Accusée d’avoir « fabriqué des cocktails molotov » et d’être « leader des manifestations », Armita Abbasi est jugée lundi par le tribunal de Karaj, en Iran. Interpellée un mois après la mort de Mahsa Amini, elle fera face au juge Assef Al-Hosseini, connu pour sa sévérité, sans avocat pour la défendre. Initialement publié le 10 janvier 2023, cet article a été mis à jour à l’occasion de l’ouverture du procès.
Une chevelure blond platine, des mèches bleu-vert, un piercing au sourcil droit, un autre sous la lèvre inférieure. Une jeune femme moderne comme il en existe des millions. Mais Armita Abbasi n’est pas comme les autres. À 21 ans, cette Iranienne est devenue l’un des nombreux visages de la répression aveugle en marche depuis la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre 2022 à Téhéran.
Après plus de 100 jours de détention, son procès, repoussé à maintes reprises, s’ouvre lundi 30 janvier à Karaj, en Iran. Elle est accusée d’avoir « fabriqué des cocktails molotov » et d’être « leader des manifestations ».
Armita Abbasi fera face au juge Assef Al-Hosseini connu pour sa cruauté. Sans avocat. Le 23 janvier ses avocats, Mohammad Esmailbeigi et Sonia Mohammadi ont annoncé sur Twitter leur démission faute d’accès à son dossier.
« Compte tenu de notre demande de rencontre en face à face à laquelle il n’a pas été répondu jusqu’à ce moment, et du manque de temps qui rend impossible la défense adéquate de notre cliente, Mme Sonia Mohammadi et moi-même déclarons notre démission de la défense de Mme Armita Abbasi”, a écrit Me Esmailbeigi.
Le 2 janvier, elle avait entamé une grève de la faim, dans la prison de Katchoï à Karaj, dans le nord de l’Iran, où elle est incarcérée depuis plus de trois mois. Un geste fort, suivi par 14 codétenues, pour protester contre « les conditions inhumaines et indignes dans lesquelles elles étaient détenues mais aussi du harcèlement et des tortures subis », explique Me Hirbod Dehghani-Azar, avocat franco-iranien qui recense les exactions commises par les forces de sécurité de la République islamique.
Après sept jours de forte mobilisation sur les réseaux sociaux, notamment sous le hashtag #FemmeVieLiberté (#WomenLifeFreedom en anglais), toutes ont cédé face à « la pression et aux menaces exercées par les responsables de la prison » sur elles et leurs familles.
Aujourd’hui les proches des détenues, sans nouvelles d’elles depuis 7 jours, s’étaient rassemblés devant la prison comme tous les jours. Ils ont été agressés et battus par la police.
« Aucune de leur revendication n’a été entendue par les autorités. Il n’y a aucune amélioration de leurs conditions de détention, ni de leur situation personnelle, regrette Me Dehghani-Azar. Leurs proches ont pu les voir furtivement en présence des agents de la police. Elles semblent aller bien même si elles ont perdu du poids ».
Selon les proches des détenues, elles ont brisé leur grève de la faim après 7 jours notamment à cause des menaces et pressions exercées par les responsables de la prison. leurs proches ont pu les voir furtivement en présence des agents aujourd’hui. Selon eux, Elles vont bien .
Armita Abbasi, Somayyeh Massoumi, Fatemeh Harbi, Ensieh Moussavi, Fatemeh Nazarinejad, Elham Modarresi, Fatemeh Mosleh Heydarzadeh, Niloufar Shakeri, Niloufar Kardouni, Marzieh Qassemi, Shahrzad Derakhshan, Fatemeh Jamalpour, Hamideh Zeraii, Jasmine Haj Mirza Mohammadi et Maedeh Sohrabi ont été mises en quarantaine dans la prison de Katchoï.
Si les raisons de l’emprisonnement de ces femmes restent floues, presque toutes semblent avoir été victimes d’agressions sexuelles. Outre la volonté de domination masculine, violer les vierges ou les femmes suspectées de l’être répond à une stratégie éprouvée depuis les années 1980 sous l’ère de l’Ayatollah Khomeini, rappelle l’Institut Gatestone, un think tank international.
Interrogé le 7 décembre 1986 sur l’utilisation massive du viol dans les prisons, le Guide Suprême a répondu : « Oui ! De tels viols sont essentiels pour empêcher ces femmes anti-islam d’entrer au paradis. Si elles sont exécutées vierges, elles entreront au paradis. Donc, les viols sont extrêmement importants pour empêcher ces éléments d’entrer au paradis. »
Armita Abbasi hospitalisée pour une « hémorragie du rectum »
À ce jour, sur les quinzaine de prisonnières de Katchoï, seuls les sévices subis par Armita Abassi ont pu être détaillés. D’après une enquête publiée par CNN le 21 novembre 2022, la jeune femme d’une vingtaine d’années a été interpellée après avoir posté, sans cacher son identité, des messages jugés « hostiles au régime » sur les réseaux sociaux. Interpellée un mois après le début de la contestation populaire, le gouvernement l’a accusée d’être l’une des « leader des émeutes » et a affirmé avoir retrouvé « 10 cocktails molotov » à son domicile. Une déclaration qui laissait promettre des sanctions particulièrement sévères pour la jeune femme de 20 ans.
Le 18 octobre 2022, elle a été escortée par des hommes armés de la prison à l’hôpital Imam Ali à Karaj, raconte CNN qui a pu corroborer les faits. Armita tremblante comme une feuille, ne cessait de pleurer.
« Quand elle est arrivée, (les officiers) ont dit qu’elle faisait une hémorragie du rectum… due à des viols répétés », a raconté un membre du personnel médical qui, manifestement très choqué par ce qu’il avait vu, a posté des messages sur les réseaux sociaux. Ces hommes ont insisté pour qu’il soit mentionné que les agressions étaient antérieures à son arrestation.
Le temps que la famille d’Armita Abbasi arrive à l’hôpital, elle avait disparu. Selon la version officielle, elle était traitée pour « des problèmes digestifs ».
« On condamne beaucoup moins à mort les femmes en Iran – à priori-, rappelle Me Dehghani-Azar. Le plus souvent, elles sont condamnées à des peines de coups de fouets et d’emprisonnements. Mais jusqu’à présent, il n’y a eu aucune logique ».
Juger les « crimes contre l’humanité » perpétrés en Iran
Face à la pression médiatique, Armita Abbasi pourrait-elle être libérée ? Les autorités iraniennes pourraient être tentées de faire diversion. « Peut-être qu’on va la laisser sortir en faisant pression sur sa famille pour qu’elle se taise et dans le même temps condamner toutes les autres codétenues ».
Viols, tortures, exécutions avec des procès expéditifs… Pour que ces crimes soient un jour punis par la justice, Hirbod Dehghani-Azar et le collectif de juristes auquel il appartient appellent la communauté internationale à inscrire les Gardiens de la Révolutions sur la liste des organisations terroristes.
« Cela permettrait de geler leurs avoirs et leurs actifs à l’extérieur mais aussi de les poursuivre en ouvrant la voie à la création d’une juridiction internationale compétente pour juger ces crimes contre l’humanité ».
france24