Pour les centaines de survivants des plus de 2.000 Français engagés dans l’État Islamique (EI) au milieu des années 2010 et aujourd’hui détenus dans les prisons françaises, la question posée devant les juridictions est toujours la même : qui sont-ils aujourd’hui ? Sont-ils revenus de leur fanatisme sanguinaire ?
Pour le Toulousain Jonathan Geffroy, 40 ans, engagé deux années comme combattant au sein d’unités d’élite de Daech, cette même interrogation était au cœur du réquisitoire de l’accusation. « La question de la confiance et de l’avenir est compliquée. Qui est-il réellement ? Je suis bien en peine de le dire », a dit l’avocate générale, à la fin de son procès pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle ».
La cour l’a condamné, après quatre heures de délibéré, à 18 ans de réclusion assortis d’une peine de sûreté des deux tiers, une sanction conforme aux réquisitions de l’accusation. Il devra en outre observer à sa sortie un suivi socio-judiciaire d’une durée de cinq ans, avec obligation d’occuper un emploi ou une formation, interdiction de détenir une arme, de rencontrer des condamnés radicalisés et limitation des déplacements à l’étranger. La cour retient dans ses motivations qu’il a « intégré des groupes de combat en zone irako-syrienne et que, malgré sa coopération avec les services de renseignement français, il n’a fourni aucune information déterminante. »
L’accusé, carrossier de formation, décrit comme trafiquant de cannabis et semi-alcoolique dans sa jeunesse toulousaine, a basculé dans la radicalité islamiste après une conversion à l’islam en 2008, et surtout au contact de salafistes locaux, notamment les frères Fabien et Jean-Michel Clain, devenus ensuite des éminences de Daech et aujourd’hui présumés morts.
Un « repenti »
Geffroy se décrit aujourd’hui comme repenti. « Ce que je voulais que vous reteniez, c’est tout le travail que j’ai fait, pour savoir comment j’ai pu en arriver là, à ce niveau de radicalisation. Je suis prêt à retourner dans la société, prêt à retourner dans une vie familiale », a-t-il dit à la cour dans ses derniers propos. Sa défense souligne qu’il a quitté volontairement la Syrie après avoir pris contact par Internet avec le renseignement français dès 2016, et qu’il a ensuite livré des informations. L’accusation n’y voit que la démarche d’un « opportuniste », qui a pris la tangente après avoir compris que ça sentait le roussi.
« Le vrai motif de son départ, c’est le déclin de l’État Islamique ». La magistrate (qui souhaite garder l’anonymat) a rappelé que, précédemment, il avait combattu dans deux unités d’élite de Daech, lors de batailles cruciales, puis travaillé après une blessure au sein du service de propagande de l’EI, inondant les réseaux sociaux de messages martiaux. Elle a dit ne pas croire en la version de l’accusé, qui assure… n’avoir jamais tiré un seul coup de feu. « On n’est pas incorporé dans ce type d’unité pour se la couler douce ». L’ex-épouse de Jonathan Geffroy, Latifa Chadli, une Marocaine de 40 ans partie avec lui en Syrie et jugée après deux ans de détention provisoire, a été condamnée à une peine de cinq ans de prison, dont trois ans avec sursis. Elle comparaissait libre et échappe donc à une incarcération.
Contre la mère de Jonathan Geffroy, Denise Potenciano, 59 ans, jugée pour le délit de financement de terrorisme, a été prononcé une peine de trois ans de prison avec sursis, inférieure aux demandes de l’accusation, qui voulait trois ans de prison dont deux ferme, à purger à domicile sous bracelet électronique. La cour a souligné que « l’amour maternel ne l’exonér(ait) pas d’une responsabilité pénale ». Elle se voit de plus confisquer la somme de 18.000 euros sur ses économies, l’équivalent de la somme qu’elle a envoyée ou fait envoyer à son fils en Syrie. Denise Potenciano, protestante évangélique très pratiquante, avait expliqué avoir agi ainsi pour que son fils rentre en France, avec les deux enfants en bas âge qu’il avait là-bas avec Latifa Chadli.
Ils sont sains et saufs aujourd’hui, hébergés dans une famille d’accueil. Ils vont bien, ont dit des témoins à la cour. Leurs parents ont dit aux juges vouloir les revoir et être en mesure de les élever, un jour. À l’énoncé du verdict, Jonathan Geffroy a évoqué la possibilité de faire appel de sa condamnation.
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