Depuis la création du système de retraite par répartition, la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une pension à taux plein n’a cessé d’être relevée.
C’est un sujet aussi sensible qu’incontournable. En proposant un projet de réforme de retraite relevant l’âge légal de départ de 62 à 64 ans et portant plus rapidement que prévu la durée de cotisation à 43 ans, Emmanuel Macron a réveillé la colère des organisations syndicales qui s’opposent à tout allongement de la durée du travail.
La confrontation sociale a officiellement débuté jeudi avec un premier appel à la mobilisation qui a rassemblé plus d’un million de personnes dans les rues. Un succès pas vraiment surprenant au regard des expériences passées, et qui témoigne surtout de l’attachement des Français au sacro-saint régime par répartition, construit et amélioré sur plusieurs décennies. Retour sur l’histoire mouvementée d’un système de retraite reflet de 80 ans d’évolution du modèle social tricolore.
Les prémices de la retraite par répartition en France remontent à 1941, lorsque que le gouvernement de Vichy, par l’intermédiaire du ministre du Travail René Belin, ancien dirigeant de la CGT, décide de financer les pensions des retraités grâce aux fonds de retraite capitalisés depuis 1930. Dans le cadre de la création de la Sécurité sociale après la guerre, ce modèle est repris et l’assurance-vieillesse par répartition devient obligatoire pour tous les salariés avec l’ordonnance du 4 octobre 1945.
A l’époque, le système prévoit qu’un assuré ayant cotisé 30 années (120 trimestres) puisse liquider sa retraite à 60 ans, avec une pension particulièrement faible toutefois puisque son montant équivaut à 20% du salaire annuel de base. L’âge du taux plein est quant à lui fixé à 65 ans, avec un bonus de 4% pour chaque année supplémentaire travaillée entre 60 et 65 ans (soit un taux de liquidation de 40% maximum).
Certaines professions refusent toutefois de rejoindre le régime général. En particulier celles qui disposaient déjà d’un régime spécial créé depuis très longtemps, comme les marins (1673), les fonctionnaires civils et militaires (1853), les mineurs (1894) ou les personnel des chemins de fer (1909).
• 1947: création des complémentaires
Jugeant insuffisant le plafond de revenu de la Sécurité sociale à partir duquel on ne peut plus ouvrir de nouveaux droits à la retraite, les cadres créent le régime complémentaire Agirc en 1947. D’autres régimes semblables seront mis en place dans les années qui suivent, avant que l’Arrco ne voit le jour en 1961 pour rendre la retraite complémentaire obligatoire, d’abord pour les salariés des entreprises représentées par le Conseil national du patronat français (CNPF), ancêtre du Medef, puis à l’ensemble des salariés du privé en 1973.
• 1971: relèvement de la durée de cotisation
Entrée en vigueur le 31 décembre 1971, la loi Boulin, du nom du ministre de la Santé publique et de la Sécurité sociale de l’époque, réhausse la durée de cotisation requise de 30 à 37,5 ans (150 trimestres) pour obtenir une pension à taux plein. Dans le même temps, le taux de liquidation à 60 ans est relevé à 25%, contre 20% jusqu’alors. Le bonus obtenu pour chaque année supplémentaire travaillée passe lui de 4 à 5%, de sorte que le taux de liquidation à 65 ans s’élève désormais à 50%.
À compter de 1972, le montant de la pension de retraite n’est plus calculé sur la base des dix dernières années de carrière mais sur les dix meilleures. Trois ans plus tard, la loi apportera une série de nouvelles améliorations au système de retraite, comme « l’attribution aux femmes assurées d’une majoration de deux années d’assurance par enfant (au lieu d’une) dès le premier enfant » ou la suppression de la « durée minimum d’assurance antérieurement requise pour l’ouverture des droits » à la pension de réversion. Concrètement, il suffit désormais « que l’assuré (…) justifie d’un seul trimestre d’assurance pour ouvrir droit à pension de réversion ». C’est aussi en 1975 que certains travailleurs manuels obtiennent la possibilité de partir à taux plein à 60 ans pour tenir compte de la pénibilité de leur métier.
• 1982: retraite à 60 ans
En 1982, les lois Auroux abaissent l’âge légal de départ à taux plein à 60 ans pour 37,5 années de cotisation, comme promis par François Mitterrand lors de la campagne présidentielle de 1981. La décote voit également le jour dans le cadre de l’ordonnance Auroux de mars 1982. Elle est alors fixée à 2,5% par trimestre de cotisation manquant, dans la limite de vingt trimestres. Un an plus tard, le minimum contributif est créé pour garantir un revenu minimal à tout assuré bénéficiant d’une retraite à taux plein. A noter par ailleurs que les pensions du régime général, jusqu’alors versées chaque début de trimestre, sont mensualisées à compter de 1986.
