Le Cameroun est sous le choc après l’assassinat du journaliste Martinez Zogo, directeur de la radio Amplitude FM qui pourfendait la corruption et les détournements de fonds publics et avait pour habitude de citer des personnalités haut placées. Son corps a été retrouvé le 22 janvier. Entretien avec la journaliste Henriette Ekwé, première Africaine à recevoir le prix du Courage féminin du secrétariat d’État américain en 2011.
RFI : La presse camerounaise pleure Martinez Zogo. Quel est le sentiment qui prévaut : la stupeur, la tristesse, la colère ?
Henriette Ekwe : La stupeur et la colère fondamentalement, parce que Martinez Zogo était très populaire. La manière dont il a été assassiné est d’une violence inouïe.
Les sévices qu’il a endurés sont de l’ordre de l’indicible…
Oui. Tout à fait. Il faut en parler parce qu’on l’a découvert d’abord pratiquement dans une décharge populaire. Il a été sodomisé. Il a été violemment torturé, vraiment. Et comme le corps était en décomposition assez avancé, malgré tout les sévices étaient vraiment visibles. C’est la chose qui a le plus révolté la presse.
Et pourquoi un tel acharnement, selon vous ?
Un tel acharnement parce que, certainement, vu ses émissions, il épinglait des personnalités en disant ‘j’ai tel dossier, tel a émargé dans telle ligne budgétaire de l’État’, etc. Il a donné beaucoup d’informations sur des dossiers secrets.
Est-ce un acte de vengeance ?
Probablement, un acte de vengeance parce qu’il épinglait des personnes. Et on ne sait pas qui sont ces personnes, évidemment on ne va pas les accuser, est-ce que ce sont elles ou pas elles. Mais toujours est-il qu’on imagine qu’à un moment donné, il a pu égratigner des personnalités qui n’ont pas supporté d’être jetées en pâture.
Il y a dans ces sévices le fait que son corps ait été retrouvé nu, une volonté d’humiliation ?
Une volonté d’humiliation certaine : on l’a déshabillé, on a trouvé ses chaussures et ses vêtements épars. On a voulu l’humilier de la manière la plus barbare, dans son intimité la plus secrète.
Est-ce un message d’intimidation aussi qui est envoyé à l’ensemble de la presse ?
C’est un message d’intimidation, c’est de la terreur, c’est-à-dire que celui qui ose encore s’engager dans une presse d’investigation ou de dénonciation des puissants sait à quoi il s’expose. C’est voulu.
Vous-même, vous avez été menacée à plusieurs reprises…
On peut frôler la mort. J’ai été victime moi-même à plusieurs reprises. Des camionnettes de gendarmerie qui stationnaient devant mon portail. Ils arrivaient à 2 heures du matin et ils ne quittaient mon portail qu’à 5 heures du matin. En 2008 encore, j’ai été menacée d’exécution. Je suis allée me réfugier dans une poubelle dans la rue, très tard, au moment où le tueur était censé venir me chercher. Nous n’avons pas la vie facile. Il est même arrivé que les forces de la sûreté me convoquent avec des armes sur la table pour me dire qu’à tout moment, ils peuvent me tuer. Leurs armes étaient sur la table, leur uniforme était sur eux. L’impunité est totale, c’est-à-dire que les enquêtes se perdent quelque part dans un marais. On en parle plus. Et puis voilà.
La profession demande une enquête et surtout que les conclusions de cette enquête soient rendues publiques…
Soient connues, tout à fait.
C’est important cela à vos yeux ?
Oui. Nous souscrivons tous à cela, c’est-à-dire qu’il ne faut pas qu’il y ait une fois de plus un crime impuni.
Il y aura un avant et un après ?
Oh ! Vous savez avec le Cameroun ! Certainement qu’il y aura un avant et un après, parce que cet assassinat est tellement odieux. On espère que cette fois-ci, ce sera la bonne et qu’on saura tout, et qu’on conduira ceux qui ont perpétré cet assassinat devant les tribunaux de chez nous.
Pour le moment en tout cas, il y a un deuil…
Toute la presse est endeuillée, et toute la société civile est très attentive aux suites qui vont être données à l’assassinat de Martinez Zogo, parce que cet assassinat est inédit. Et la presse ne va pas se laisser faire.
rfi