Serait-il possible de remplacer les fibres de polyester provenant du pétrole par les fibres de l’asclépiade commune qui pousse chez nous et que l’on appelle le coton du Québec ? C’est la question que se pose un de nos lecteurs, Denis Carrier. La réponse : oui et non. En fait, la question soulevée mérite une réponse plus détaillée et tout en nuances, compte tenu des propriétés bien particulières de cette merveilleuse plante, aussi appelée « soie d’Amérique ».
Il faut d’abord savoir que l’asclépiade pousse à l’état naturel au Québec et est essentielle au cycle de reproduction du papillon monarque, une espèce en danger qui migre jusqu’au Mexique pour passer l’hiver. Cette plante s’est récemment fait connaître en raison du potentiel isolant et hydrofuge des longues soies blanches contenues dans ses fruits longiformes. Les propriétés de cette soie suscitent depuis quelques années l’intérêt des fabricants de vêtements de plein air, qui voient en cette fibre un isolant plus écologique et plus efficace que le polyester ou le duvet pour affronter la saison froide.
« Oui, la fibre d’asclépiade a toutes les qualités pour remplacer le polyester comme isolant synthétique dans les vêtements de plein air. Le problème, c’est qu’en raison de sa grande volatilité, elle doit d’abord être intégrée à une membrane pour pouvoir être cousue à un vêtement. Pour la tisser, il faudrait coller les fibres avec un liant, et on risque alors de perdre ses propriétés isolantes et hydrofuges », explique Annabelle St-Pierre, chercheuse au centre d’innovation des produits cellulosiques Innofibre, du cégep de Trois-Rivières.
Un isolant, mais pas un tissu
Le caractère soyeux de cette fibre toute québécoise a donc un revers. Ultralisse, elle ne peut être tissée pour produire d’autres types de textile. « Si on parle de vêtements à porter tous les jours sur la peau, la fibre est trop courte et trop glissante pour faire un textile apte à produire un tissu. C’est pourquoi on l’utilise surtout comme isolant », ajoute-t-elle.
Pour l’instant, la « soie d’Amérique » sert donc de matériel isolant à l’intérieur de vêtements, de mitaines ou de couvertures, confirme Laurence Gaudy, cofondatrice et responsable du développement technique chez Atypic, une jeune pousse qui fabrique des vêtements de plein air et des couvertures isolés à la fibre d’asclépiade.
Lorsqu’on la compare aux isolants faits de mousse de polyester du marché (Primaloft, Primalight, etc.) ou au duvet, la soie d’Amérique, un isolant naturel, l’emporte sur presque toute la ligne. Sa capacité isolante lors de grands froids a d’ailleurs été testée avec succès lors d’une expédition au mont Everest réalisée en 2016 par l’alpiniste québécois Jean-François Tardif.
« La fibre pure d’asclépiade est plus chaude, plus hydrofuge. Et, contrairement au duvet, elle reste isolante une fois compressée. Elle est aussi antimicrobienne, ce qui n’est pas le cas du polyester, propice au développement de bactéries qui attirent les odeurs », ajoute Laurence Gaudy.
Cela dit, la soyeuse fibre reste très coûteuse, car la récolte de ses jolies aigrettes blanches se fait toujours de façon quasi artisanale et la production totale au Québec demeure trop limitée pour répondre à une demande soutenue. Le procédé utilisé pour stabiliser l’asclépiade dans le textile reste encore laborieux.
« En ce moment, il y a aussi un problème de marché, soutient Annabelle St-Pierre, parce qu’il est difficile de concurrencer le polyester produit à bas coût en Inde ou en Chine. Ça reste difficile de produire un vêtement à faible coût avec un isolant fait d’asclépiade », soutient Annabelle St-Pierre.
La toute jeune compagnie de vêtements de plein air Atypic persiste toutefois à mettre en valeur cet isolant local et écologique, produit sans fertilisant et sans eau. « L’isolant à l’asclépiade coûte quatre ou cinq fois plus que le rouleau de polyester ordinaire, mais on veut attirer les gens qui cherchent un produit de qualité, écoresponsable, équitable et entièrement végétal », soutient Laurence Gaudy.
Pour stabiliser la volatilité de la fibre d’asclépiade, la compagnie mêle à cette soyeuse fibre 30 % de fibres de kapok (une autre plante à fibres plus longues), grâce à un liant biologique fait à partir d’amidon de maïs, ce qui permet d’obtenir un isolant stable pouvant être plus facilement taillé et intégré aux divers vêtements et aux produits de plein air. Sans ce procédé, la fibre se disperserait rapidement à l’intérieur du vêtement et s’agglutinerait en petits tas. Contrairement au duvet, la soie compressée retrouve plus difficilement sa forme une fois compactée, explique la cofondatrice d’Atypic.
Bref, la soie d’Amérique a tout un avenir dans le monde du plein air spécialisé, où elle peut se substituer aux isolants produits à base de pétrole. Mais à moins d’innovations dans les procédés de transformation, ce n’est pas demain la veille que l’asclépiade damnera le pion au polyester dans les garde-robes.
D’ici là, on peut souhaiter sa prolifération dans nos mitaines et nos anoraks, ainsi que dans les champs, où ses jolies fleurs jouent un rôle majeur dans notre écosystème en rendant de grands services aux monarques.
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