• 1993: 40 années de cotisations
Face à l’ampleur du déficit du système de retraite constaté au début des années 1990, le gouvernement d’Edouard Balladur décide de lancer une réforme d’ampleur. Parmi les principales mesures: l’allongement progressif de la durée de cotisation de 37,5 à 40 ans (160 trimestres à partir de 2004) pour bénéficier d’une retraite à taux plein, le calcul de la pension sur la base des 25 meilleures années et non plus des 10 meilleures à raison d’une année de plus par an (effet plein atteint en 2010), la création d’un fonds de solidarité vieillesse ou encore l’indexation des pensions de retraite sur l’inflation et non plus sur les salaires comme c’était le cas jusqu’à présent.
• 1995: les régimes spéciaux menacés
En 1995, le Premier ministre Alain Juppé présente une réforme de la Sécurité sociale avec l’ambition d’appliquer aux régimes spéciaux des salariés des entreprises publiques et aux régimes de retraite des fonctionnaires les mêmes règles que celles qui valent pour le régime général. Un projet qui déclenchera un puissant mouvement social, obligeant le gouvernement à faire marche arrière.
• 2003: 40 ans de cotisations requis pour les fonctionnaires
Invoquant des raisons démographiques et financières, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin dégaine en 2003 une nouvelle réforme menée par François Fillon, alors ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité. Malgré des mouvements sociaux, le texte sera adopté en août.
Ses principales mesures prévoient d’aligner progressivement le régime des fonctionnaires sur le régime général concernant la durée de cotisation (40 ans) ou encore d’instaurer un système de surcote par année supplémentaire travaillée en complément de la décote sur les années manquantes, laquelle est abaissée 5% par an, au lieu de 10%. La réforme crée également le dispositif pour carrière longue permettant à ceux qui ont commencé à travailler tôt de partir à la retraite avant 60 ans, sous réserves d’avoir cotisé 43 ans et demi.
• 2007: les régimes spéciaux de nouveau dans le viseur, la durée de cotisation augmentée
Promesse de Nicolas Sarkozy, la réforme des régimes spéciaux est lancée dès 2008. Elle consiste à aligner progressivement ces régimes sur le régime général via une augmentation de la durée de cotisation (de 37,5 ans à 40 ans 2012) et l’introduction d’une décote pour trimestres manquants.
La même année est décidé l’allongement de la durée de cotisation à 41 ans en 2012, à raison d’un trimestre par an. Le gouvernement rétablit également l’âge minimum de 55 ans pour percevoir une pension de réversion.
• 2010: report de l’âge légal à 62 ans
Après la crise financière de 2008, le gouvernement dirigé par François Fillon dévoile une nouvelle réforme. Porté par Eric Woerth, alors ministre du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique, le texte prévoit de relever l’âge légal de départ de 60 à 62 ans ainsi que l’âge du taux plein de 65 à 67 ans en cas de trimestres manquants.
À cela s’ajoute une augmentation de la cotisation retraite dans la fonction publique, le relèvement en six ans de deux ans de l’âge de départ des fonctionnaires, l’allongement de la durée de cotisation à 41 ans et demi en 2020… Autant de mesures impopulaires qui vont déclencher des grèves et manifestations d’ampleur dans tout le pays. Sans pour autant faire reculer le gouvernement.
• 2013: la durée de cotisation passe à 43 ans
C’est à nouveau pour rétablir l’équilibre du système que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault lance une nouvelle réforme en 2013. Le texte sera porté par la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine, avec comme principale mesure: l’allongement de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein à raison d’un trimestre tous les trois ans pour atteindre 43 ans en 2035. En contrepartie, de nouveaux droits seront accordés avec, entre autres, la création du compte pénibilité.
• 2019: le système à points abandonné
Contrairement aux réformes précédentes, le projet proposé lors du premier mandat d’Emmanuel Macron visait à remettre le système de retraite à plat en créant un système universel par points moins complexe et plus juste. Présenté en 2019, le texte prévoit notamment la suppression progressive des régimes spéciaux et l’instauration d’un âge pivot de 64 ans à partir duquel les assurés peuvent bénéficier d’une retraite à taux plein.
La réforme déclenchera des manifestations et grèves, notamment dans les transports. Malgré la contestation, le Premier ministre Edouard Philippe aura recours début 2020 à l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le projet sans vote à l’Assemblée nationale. Le texte sera néanmoins suspendu en raison de la pandémie de Covid-19, avant d’être définitivement abandonné.
bmftv