 et L5 respectivement. © A&A 2023, Jian Li et <em>al.</em>

LES DEUX SCÉNARIOS SONT REPRÉSENTÉS : JUPITER NON MIGRANT (A) ET JUPITER MIGRANT VERS L’EXTÉRIEUR AVEC UNE VITESSE DE 1,5 × 10−4 UA / AN (B). LA COURBE BLEUE REPRÉSENTE LA LIMITE DE STABILITÉ DES TROYENS DE JUPITER. LES POINTS VERTS (AUTOUR DE L4) ET ORANGE (AUTOUR DE L5) ADJACENTS INDIQUENT LES TROYENS AVEC DE GRANDES AMPLITUDES DE RÉSONANCE. À L’INTÉRIEUR DE LA COURBE ROUGE, LES TROYENS (POINTS GRIS) AVEC DES AMPLITUDES DE RÉSONANCE PLUS PETITES SONT PLUS STABLES. LORS DE LA MIGRATION VERS L’EXTÉRIEUR DE JUPITER, LES TROYENS DE L4 DÉRIVENT VERS LE POINT L4 EN RAISON DE LA CONTRACTION DES ÎLOTS DE LIBRATION, TANDIS QUE LES CHEVAUX DE TROIE L5 S’ÉLOIGNENT DU POINT L5 EN RAISON DE L’EXPANSION DES ÎLOTS DE LIBRATION. POUR RÉFÉRENCE, LES LIGNES POINTILLÉES VERTICALES SONT TRACÉES CORRESPONDANT AUX POINTS L4 ET L5 RESPECTIVEMENT

Des réponses dès 2027 avec la mission Lucy

Si ces résultats constituent une base fiable pour expliquer le rapport entre L4 et L5, les chercheurs insistent dans leur étude sur les nombreuses incertitudes qui demeurent. Notamment au niveau de l’éjection de la planète géante glacée par Jupiter : « D’après la théorie de l’échange de moment cinétique, Jupiter doit nécessairement sauter vers l’intérieur une fois qu’il a éjecté une planète », explique l’étude.

De plus, les planètes Saturne, Uranus et Neptune n’ont pas été prises en compte dans le modèle utilisé. Or, Saturne pourrait bien exercer une influence déterminante dans le scénario proposé. L’équipe appuie ainsi sur la nécessité de développer de nouveaux modèles plus précis. La mission Lucy de la Nasa permettra aussi d’en savoir plus sur les astéroïdes troyens. La sonde est partie en novembre 2021, et devrait arriver à destination en 2027. Elle survolera les astéroïdes troyens, permettant de détailler leurs caractéristiques.

FUTURA

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