L’exécutif ouvre mercredi un nouveau chantier explosif, en pleine bataille des retraites, avec la présentation en Conseil des ministres d’un projet de loi sur l’immigration qui braque largement, de la droite à la gauche.
Et, si possible, faire diversion. « L’immigration reste un sujet majeur de préoccupation des Français », esquisse un cadre de la majorité.
Le texte prévoit une série de mesures pour faciliter les expulsions, surtout des étrangers « délinquants », une réforme du droit d’asile et un volet intégration, notamment la régularisation des travailleurs sans-papiers dans les « métiers en tension » (restauration, bâtiment..) où les employeurs peinent à embaucher.
« Il faut de la fermeté et de l’humanité (…) On ne peut pas accueillir tout le monde », résumait Emmanuel Macron en décembre dans Le Parisien, tout en appelant à « intégrer plus vite et mieux » ceux qui obtiennent l’asile.
Le projet de loi est porté par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, pour son volet sécuritaire, et celui du Travail, Olivier Dussopt, pour la partie plus économique et sociale.
Tous deux seront présents au compte-rendu du Conseil des ministres, en fin de matinée, au côté du porte-parole du gouvernement Olivier Véran.
« Radicalement déséquilibré »
Destiné à séduire à la fois la droite républicaine, de plus en plus radicale sur le sujet, et la gauche, qui dénonce les conditions d’accueil des étrangers, le texte a fini par fâcher tout le monde… et pourrait nécessiter de déclencher l’arme constitutionnelle du 49.3, qui permet son adoption sans vote.
La majorité elle-même apparaît divisée, entre tenants de l’aile droite, prêts à le durcir encore si nécessaire, et élus issus de la gauche, qui y voient des lignes rouges.
« C’est un texte radicalement déséquilibré puisqu’il va très loin à gauche, et très loin à droite », concède un député Renaissance.
« Il permettra aussi de prendre l’opinion publique à témoin de ce qu’il faudrait faire », veut-il croire.
Le texte arrive au lendemain d’un double constat: une hausse de 31% des demandes d’asile (137.000) en 2022 et de 15% des expulsions (15.400), celles-ci restant néanmoins inférieures d’un tiers à celles de 2019, avant le Covid.
« Une partie de notre économie tourne aujourd’hui grâce à l’immigration », souligne aussi le ministre du Budget Gabriel Attal.
Mais l’équation s’annonce très compliquée pour l’exécutif, en l’absence de majorité absolue, alors qu’il ferraille déjà sur les retraites.
Les Républicains, qui pourraient voter la réforme des retraites, seront forts peu enclins à récidiver sur l’immigration, un de leurs marqueurs.
« On ne peut pas demander à voter les retraites et après l’immigration, autant rejoindre la majorité », lance le député LR du Pas-de-Calais Pierre-Henri Dumont.
« Discutons-en »
LR juge les mesures d’expulsions insuffisantes. Il est surtout vent debout contre l’octroi de titres de séjour pour les « métiers en tension », jugeant que cela va aboutir à des régularisations massives et « ouvrir les vannes de l’immigration ».
L’exécutif, qui comptait les prendre à leur propre piège sur un de leurs sujets phare, se retrouve lui-même dos au mur, sauf à lâcher plus de lest dans leur direction.
« Chez les LR, certains défendent l’idée d’instaurer des quotas pour limiter les régularisations. Discutons-en », a lancé ce week-end le ministre de l’Intérieur.
D’autres dans la majorité redoutent déjà que la partie régularisation ne passe à la trappe. « Les LR demandent que ce ne soit dans ce texte », note un député Renaissance.
Le texte pourrait être en partie détricoté au Sénat, où il passera d’abord mi-mars, puis revisité à l’Assemblée nationale en mai-juin.
D’ici là, Gérald Darmanin, lui-même issu des LR, entend négocier avec les uns et les autres. « Il s’investit beaucoup, parle aux élus LR un à un », observe un conseiller ministériel.
Ce texte, le 29e sur l’asile et l’immigration depuis 1980, alimente avant tout le moulin de l’extrême droite en « répondant sur leur terrain », déplore pour sa part Fanélie Carrey-Conte de l’association d’aide aux migrants La Cimade.
Le Rassemblement national, sans surprise, a déjà annoncé qu’il ne le voterait pas.
AFP